Et si pour vivre ensemble, on commençait par se comprendre? La municipalité de Kamenica, dans l’est du Kosovo, incite ses habitants à apprendre la langue de l’autre, une gageure dans ce pays où un mur de défiance divise Albanais et Serbes.
« J’apprends le serbe parce que je vis ici, je travaille ici et j’ai des clients serbes qui ne parlent pas albanais », explique Suna Zajmi, pharmacienne albanaise de 32 ans, dans cette ville de 30.000 habitants où 10% de la population est serbe.
Même motivation pour le Serbe Strahinja Vasic, fonctionnaire municipal de 25 ans: « J’ai décidé d’apprendre l’albanais parce que je suis né ici, que j’ai passé 25 ans avec des Albanais, que je vis dans un quartier où ils sont majoritaires, avec seulement six familles serbes. Et ça me sert aussi pour mon travail. »
Ex-province serbe de 1,8 million d’habitants, indépendante depuis 2008, le Kosovo a une population à 90% albanaise mais 120.000 Serbes vivent toujours là, vingt ans après la guerre de 1998-99 et dix ans après l’indépendance, que la plupart des Serbes refuse.
Le serbe et l’albanais y sont les deux langues officielles mais elles sont très différentes et le bilinguisme est de plus en plus rare. Si l’apprentissage de la langue de l’autre était obligatoire à l’école durant l’ère yougoslave, aujourd’hui, chaque communauté a son système scolaire.
Si bien que dans la ville divisée de Mitrovica (nord), où les tensions restent fortes, des ONG utilisent l’anglais comme langue commune pour établir des contacts entre jeunes. A Kamenica (est), 40 Serbes dont Strahinja Vasic et 18 Albanais dont Suna Zajmi ont saisi l’opportunité de suivre gratuitement ces cours, dispensés sur trois mois à raison de 40 leçons de 45 minutes.
« Mais mes étudiants ont insisté pour rester plus longtemps, donc on faisait des leçons d’une heure« , explique Teuta Kastrati, 49 ans, de mère bosniaque et de père albanais, et qui enseigne le serbe. La mairie a lancé ce programme cette année avec le soutien de l’ambassade du Royaume-Uni et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui oeuvre également à un projet de dictionnaire albano-serbe en ligne.
Cinquante candidats sont déjà inscrits pour la prochaine session, qui démarrera en septembre. Pour Svetlana Rakic, de l’OIM, apprendre une langue ne doit pas être une question « politique » mais « pratique »: les gens en « comprennent l’utilité », « mais n’en ont souvent pas l’opportunité ». Pourtant, cette compréhension mutuelle « est nécessaire pour la stabilité à long terme », dit-elle.
Kamenica est un endroit spécial, affirme le jeune maire albanais, Qëndron Kastrati.
La ville connaît les mêmes problèmes que d’autres, avec deux-tiers de sans-emploi parmi une population qui survit grâce à l’argent de sa diaspora.
Mais la guerre de 1998-99, qui a fait 13.000 morts dans le pays (surtout des Albanais) y a laissé un souvenir moins cuisant, sans trop d’exactions contre les civils, sans exode massif des Serbes. Les familles n’y recherchent pas de disparus, une question qui reste une plaie ouverte ailleurs.
Les communautés albanaise et serbe y vivent souvent mélangées quand, autre part, chacun reste dans son quartier ou son village. Qëndron Kastrati, 30 ans, dit aussi que son nom le protège, face à de potentielles accusations de trahison: son père, Isa Kastrati, est considéré comme un héros national pour avoir passé onze ans dans les prisons serbes avant d’être tué à la guerre.
Il a choisi comme adjoint Bojan Stamenkovic, un Serbe de 35 ans. Ce douanier parle couramment l’albanais, l’enseigne aux siens et se présente comme « un patriote serbe qui entend aider sa communauté », ce qui n’est possible qu’en « intégrant le système » kosovar. Ailleurs au Kosovo, les responsables serbes s’alignent sur la politique imposée par Belgrade, se gardant bien de parler albanais et ne collaborant qu’au minimum avec l’administration.
Quand le politicien serbe Oliver Ivanovic a été assassiné en 2018 à Mitrovica, son bilinguisme assumé a été unanimement relevé comme une exception dans la classe politique du Kosovo. Ses partisans y voyaient une rare qualité pour bâtir des ponts, ses détracteurs un signe de sa tiédeur patriotique serbe.
A Kamenica, « le maire et moi n’avons pas fait de miracle », assure Bojan Stamenkovic: « La tolérance inter-ethnique était là, on a juste fait un pas supplémentaire pour que les jeunes échangent et trouvent un langage commun sur des questions communes », le « sous-développement économique, le chômage, l’absence de perspective ».
Le maire évoque lui aussi un environnement relativement favorable, qu‘ »il ne faut pas laisser se dégrader ». Il espère pouvoir bientôt regrouper dans des cours communs de technologie ou de sport des étudiants serbes et albanais suivant un cursus similaire.
Tout cela va à l’encontre de « la tendance générale à ériger des murs au Kosovo », se félicite l’enseignante Teuta Kastrati, pour qui Kamenica pourrait « servir d’exemple » ailleurs à condition d’y recevoir le même soutien politique.
Le maire-adjoint Bojan Stamenkovic veut croire dans « le début d’une histoire à succès ». « Si on veut bâtir une vraie coexistence ethnique, il faut apprendre la langue de l’autre. »
E.T. avec AFP
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