Julie Boulianne : du baroque au bel canto

13 décembre 2016 12:20 Mis à jour: 16 décembre 2016 13:56

Julie Boulianne partage son temps entre deux continents. La mezzo-soprano québécoise est l’une des artistes lyriques les plus prometteuses de l’année. Parmi les temps forts de cette saison, citons sa prise de rôle (Béatrice) dans Béatrice et Bénédict au théâtre du Capitole à Toulouse, son rôle-titre de La Cenerentola à Limoges, son retour à l’Opéra de Québec pour chanter Rosine dans Le Barbier de Séville et ses débuts au Festival d’Aix en juillet 2017 pour la création mondiale de Pinocchio de Philippe Boesmans et Joël Pommerat.

Nous l’avons rencontré lors de ses débuts dans le rôle de Donna Elvira dans Don Giovanni au théâtre des Champs-Élysées.

Quand avez-vous réalisé que vous vouliez être chanteuse lyrique ?

Cela commence toujours par un amour pour le chant, surtout que, en tant que Canadienne, je n’ai pas grandi entourée d’opéra ou de musique classique. Il faut vraiment s’y intéresser soi-même si on veut découvrir ce monde. J’ai toujours aimé chanter et j’étais entourée de gens qui aimaient chanter. Je suis venue à l’opéra étant déjà adulte. Cela faisait partie du plaisir de chanter.

À quel moment avez-vous décidé de partir pour la Juilliard School ?

C’était en 2006. Je suis retournée pour deux ans dans un programme pour jeunes artistes. Je sentais que j’en avais besoin pour trouver des réponses. J’ai rencontré mon professeur avec laquelle je travaille toujours, Edith Bers. Cela m’a permis de changer mes perspectives par rapport au travail et par rapport à moi-même, comment je me voyais dans cette industrie, quelles étaient mes possibilités et quelles étaient mes limites. J’avais besoin de clarifier tout cela.

Le succès est arrivé très vite.…

Oui et non. J’ai fait des auditions au Met, le Metropolitan Opera, quand j’étais encore à la Juilliard School. J’ai tout de suite eu cinq contrats. C’est certain, la signature du Met ouvre des portes.

Mais dire que j’ai eu du succès très vite, je ne sais pas, car j’ai commencé à chanter en 2003… J’ai commencé ici en France, puis j’ai travaillé plus sur le continent américain et maintenant je partage mon temps entre les deux. Je trouve qu’au niveau de ma carrière c’était plutôt graduel et je suis assez contente. Je ne sais pas si je pourrais supporter la pression de devenir une méga star. À chaque étape, il y a un cap à dépasser et il faut être forte.

Au niveau vocal, j’ai fait les choses au bon moment. Je sens que ma voix est encore en bonne santé. Je n’ai pas fait de rôles qui m’ont brisé la voix.

Vous avez refusé plusieurs fois le rôle de Donna Elvira. Quel est le défi ?

La difficulté d’Elvira, c’est la voix combinée au drame, combinée au style mozartien. Beaucoup d’éléments peuvent devenir des dangers. C’est un rôle qui est fait dans une tessiture plus élevée, plus aigüe que ce que je fais d’habitude. C’est un rôle fait pour un soprano ou un mezzo, mais pour un mezzo, c’est très haut.

À ce défi se rajoute le caractère du personnage – une femme qui est au désespoir. Il faut mettre le jeu sur une tessiture compliquée, il faut rester prudent, les phrasés sont très stricts. La voix ne peut pas s’étendre comme elle voudrait s’étendre. À certaines hauteurs, quand la note fleurit comme elle a besoin de fleurir, tu as envie de rester là plus longtemps pour la savourer car tu te dis qu’enfin elle est là, mais quand il s’agit de Mozart, tu n’as pas tant de liberté. Il faut être très droit pour chanter Mozart.

Pensez-vous refaire ce rôle ?

Je l’espère. Parce que j’ai beaucoup de plaisir. Je me sens très chanceuse de le chanter. C’est un grand défi, mais je trouve mes clés tranquillement.

Comment avez-vous travaillé le rôle d’Elvira ? Le travaillez-vous avec l’émotion ?

Oui, il faut car cela rajoute un autre mécanisme, corporel. En plus dans cette production-là, je fais presque tout à genoux. C’est certain que cela inspire d’autres sensations. Mais il faut combiner et équilibrer les deux sinon les émotions risquent de s’emparer de la voix.

Les habits que vous portez doivent sûrement aussi avoir une influence ?

Oui, le défi dans cette production, ce sont les talons aiguilles très hauts, ça limite les mouvements. C’est sûr que courir sur scène avec ces talons… il vaut mieux éviter…

Comment faites-vous pour trouver les émotions qui vont avec les rôles ? Cette tristesse profonde et ce désespoir ?

