JO 2024 : la Seine sera-t-elle vraiment baignable ?

Par Ludovic Genin
22 mai 2024 12:56 Mis à jour: 28 mai 2024 18:10

C’est un pari fou et pour certains impossible. Après un siècle d’interdiction, le gouvernement veut rendre la Seine baignable pour les Jeux Olympiques. À deux mois des Jeux, il suffit de regarder la couleur du fleuve, dépendant des caprices de la météo sur les plus de 400 km de son cours avant Paris, pour comprendre que rien n’est gagné.

Pourtant les travaux colossaux entrepris en amont du fleuve et dans la capitale laissent croire à une fenêtre possible de baignade. Comme l’histoire de ce fleuve parfois indomptable, il faudra peut-être finalement s’en remettre à la clémence de la météo pour savoir si, au dernier moment, les flots seront favorables pour les compétitions.

Une reconquête au long cours, fruit d’un budget de 1,4 milliard d’euros de dépollution pour les JO, qui devront porter leur fruit dans les prochaines années.

La devise de Paris intimement liée à la Seine

La Seine est intimement liée à la naissance de Paris. Les Parisii, premiers habitants de Lutèce, sont un peuple gaulois de chasseurs-cueilleurs, installés « sur une île » sur les bords du fleuve, dès le IIIe siècle avant J.C.

Au Ve siècle, quelques années avant le baptême de Clovis et la naissance du royaume de France – dont Lutèce sera la première capitale, les Francs, alors barbares romanisés, encerclent Paris défendu par la patronne de la ville, Sainte-Geneviève. Manquant de nourriture, Geneviève accompagna plusieurs bateaux sur la Seine afin d’aller chercher du blé sur ses terres et nourrir les Parisiens affamés par le siège. Dans la biographie « La Vita de Sainte-Geneviève », écrite quelques années après sa mort, on raconte que grâce aux prières de la sainte, l’expédition sera une réussite malgré tous les méandres du fleuve sauvage, pouvant renverser les embarcations. Tous les bateaux sont revenus sans avoir coulé alors qu’ils étaient lourdement chargés de nourriture. Ce serait l’origine du blason et de la devise de Paris « Fluctuat nec mergitur » (« Battu par les flots, mais ne sombre pas »), la sainte devenant un symbole indissociable de la ville et la protectrice de Paris.

L’emblème de ce bateau battu par les flots figure sur le sceau de la puissante corporation des Nautes, les « marchands de l’eau » en 1210, qui sont à l’origine de la municipalité parisienne. Le mât du bateau – un bateau de rivière à l’époque et non de grand large, portait une croix à son sommet. La devise « Fluctuat nec mergitur » devient la devise officielle de Paris sur la décision du baron Haussmann en 1853. À l’époque préfet de la Seine, il souhaitait rappeler l’invincibilité de la capitale face aux nombreux dangers qu’elle traverse.

La question de la qualité de l’eau pour les JO

Les analyses réalisées de 2015 à 2023, transmises à l’AFP par la mairie de Paris, montrent de fortes variations, avec plusieurs pics de concentration de l’une des deux bactéries indicatrices de contamination fécale, l’Escherichia coli.

Au regard de la directive européenne « baignade » de 2006, aucun des 14 points de prélèvement parisiens de l’eau n’avait atteint un niveau de qualité suffisant, de juin à septembre 2023. À l’été 2022 pourtant, ces analyses avaient atteint un niveau « suffisant » pour les deux bactéries dans trois points de mesure du centre de Paris, avant une dégradation en 2023.

