La bataille de l’espace est lancée

Selon les experts, la formulation vague des traités et la dépendance croissante à l'égard des technologies spatiales ont fait de l'orbite terrestre la cible d'une nouvelle course aux armements

Par Autumn Spredemann
4 novembre 2024 21:42 Mis à jour: 4 novembre 2024 21:42

L’exploration spatiale progresse et, selon les experts, les gouvernements se concentrent de plus en plus sur le renforcement de la défense et l’exploration du potentiel militaire de l’orbite terrestre basse.
Evan Ellis, analyste et professeur de recherche pour l’U.S. Army War College, confirme à Epoch Times que l’expansion et la protection de l’infrastructure spatiale deviennent de plus en plus importantes du point de vue de la sécurité nationale.

« C’est une reconnaissance de l’importance de l’espace en tant que domaine de combat, mais aussi de la façon dont on protège et utilise ses actifs en temps de guerre », selon Evan Ellis.
En tant qu’analyste de la défense, M. Ellis a participé à des scénarios de jeux de guerre dans l’espace. Selon lui, de nombreux types d’armes peuvent être utilisés en orbite terrestre. Certaines sont cinétiques, comme les missiles, mais des armes non cinétiques, comme les impulsions électromagnétiques, les micro-ondes et les lasers, sont également possibles.

Il explique que certaines sont plus pratiques que d’autres dans un scénario de combat entre l’espace et l’espace ou entre l’espace et la Terre. Par exemple, les lasers sont moins pratiques pour une plateforme spatiale car ils auraient des problèmes d’approvisionnement en énergie et de stabilité.

« Si vous voulez pénétrer dans le bunker de quelqu’un, il est plus logique d’utiliser des armes cinétiques qu’un laser depuis l’espace », ajoute-t-il.

Selon lui, il n’est pas impossible de cibler des objets terrestres depuis l’espace, mais ce n’est pas un scénario probable. Il serait plus pragmatique de viser d’autres cibles célestes.

« Il est logique d’avoir des objets dans l’espace qui peuvent détruire d’autres objets dans l’espace », conclut-il.

Irina Tsukerman, avocate spécialisée dans la sécurité nationale et présidente de la société de recherche Scarab Rising, estime que les armes n’ont pas besoin d’être placées dans l’espace pour constituer une menace pour les objets en orbite.

Elle rappelle à Epoch Times : « Des pays comme la Chine et la Russie ont développé diverses capacités ASAT [armes antisatellites], dont des véhicules de destruction cinétique et des systèmes de guerre électronique, visant à désactiver ou à détruire des satellites américains. »

Les armes terrestres capables de paralyser ou de détruire des satellites existent depuis des années. Pourtant, alors que de plus en plus de pays investissent dans des moyens d’attaquer des ressources dans l’espace, l’inquiétude grandit quant à l’utilisation possible des armes antisatellites en temps de guerre.

« Bien que des armes antisatellites destructrices n’aient pas encore été déployées en temps de guerre, des pays comme la Russie, l’Inde, la Chine et les États-Unis ont démontré leur capacité à utiliser de telles armes en détruisant leurs propres satellites », indique une analyse du Conseil atlantique de 2024.

« Alors que les pays dépendent de plus en plus de l’espace, pouvoir mettre en péril les satellites d’autres pays est un avantage important et préoccupant. »

L’investissement dans l’espace du point de vue de la sécurité nationale a également augmenté cette année.

La Fondation pour l’espace a indiqué que le total des budgets militaires mondiaux consacrés à l’espace a augmenté de 18 %, ce qui représente 46 % du total des dépenses spatiales gouvernementales. Les États-Unis représentent la majorité de ces dépenses (80 %), mais des pays comme le Japon et la Pologne ont également considérablement augmenté leurs dépenses en matière de défense spatiale.

Une arme antisatellite « Mission Shakti » présentée lors de la parade du Jour de la République à New Delhi, en Inde, le 26 janvier 2020. (Prakash Singh/AFP via Getty Images)

La militarisation de l’espace suscite de nombreuses inquiétudes, notamment en raison des tensions géopolitiques actuelles entre les États-Unis, la Russie et la Chine.

Le traité des Nations unies sur l’espace extra-atmosphérique est un garde-fou qui interdit depuis 1967 les armes nucléaires ou les armes de destruction massive (ADM) en orbite ou sur des corps célestes tels que la Lune. Le traité compte actuellement 115 parties et 89 signataires.

Cependant, des groupes comme le Centre pour le contrôle des armes et la non-prolifération affirment que les efforts accrus de militarisation dans ce domaine posent déjà des risques pour la sécurité nationale.

