La 5G chinoise en France, un enjeu de souveraineté nationale

Par Ludovic Genin
15 août 2024 08:54 Mis à jour: 15 août 2024 21:37

Fin 2023, le gouvernement français a discrètement autorisé Bouygues Telecom et SFR à continuer à utiliser certaines antennes de l’équipementier chinois jusqu’en 2031, au lieu de 2028 comme prévu.

En 2019, la France a pourtant adopté une nouvelle loi visant à « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale » concernant « l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles » sur fond d’inquiétudes d’espionnage ou de coupure volontaire des réseaux Huawei par Pékin. L’idée était de démanteler progressivement les antennes chinoises de SFR et Bouygues Telecom – Orange et Free ne disposant pas de tels équipements.

Huawei réalise malgré tout 10 % de son chiffre d’affaires en France dans la 5G, et est à l’origine de 17 % des infrastructures de 5G du pays. Le géant chinois continue ses investissements en France, il devrait ouvrir sa première usine française en Alsace à Brumath fin 2025, ce qui en ferait le premier site industriel du géant chinois en Europe.

Huawei explique avoir choisi la France pour construire sa première usine hors de Chine en raison de « son infrastructure industrielle mature, de sa situation géographique exceptionnelle au cœur de l’Europe ». Pourtant les inquiétudes d’espionnage concernant le géant chinois – de vol industriel et de risque sur la souveraineté nationale sur l’utilisation des technologies – peuvent s’avérer décisives dans la course technologique mondiale. Le Royaume-Uni, la Suède, l’Estonie, le Danemark, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, la Roumanie, ont déjà restreint ou interdit l’utilisation de Huawei de leur réseau 5G.

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L’histoire de Huawei en Chine

Bien qu’officiellement considérée comme une entreprise privée, Huawei n’est cotée à aucune bourse, et les gouvernements du monde entier considèrent l’entreprise comme un outil stratégique pour les autorités communistes chinoises.

Un coup d’œil sur le personnel de direction de l’entreprise révèle que Huawei entretient d’étroites relations officieuses avec les forces de sécurité chinoises, l’armée et la faction politique du PCC associée à l’ancien chef du Parti, Jiang Zemin.

Les employés du géant chinois des télécommunications Huawei auraient préalablement travaillé pour des agences de renseignement ou des agences militaires chinoises, selon une analyse de milliers de CV d’employés divulgués en ligne. « Il y a des preuves directes importantes que le personnel de Huawei agit sous la direction des services de renseignements chinois qui ont de multiples liens à travers toutes les structures de l’État chinois », conclut l’étude.

Le régime chinois a, par ailleurs, donné 68 milliards d’euros à Huawei pour qu’il devienne un leader mondial, selon le Wall Street Journal. Selon un examen des subventions effectué par le Wall Street Journal, par des facilités de crédit, des allégements fiscaux et d’autres formes d’aides financières, Huawei a eu accès à un soutien gouvernemental pouvant atteindre 68 milliards de d’euros alors qu’il passait d’un fournisseur peu connu de commutateurs téléphoniques à une des plus grandes entreprises de matériel de télécommunications du monde, avec des conditions de financement généreuses et des réductions de prix pouvant atteindre 30 % par rapport à ses rivaux.

Outre le népotisme et la corruption, Jiang Zemin est connu pour avoir lancé plusieurs violations des droits de l’homme quand il était au sommet du PCC, en particulier la campagne nationale contre la pratique spirituelle du Falun Gong en 1999.

Grâce à ses liens étroits avec le régime chinois de Jiang Zemin, Huawei a joué un rôle important dans la construction et la modernisation du Grand Firewall de Chine. Un élément important dans les premières étapes du pare-feu a été le projet du bouclier doré, un projet de surveillance et de censure d’Internet géré par le ministère de la Sécurité publique de la République populaire de Chine dans tout le pays.

L’entreprise de technologie, qui fournit « des systèmes de surveillance de villes entières », a « un partenariat avec les forces de police », y compris dans le Xinjiang. Huawei a « signé un ‘accord de coopération stratégique’ avec le ministère de la Sécurité publique du Xinjiang » selon le chercheur allemand Adrian Zenz, docteur en anthropologie sociale et l’un des premiers à avoir dévoilé l’ampleur de la répression des Ouïghours.

Ce dernier affirme que « cette région est un laboratoire pour l’État policier du XXIe siècle auquel Huawei collabore étroitement » et estime probable « que la technologie de Huawei ait été directement mise au service de l’identification des personnes ouïghoures et contribua ensuite à leur internement ». Il conclut que « Huawei est une arme stratégique de l’État chinois pour réprimer les Ouïghours, et probablement un cheval de Troie majeur menaçant la sécurité des télécommunications ailleurs dans le monde ».