En août 2023, les répétitions pour les Jeux ont tourné au cauchemar pour les organisateurs, forcés d’annuler la compétition de natation marathon car les seuils de qualité de l’eau étaient nettement dépassés, après de fortes pluies. Et l’expérience de la maître-nageuse Gaëlle Deletang, dans la capitale durant l’hiver 2023 n’était pas là pour rassurer. Membre de l’équipe nautique de la Protection civile de Paris, cette femme de 56 ans raconte avoir connu « diarrhée et bouton de fièvre parce que l’eau n’est pas propre » entre les ponts de Bercy et d’Austerlitz où elle s’est entraînée en combinaison. Quant aux autres bénévoles, « plusieurs ont eu une bactérie pendant trois semaines » et « tous ont eu la gastro. »

En avril 2024, l’ONG Surfrider Foundation a mis en garde contre l’état « alarmant » des eaux de la Seine, avec des seuils mesurés entre septembre et mars « au-dessus voire très largement au-dessus » de ceux recommandés.

Des travaux monumentaux réalisés en amont de la capitale

Pour rendre la Seine baignable pour les Jeux, L’État, les collectivités et le comité d’organisation mettent en avant cinq ouvrages quasiment terminés qui doivent permettre d’augmenter la capacité de stockage du réseau d’égouts et de limiter les rejets d’eaux usées dans le fleuve.

En amont de la capitale, parmi les deux principales stations d’épuration modernisées, l’usine de Valenton (Val-de-Marne) joue un rôle fondamental pour améliorer le traitement des eaux usées. Depuis l’année dernière, un procédé innovant permet de les traiter à l’acide performique, « désinfectant organique » qui ensuite « se désagrège rapidement, dès avant d’entrer en contact avec le milieu naturel », affirme le Siaap, en réponse aux inquiétudes quant à son éventuel impact sur l’environnement.

Toujours en amont, à Champigny-sur-Marne, une nouvelle station de dépollution des eaux pluviales a été inaugurée fin avril. Creusée en sous-sol, elle les récupère pour les empêcher de finir dans la rivière. Sa principale innovation technologique réside dans la présence d’une centaine de lampes à ultra-violets pour obtenir, assurent ses opérateurs, une eau saine à 99,9%, sans bactéries, après leur traitement, avant de les rejeter dans la Marne.

Parmi les ouvrages majeurs construits, on retrouve dans la capitale le bassin d’Austerlitz, véritable cathédrale souterraine creusée en plein centre de Paris, à quelques mètres de la gare et de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Le bassin monumental en béton a été creusé en sous-sol afin de recevoir, via deux prises d’eau situées de chaque côté de la Seine, jusqu’à 50.000 m3 d’eaux usées et pluviales de la capitale en cas de fortes pluies.

Créé par l’ingénieur Eugène Belgrand au milieu du XIXe siècle, le vieux réseau d’égouts de la capitale est unitaire, c’est-à-dire mélangeant eaux usées et pluviales. Or son fonctionnement « est très dépendant de la météo », résume Antoine Guillou, adjoint chargé de la propreté et du réseau d’assainissement : en cas de fortes précipitations, 44 déversoirs d’orage recrachent ce mélange dans le fleuve pour éviter que les égouts ne débordent.

En absorbant ce trop-plein, avant de le rendre au réseau d’assainissement via un système de pompage, le bassin d’Austerlitz doit permettre de « diminuer le volume » d’eaux impropres rejetées dans la Seine, souligne M. Guillou, en tout cas en théorie et si il n’y a pas d’épisodes pluvieux plus intenses que la moyenne.

La bataille pour rendre la Seine plus propre

Au XVIIe siècle, on se baignait dans la Seine à Paris, au XIXe priorité y était donnée à la circulation des bateaux en plein essor. Au XXe, la baignade y était interdite définitivement par une ordonnance préfectorale de 1923 en raison « des dangers causés par la navigation fluviale et la pollution ».

En promettant de nager dans la Seine en 1990, l’édile de Paris et futur président Jacques Chirac avait lancé l’idée d’une réappropriation du fleuve par ses riverains. L’actuelle maire de la capitale Anne Hidalgo en a pris l’engagement en 2016, en en faisant un pilier du dossier de candidature pour l’organisation des Jeux.

Depuis les années 1990, pour éliminer la pollution provenant des eaux usées – industrielles, domestiques ou pluviales – le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) dit avoir investi six milliards d’euros.