Le centre identifie trois catégories d’armes spatiales : les armes Terre-espace, les armes espace-espace et les armes espace-Terre. Actuellement, en raison des restrictions prévues par le traité sur l’espace extra-atmosphérique, seules des armes Terre-espace ont été développées dans les arsenaux militaires. Toutefois, certains affirment que l’intérêt croissant pour les deux dernières catégories rend l’expansion dans ces domaines inévitable.

Faute de réglementations claires et en raison de régimes gouvernementaux ambitieux, les armées repoussent déjà les limites d’un comportement acceptable dans l’espace
— Center for Arms Control and Non-Proliferation

« Des tendances convergentes laissent présager une prolifération des systèmes spatiaux. La miniaturisation des satellites, combinée à la baisse des coûts de lancement et à la commercialisation de l’industrie spatiale, signifie que de plus en plus d’acteurs entrent dans le domaine de l’espace, et que tous n’utiliseront pas l’espace à des fins pacifiques », a déclaré le Centre pour le contrôle des armes et la non-prolifération dans une fiche d’information sur l’année 2023.

L’organisation a ajouté que faute de réglementations claires et en raison de régimes gouvernementaux ambitieux, les armées repoussent déjà les limites d’un comportement acceptable dans l’espace.

« Cela pourrait se traduire par des risques accrus de conflit à l’avenir, l’espace extra-atmosphérique étant de plus en plus encombré de capacités dangereuses », selon l’organisation.

Les trois catégories d’armes spatiales se répartissent en quatre types différents. Le projet Aerospace Security du Center for Strategic and International Studies (CSIS) les identifie comme suit : physique cinétique, physique non cinétique, électronique et cybernétique.

Le rapport 2024de la fondation Secure World note que « l’utilisation croissante de l’espace pour la sécurité nationale et la dépendance à son égard ont également conduit davantage de pays à envisager de développer leurs propres capacités counterspace qui peuvent être utilisées pour tromper, perturber, nier, dégrader ou détruire des systèmes spatiaux ».

C’est ce que souligne un rapport du National Air and Space Intelligence Center, qui indique que « les concurrents étrangers intègrent des technologies spatiales et « contre-spatiales » avancées dans leurs stratégies de combat afin de contester la supériorité des États-Unis et de se positionner en tant que puissances spatiales ».

Les responsables du Pentagone maintiennent qu’un avantage concurrentiel en matière d’armement spatial est nécessaire pour les États-Unis, car il semble que la Russie cherche à faire de même.

Lancement d’une fusée Longue Marche 7Y4 transportant le vaisseau cargo Tianzhou 3 destiné à approvisionner la station spatiale Tiangong, depuis le Centre de lancement spatial de Wenchang, dans la province de Hainan (Chine), le 20 septembre 2021. (STR/AFP via Getty Images)

Menaces spatiales

En avril, la représentante des États-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, s’est inquiétée du blocage par la Russie d’une « résolution simple » qui interdirait légalement à ce pays de lancer des armes de destruction massive en orbite.

« Bien entendu, ce n’est pas la première fois que la Russie sape le régime mondial de non-prolifération », a rappelé Mme Thomas-Greenfield. « Au cours des dernières années, la Russie a invoqué de manière irresponsable une rhétorique nucléaire dangereuse et s’est soustraite à plusieurs de ses obligations en matière de maîtrise des armements. Elle n’a pas voulu s’engager dans des discussions de fond sur la maîtrise des armements ou la réduction des risques. Enfin, elle a défendu et même permis à de dangereux acteurs de la prolifération d’agir. »

La même préoccupation a été soulignée par le général de division Patrick Ryder, secrétaire de presse du département de la Défense des États-Unis, lors d’un point de presse le 21 mai.

« La Russie a lancé un satellite en orbite terrestre basse que nous estimons être une arme counter-space vraisemblablement capable d’attaquer d’autres satellites en orbite terrestre basse. »

« La Russie a déployé cette nouvelle arme ‘antispatiale’ sur la même orbite qu’un satellite du gouvernement américain “, a précisé M. Ryder, ajoutant que les États-Unis avaient la ‘responsabilité’ de protéger et de défendre le domaine de l’espace.

Le 1er mars, les médias russes ont rapporté que le président Vladimir Poutine avait démenti les affirmations selon lesquelles il prévoyait de lancer des armes nucléaires dans l’espace, les qualifiant de « fake news » (fausses nouvelles). Toutefois, le chef de l’État russe a déclaré que l’espace devait rester l’objet d’une grande attention du gouvernement.

La Chine dispose également d’importantes capacités « antispatiales », selon le rapport 2024 publié dans le Journal of Strategic Studies. Selon les auteurs, la Chine « renforce la dissuasion spatiale par des armes offensives, ainsi que par des systèmes spatiaux plus résistants et redondants ».

Le rapport note que Pékin donne la priorité aux « capacités spatiales de neutralisation douce » (« soft-kill counter-space capabilities ») qui peuvent être utilisées dans les premières phases d’un conflit, réduisant ainsi le risque d’escalade. Un « soft kill » est souvent une mesure préventive visant à rendre inefficace ou imprécise une menace entrante, telle qu’un missile antichar.