J’ai bénéficié de beaucoup de formations théâtrales au Juilliard. J’avais un professeur qui nous disait d’aller puiser les émotions dans nos expériences personnelles qu’elles soient liées avec la situation ou pas. Cela aide car tu ne peux pas vivre tout ce que vivent tes personnages. Je pense à Kindertotenlieder de Mahler en rapport à la mort des enfants ou Frauenliebe und Leben (L’Amour et la vie d’une femme) de Schumann.

Quel est votre rôle préféré ?

J’ai été très chanceuse dans ma vie car le mezzo fait souvent des rôles secondaires ou de personnes âgées mais j’ai quand même eu la chance de faire beaucoup de Mozart et de Rossini comme Rosine, Cenerentola, des romantiques français comme Cendrillon, Béatrice dans Béatrice et Benedict de Berlioz, Marguerite dans La Damnation de Faust de Berlioz , ou encore Charlotte dans Werther. C’est difficile de dire lequel j’aime le plus mais, quand je fais Cenerentola, je suis à l’aise car j’ai beaucoup fait ce rôle.

Que représente le chant pour vous ?

J’ai longtemps eu des difficultés à communiquer par la parole. Je n’arrivais même pas à finir mes phrases. Souvent je disais que je chantais car c’était la seule façon pour moi de finir une phrase, en chantant. Pour moi, c’est une forme d’expression nécessaire et je crois qu’il faut que ce soit nécessaire à la vie de quelqu’un. Si on veut en faire son métier, il faut que ce soit un besoin. Sinon cela ne marchera pas. Mais c’est aussi un plaisir physique. Les vibrations, c’est une détente. C’est métaphysique. C’est un peu comme un massage du corps en même temps que tu exprimes quelque chose. On peut exprimer tout ce qu’on veut avec le chant. C’est à toi de choisir.

Vous faites également beaucoup d’enregistrements… Shéhérazade, L’Enfant et les Sortilèges avec le Nashville Symphony chez Naxos Records CD nommé aux Grammy Award dans la catégorie Meilleur Album Classique, L’Aiglon d’Ibert et Honegger sous la direction de Kent Nagano, sorti chez Decca en 2016.

Oui, et au mois de janvier, il y aura un album consacré à Haendel et Vivaldi intitulé Alma Oppressa, avec l’orchestre Clavecin en Concert, à paraître chez Analekta. Dans les enregistrements, je chante ce que je ne chante pas sur scène.

Le monde de l’enregistrement devient de plus en plus exigeant, c’est donc difficile de garder le jeu et de rester parfait. Le défi de l’enregistrement, c’est de trouver l’équilibre. Rester dans la bonne intensité et garder la rigueur et l’émotion

Vous dites à un moment que avez appris à travailler la voix de façon naturelle. Qu’est-ce que cela signifie ? Il semble que l’opéra ne soit pas naturel par définition ?

Oui, je crois que le chant d’opéra devrait être le plus naturel possible. J’essaie de chanter avec la couleur naturelle de la voix sans rien ajouter ni omettre. Ne pas la trafiquer, pour ne pas s’éloigner de cette couleur naturelle. Le seul moyen de garder son registre, c’est de travailler avec le son naturel. J’essaie que ma respiration soit la plus naturelle possible, d’avoir moins de tensions.

Au mois de mai, à l’Opéra de Québec, vous tiendrez le rôle de Rosine dans Le Barbier de Séville ?

Oui, c’est un rôle que je n’ai pas tenu depuis longtemps. Je le fais de temps à autre et je suis contente de le faire à la maison. Je l’ai fait à Montréal en 2007. Le Barbier, c’est un spectacle d’équipe et nous aurons une équipe formidable. J’adore le travail d’équipe. C’est un opéra que le public aime avec beaucoup d’airs très connus. Quand Rossini l’avait écrit, il n’était pas très vieux et je pense qu’il n’avait pas compris la voix. Les deux rôles de Rossini que j’ai fait le plus sont Rosine et Cenerentola qui a été écrit quelques années plus tard. On voit que dans Cenerentola il a déjà compris ce que c’est que la voix. Dans les voix, vous avez le milieu et les extensions. Le Barbier est écrit seulement dans les extensions et c’est vrai pour tous les rôles. C’est très inconfortable, c’est un opéra où tout le monde s’amuse sur scène. Plus les chanteurs s’amusent, plus le public s’amuse dans la salle. Mais le défi est pareil pour tout le monde, c’est de chanter dans les extensions. C’est un opéra que j’aime beaucoup faire.

Vous participerez à une création mondiale de Pinocchio de Philippe Boesmans ?

Oui, je serai dans le rôle du mauvais garçon et chanteuse du cabaret avec une très bonne équipe. C’est un beau projet.

Après Elvira, je prendrai un peu de vacances, puis ce sera la sortie de l’album et ensuite je reprendrai à Limoges avec La Cenerentola.

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