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Une question de souveraineté en France

Selon l’Irsem, Huawei, dont la première entreprise en Occident est en train d’être installée en France, pose de véritables problèmes de sécurité pour les pays qui installent tout ou partie de leurs infrastructures 5G.

Aujourd’hui, le principal leader de la 5G est le chinois Huawei, suivi par les Européens Ericsson (Suédois) et Nokia (Finlandais), et le Coréen Samsung. Les opérateurs télécoms ont ainsi le choix entre ces différents équipementiers, mais Huawei est la deuxième entreprise ayant le plus de brevets 5G dans le monde, et la première en Europe – le géant chinois multipliant les démarches partenariales avec les pays européens.

Or Huawei est une entreprise très proche du gouvernement chinois et financée par des banques d’État. De plus, le gouvernement chinois se réserve le droit d’accéder aux données de toute entreprise chinoise pour des raisons de sécurité.

Selon Reporters sans frontières, Huawei est accusé « d’intégrer dans certains de ses produits une ‘porte dérobée’, lui permettant d’accéder secrètement aux données des utilisateurs, et de fournir ses technologies de surveillance au régime iranien ».

Un rapport produit par Capgemini estime que Huawei est en capacité d’écouter les conversations   »des numéros mobiles […] de manière illimitée, incontrôlée et non autorisée », y compris avec un accès à la base de données de tous les numéros de téléphone des utilisateurs d’une technologie de Huawei.

Le magazine Forbes a confirmé de son côté que Huawei travaille avec Bo Yu Guangzhou Information Technology Co, une société considérée comme l’un des groupes de hackers travaillant pour le gouvernement chinois. L’entreprise, hautement stratégique, est infiltrée par des considérations géopolitiques et de compétitions technologiques.

Les bureaux en France du géant des télécoms chinois Huawei, dont le siège français est situé à Boulogne-Billancourt, ont été perquisitionnés en février, pour des soupçons d’atteintes à la probité.

Arrivé en 2003 en France, où le groupe chinois a ouvert six centres de recherche et un centre mondial de design à Paris, Huawei fait en ce moment construire une usine en Alsace, sa première hors de Chine, avec l’objectif d’y débuter « fin 2025 » sa production d’équipements pour réseaux télécoms mobiles, notamment 5G.

L’entreprise revendique une part de 20 % du marché français des infrastructures télécoms, malgré les fortes restrictions issues de la loi dite « anti-Huawei » de 2019, visant à prémunir les réseaux français de « risques d’espionnage, de piratage et de sabotage ».

En juin 2023, la Commission européenne avait estimé que les fournisseurs chinois d’équipements télécoms, dont Huawei, représentaient un risque pour la sécurité de l’Union européenne. Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, avait ainsi appelé les 27 pays membres de l’UE et les opérateurs télécoms à exclure ces équipements de leurs réseaux mobiles.

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Huawei, Tik Tok, Xiaomi, etc. des armes d’influence chinoises à l’étranger

L’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) a rendu public un rapport intitulé « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien », publié au terme de deux années de recherches par le directeur de l’Irsem, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et son directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides », Paul Charon.

Le rapport détaille comment le PCC cherche à imposer son modèle à la planète, notamment en prenant la main sur le réseau des données mondiales via les infrastructures, les smartphones, les applications et médias sociaux chinois.

Comme l’explique Samantha Hoffman, auteure d’un rapport de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) sur la collecte de données par des entreprises d’État chinoises, « pour accéder aux données mondiales, le Parti fait appel à des entreprises publiques, chinoises et étrangères, ainsi qu’à des partenaires tels que des chercheurs universitaires. [Le PCC] utilise le capitalisme comme un moyen d’accéder aux données qui peuvent l’aider à perturber les processus démocratiques et à créer un environnement mondial plus favorable à son pouvoir ».

Pour dominer le réseau des données mondiales, Pékin utilise deux approches combinées : 1. La « collecte de masse » et 2. Le « ciblage spécifique », combinés à la cooptation d’États. Le PCC s’appuie ainsi sur les entreprises publiques et privées pour construire des infrastructures et promouvoir ses nouvelles technologies à travers le monde. Contrairement à l’Occident, le PCC « contraint toutes les entreprises chinoises, publiques comme privées, et également ses citoyens, à ‘soutenir, aider et coopérer aux efforts nationaux de renseignement’ », à l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine.

Selon le rapport de l’Irsem, les entreprises de nouvelles technologies chinoises comme WeChat, Weibo, TikTok, Beidou ou Huawei offrent un aperçu du « techno-autoritarisme », ou de l’ « autoritarisme numérique » chinois. Les smartphones et leurs applications servent ainsi à la surveillance et l’espionnage de masse, et les fabricants chinois de smartphones, en particulier Huawei et Xiaomi, sont également régulièrement mis en cause.

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