« Nos résultats montrent que la stabilité de la première frappe dans l’espace varie de robuste à précaire en fonction des moyens et des cibles, les attaques soft-kill étant plus difficiles à dissuader », ont déclaré les auteurs de l’étude.

Avec 650 satellites en orbite, la Chine est le deuxième pays après les États-Unis en termes de flotte de matériel céleste.

Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors de sa visite du port spatial Vostochny Cosmodrome, dans la région extrême-orientale de la Russie, le 12 avril 2022. (Yevgeny Biyatov/Sputnik/AFP via Getty Images)

Dans le même temps, les termes mal définis de l’actuel Traité sur l’espace extra-atmosphérique (OST) pourraient être exploités et créer des menaces à court terme, selon les experts juridiques.

Mme Tsukerman estime que l’actuel traité n’est pas suffisant pour empêcher une course aux armements dans l’espace : « L’OST doit être révisé afin de disposer, au minimum, de capacités défensives suffisantes contre les menaces militaires irrégulières. »

Rédigé à une époque où l’idée de voir des pays s’affronter dans l’espace relevait de la science-fiction, le Traité de l’espace contient des termes qui, selon Mme Tsukerman, se prêtent à des interprétations.

« Il devrait ensuite définir les types spécifiques d’activités militaires ou d’activités à double action qui seraient interdites, la manière dont elles pourraient être contrôlées et appliquées efficacement, et ce qui se passerait si les mécanismes internationaux de contrôle et d’application échouaient, comme ils l’ont trop souvent fait », a-t-elle formulé

Les interdictions actuelles concernant l’utilisation de l’espace pour des activités militaires majeures peuvent être inadaptées à l’époque moderne sans engagements clairs et actualisés
— Nick Storrs, associé, Taylor Wessing

Nick Storrs, associé du cabinet d’avocats international Taylor Wessing, considère également que le libellé actuel du Traité de l’espace extra-atmosphérique pose problème.

« Si l’article IV interdit de placer des armes nucléaires ou des ADM en orbite ou sur des corps célestes, il ne couvre pas de manière adéquate d’autres utilisations militaires comme les satellites de reconnaissance ou les capacités de cyberguerre qui pourraient exploiter les ambiguïtés de la formulation actuelle du traité », selon un article publié sur le site web de Taylor Wessing. « Même les interdictions actuelles sur l’utilisation de l’espace pour des activités militaires majeures peuvent être inadaptées à l’époque moderne sans engagements clairs et actualisés. »

Mais même en cas de mise à jour du traité, Mme Tsukerman estime que les efforts risquent d’être vains.
« Je pense que l’interdiction des activités spatiales militaires est futile parce qu’elle désavantage les États respectueux de la loi face à de puissants régimes voyous qui, sous divers prétextes, peuvent ignorer, mal interpréter ou se retirer de ce traité et refuser d’être liés par le droit international », fait-elle remarquer.

Par ailleurs, M. Ellis estime que l’espace pose déjà des problèmes de sécurité en raison de la dépendance croissante à l’égard des équipements basés en orbite terrestre basse.

« C’est un domaine de guerre émergent, mais nous y sommes déjà. Presque tous les systèmes de communication et de navigation que nous possédons se trouvent dans l’espace, avant même que l’on parle d’armes exotiques », ajoute-t-il.

La fusée Artemis I Space Launch System et le vaisseau spatial Orion au complexe de lancement 39B du centre spatial Kennedy de la NASA en Floride, le 14 juin 2022. (NASA)

Néanmoins, le gouvernement américain anticipe les conflits spatiaux depuis des décennies.

Dans un document CADRE de 1999, l’ancien major de l’armée de l’air américaine William L. G. Spacy II reconnaît : « Un autre argument en faveur des armes basées dans l’espace, ou du moins un argument expliquant pourquoi elles sont inévitables, découle du fait que tout environnement accessible à l’homme est finalement devenu une arène de combat. »

En ce qui concerne les initiatives de « counter-space« , M. Ellis déclare : « Tout ce que vous pouvez imaginer peut être exploré. »

Selon Mme Tsukerman, les initiatives spatiales d’un gouvernement seront probablement le reflet de ses activités au sol. Dans certains cas, c’est une bonne nouvelle. Mais lorsqu’il s’agit d’acteurs malveillants ou de régimes autoritaires, il faut s’attendre au même comportement dans l’espace.

« Attendre quelque chose de différent, comme la résolution des conflits par des actions légales ou des délibérations politiques plutôt que par des activités militaires, est un exercice futile », conclut-elle. « Ce n’est qu’une question de temps avant que les interdictions ne soient violées, en commençant par de petits empiétements qui tombent dans des zones grises. »

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