Sept premiers barrages à déchets ont été installés sur le fleuve à partir de 1994 par le Siaap, ramassant les premières années entre 500 et 1.000 tonnes par an. Depuis que leur nombre est passé à 26, la récolte, après un pic à 2.500 tonnes (2013), a tendance à diminuer (moins de 1.200 en 2023).

Avec les JO, le « plan baignade » lancé en 2016 par l’État et des collectivités locales a connu un coup d’accélérateur pour limiter les rejets d’eaux usées dans la Seine et la Marne. Une bataille essentielle car « le fait qu’il y ait des rejets non contrôlés a un impact majeur (sur la présence de) bactéries fécales », explique Jean-Marie Mouchel, professeur d’hydrologie à Sorbonne-Université.

Depuis 2018, une loi oblige bateaux et péniches des berges de la Seine à se raccorder au réseau d’assainissement pour ne plus déverser leurs eaux usées dans le fleuve. Selon la préfecture, la quasi-totalité des 250 propriétaires devraient l’avoir fait à Paris d’ici les Jeux.

Idem pour la résorption des mauvais branchements des particuliers, obligatoire depuis 2021. Jusque là, quelque 23.000 maisons de banlieue proche évacuaient eaux de douche et de toilettes directement dans la nature. 40% de ces mauvais branchements ont déjà pu être corrigés.

Aujourd’hui, l’hydrologue Jean-Marie Mouchel voit une grande « amélioration sur les teneurs en oxygénation, ammonium et phosphate », signe de meilleure santé d’une rivière. Si la Seine « n’est pas redevenue un fleuve sauvage », elle compte aujourd’hui « plus de 30 espèces de poissons, contre trois en 1970 », souligne le professeur. On aperçoit même des poissons « beaucoup plus exigeants sur la qualité de l’eau », ce qui est « très bon signe », dit-il. « On voit plein d’espèces qui reviennent, pas seulement des poissons, aussi des insectes aquatiques, même des méduses, des crustacés, des petites crevettes, des éponges, toute une biodiversité. »

Il faudra quand même « s’en remettre au ciel »

Malgré les efforts des autorités, la météo reste le « risque principal » pour la tenue des épreuves de natation, reconnaît la préfecture, qui redoute des « pluies exceptionnelles » pendant les Jeux. En cas de précipitations intenses, de l’eau non traitée – mélange de pluie et d’eaux usées – pourra être rejetée dans le fleuve.

« L’ensemble des investissements ne permet pas de faire face à cet épisode » de l’été dernier, « extrêmement rare », mais il « réduit ses impacts », mesure Antoine Guillou. Mais pour l’expert environnemental Michel Riottot, ‘une « grosse pluie rapide » va vite « saturer » les nouveaux ouvrages.

« À Paris, les égouts, tunnels et bassins comme Austerlitz stockent 1,9 million m3 d’eau. Une petite pluie de 10 mm, c’est 1 million de m3. Avec une grosse pluie cévenole de 20 mm, vous allez déborder de partout », calcule cet ancien ingénieur de recherche.

« Quand on (aura) une pluie intense, de toute façon, on rejettera et on n’atteindra pas les critères de baignabilité », reconnaît M. Colin-Canivez. Mais « on va forcément s’améliorer sur la charge bactériologique qu’on donne au milieu (naturel). Donc on va gagner en nombre de jours de baignabilité », insiste-t-il. « On peut comprendre qu’il y ait beaucoup de gens sceptiques », ajoute M. Guillou.

Si la Seine devient baignable pour les JO ou en 2025, cela enverrait le message qu’il est possible de rendre plus propre le fleuve d’une des villes les plus urbanisées de la planète. Mais face à la force d’un fleuve, il ne faut pas oublier que la nature peut se montrer imprévisible et que l’homme ne pourra jamais complètement la dompter. Comme au Ve siècle avec les prières de Sainte-Geneviève pour ne pas sombrer dans les eaux tumultueuses du fleuve, une certaine confiance est nécessaire pour éviter tous évènements météorologiques supérieurs à une pluie faible ou modérée, sur les 400km de son cours avant Paris.

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