Ne dites surtout pas à Jean-Claude Killy qu’il est à 78 ans une légende du sport français: « La légende, elle a mal aux genoux, la légende, elle a arrêté le ski il y a trente ans », balaye-t-il, dans un sourire, lors d’un entretien téléphonique avec l’AFP.
« Je ne me suis jamais vu comme (une légende) », assure le triple champion olympique 1968, ancien co-président du comité d’organisation des JO-1992 d’Albertville et membre du Comité international olympique (CIO) jusqu’en 2014.
QUESTION: Les JO de Pékin se dérouleront sans spectateurs venus de l’étranger, est-ce que des JO sous Covid ont un sens selon vous?
REPONSE: « On ne peut pas faire marche arrière, il n’y a pas de raison (…) Sans spectateurs, c’est beaucoup plus triste. Certains athlètes avec lesquels je parle, je leur dis: +Ecoutez les gars, c’est totalement accessoire, occupez vous de vous mettre dans une bulle olympique et taillez votre route+. Il faut aller aux Jeux olympiques et y prendre part, tout le reste n’est pas intéressant dans l’absolu. Il ne faut jamais oublier que les JO, c’est tous les quatre ans. Il ne repasse pour certains qu’une seule fois, parfois deux, jamais dix fois. »
Q: Confier l’organisation des ces JO à la Chine est critiqué en raison du coût environnemental, du bilan de Pékin en matière des droits humains ou encore du manque de tradition de la Chine en sports d’hiver…
R: « Ce sont les mêmes polémiques qu’en 2008, en moindre. La Chine était alors beaucoup plus verrouillée, fermée et mystérieuse. Le CIO avait alors cette fierté de dire: la meilleure manière d’ouvrir les relations, la connaissance entre les peuples, ce sont les Jeux olympiques. C’est forcément vrai encore aujourd’hui, mais d’une manière moindre, car on connaît beaucoup mieux la Chine. Et puis aussi, parce que la Chine a organisé des Jeux en 2008 que j’ai trouvés magnifiques. Je me base toujours sur ma perception du sport, le service au sport, aux sportifs, l’amour du sport. Il n’y avait pas vraiment de culture olympique à Sotchi et les Russes ont organisé des Jeux somptueux. »
Q: Que pensez-vous de l’évolution du ski alpin?
R: « C’est toujours 70 excités qui veulent tous gagner, qui dévalent une piste pentue ou pas. C’était déjà exactement comme ça à l’époque de Toni Sailer en 1956 et en 1968. On a toujours des bonhommes sur des skis. Est ce que cela va plus vite? Probablement. Est ce que le géant en deux manches est adéquat? Je dis non, le géant avant c’était un voyage, c’était le plus endurant, on disait que le géantiste était le skieur le plus complet, un géant à l’époque c’était 2 min 30 sec. Pour la télévision, pour le spectacle, on a fait deux manches, c’est quand même surprenant un géant qui fait moins d’une minute et cela ne choque personne. »
Q: Allez-vous suivre ces JO?
R: « Je vais suivre le ski alpin, je vais devoir mettre le réveil. Je vais regarder le biathlon, tout ce qui est olympique m’intéresse. Je regarde le curling, car je connais les subtilités du curling, ce n’est pas du tout ironique, c’est un vrai casse-tête ».
Q: Beaucoup vous considèrent comme une légende du sport français…
R: « Je ne me suis jamais vu comme ça. Dans le quotidien, je vais au supermarché, je pousse mon caddie, avec ma casquette sur la tête, la légende elle est où? C’est factice, c’est une illusion. Croyez-moi, la légende, elle a mal aux genoux, la légende, elle s’épuise sur un rameur bien plus vite qu’il y a vingt ans, la légende elle ne peut plus descendre les escaliers en courant, la légende, si elle mange trop, elle ne dort plus, la légende, si elle boit trop, c’est foutu, la légende, elle a arrêté le ski il y a trente ans. »
Q: Skier ne vous manque pas?
R: « Non… J’ai envie de vous dire, ça c’est fait. Je n’étais pas un montagnard, je n’étais pas un skieur dans l’âme, j’étais un compétiteur, un malade de la victoire, Pas pour faire le malin, mais parce qu’il n’y avait que ça qui m’intéressait. »
Propos recueillis par Jérôme RASETTI
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