Les autorités kényanes ont commencé mardi à restituer aux familles les corps de victimes du « massacre de la forêt de Shakahola », près d’un an après le choc de la révélation des macabres pratiques d’une secte évangélique adepte du jeûne jusqu’à la mort.
Un total de 429 corps, dont ceux de nombreux enfants, ont été exhumés depuis avril 2023 dans cette vaste zone de « bush » de la côte kényane, où le pasteur autoproclamé Paul Nthenge Mackenzie appelait ses adeptes à jeûner jusqu’à en mourir pour « rencontrer Jésus » avant la fin du monde qu’il annonçait pour août 2023.
Mardi, quatre dépouilles ont été remises à une famille dans la ville de Malindi, ont annoncé dans un communiqué le chef des opérations médico-légales, Johansen Oduor, et le directeur des enquêtes criminelles Martin Nyuguto, indiquant que d’autres familles étaient attendues mercredi et jeudi.
William Ponda, 32 ans, a récupéré les restes de sa mère, de son frère, de sa belle-sœur et de son neveu disparus. « C’est un soulagement d’avoir enfin les corps », a-t-il déclaré à l’AFP : « Mais c’est aussi désolant de voir qu’ils ne sont que des squelettes ».
Mortes de faim, mais aussi étranglées, battues ou étouffées
Baptisée « massacre de la forêt de Shakahola », l’affaire a horrifié le Kenya, pays religieux majoritairement chrétien d’Afrique de l’Est. Les autopsies ont révélé que la majorité des victimes sont mortes de faim, mais certaines ont été étranglées, battues ou étouffées. Certains décès remontaient à plusieurs années et des corps étaient dans un état de décomposition avancée.
Chauffeur de taxi avant de se proclamer pasteur, Paul Nthenge Mackenzie est en détention depuis le 14 avril, au lendemain de la découverte des premières victimes dans la forêt de Shakahola où se réunissait l’« Église internationale de Bonne nouvelle » qu’il a créée en 2010. Il est notamment poursuivi pour « terrorisme » et « assassinat » de 191 enfants, dont trois nourrissons. Il est également accusé d’« homicides involontaires », « torture » et « cruauté » sur enfants. Il a plaidé non-coupable de tous ces chefs d’accusation.
Pour l’instant, seuls 34 corps ont été identifiés. « Il reste plus de 390 corps à identifier. À ce rythme-là, ça va durer encore dix ans », a fustigé Roseline Odede, présidente de la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya (KNCHR), organisme officiel mais indépendant, devant la presse à Malindi. « Le gouvernement doit déployer des ressources dans ce processus afin que nous puissions permettre aux familles de faire leur deuil », a-t-elle estimé. Les longs délais s’expliquent notamment par un manque d’équipement.
« La pire faille de sécurité de l’histoire » du Kenya
Johansen Oduor a également souligné la semaine dernière que beaucoup de familles ne sont pas venues réclamer les corps, rendant plus difficile l’obtention d’échantillons d’ADN. Il a appelé mardi « les Kényans qui pensent avoir eu des proches dans la forêt de Shakahola à se manifester et à fournir des échantillons ». Les opérations de recherche de fosses communes sont à l’arrêt depuis plusieurs mois, mais le bilan pourrait encore s’alourdir. Au moins 35 autres charniers potentiels doivent faire prochainement l’objet d’exhumations, selon Johansen Oduor.
La révélation des pratiques de la secte a placé les autorités sous le feu des critiques pour ne pas avoir empêché les agissements du pasteur, pourtant arrêté à plusieurs reprises pour ses prêches extrêmes. Dans un rapport publié en octobre, une commission sénatoriale a pointé des « défaillances » de la justice et de la police, alertées en 2017 et 2019.
En juillet, le ministre de l’Intérieur Kithure Kindiki a estimé que « le massacre de Shakahola était la pire faille de sécurité de l’histoire » du Kenya. Le président William Ruto, lui-même un fervent protestant soutenu par les milieux évangéliques lors de son élection en août 2022, a créé un groupe de travail chargé de « l’examen du cadre légal et réglementaire régissant les organisations religieuses ». Mais les précédentes tentatives d’encadrement des cultes se sont heurtées à une vive opposition, au nom notamment de la liberté de culte.
Le gouvernement a annoncé que la forêt de Shakahola serait transformée en « lieu de mémoire », « afin que les Kényans et le monde n’oublient pas ce qui s’est passé ».
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