ARTS & CULTURE

La Belle promise, chronique de femmes du Moyen-Orient

juillet 7, 2015 11:00, Last Updated: juillet 7, 2015 10:23
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Le temps s’est arrêté dans la Villa Touma, habitée par les trois sœurs Juliette, Violette et Antoinette. Les trois femmes font partie d’une communauté palestinienne chrétienne, une aristocratie en voie de disparition en Cisjordanie.

Villa Touma est le premier long métrage de Suha Arraf connue pour les deux scénarios qu’elle avait écrits avec le réalisateur israélien Eran Riklis La Fiancée syrienne en 2004 et Le Citronnier en 2008.

Un monde à part

Décalées de leur environnement, les trois sœurs vivent enfermées dans une petite bulle figée dans le temps et l’espace, raccrochées à leur vie passée, celle d’avant l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Difficile à dire en quelle année nous sommes. Au début du film, on se croit dans les années 60 – coiffure, habits et mœurs, alors que le monde extérieur nous fait comprendre qu’on est bien au XXIe siècle.

Cette aristocratie chrétienne s’est établie au XIXe siècle sous l’empire ottoman suite à une loi permettant aux particuliers d’acheter des terres. De magnifiques villas ont été bâties par des riches chrétiens qui pour la plupart venaient du Liban, de Jordanie et d’autres pays voisins. Ces familles menaient une vie légendaire et luxueuse : carrosses, gants de soie, fresques, fontaines, patios, sols en marbre… de vrais palais ont vu le jour.

Après la guerre de 1967, une grande partie de cette aristocratie harcelée par la population musulmane et perturbée par l’occupation a immigré aux États-Unis ou au Canada.

Les trois sœurs, faisant partie d’une famille riche qui a perdu « après la guerre » – une expression qui revient tout au long du film comme un leitmotiv – la plupart de ses biens et de ses privilèges, s’acharnent pour garder leur honneur et leur apparence respectable.

La grande sœur Juliette dirige le foyer d’une main de fer et avec des règles strictes pour préserver la maison et ses habitants du passage du temps et du monde extérieur.

Un jour, leur nièce Badia arrive et bouleverse la situation : la fine couche de calme qui enveloppe les souvenirs troublants des amours ratés et autres secrets des trois sœurs est balayée.

Le père de Badia, frère des trois sœurs, a été banni de la famille suite à son mariage avec une femme musulmane. Badia a grandi dans un orphelinat. À 18 ans, elle vient rejoindre ses tantes dans leur domaine.

Les tantes vont lui apprendre les manières des grandes dames de la haute société afin de lui trouver un mari qui serait, selon elles, à la hauteur de leur famille. Elles cherchent le futur mari dans les enterrements, dans les mariages, à la messe. Elles organisent des « Tea Parties » au cours desquelles la jeune Badia doit impressionner par ses talents au piano et ses connaissances en français qu’elle a récemment appris chez les tantes. Mais la pauvre orpheline est aussi maladroite pour servir le thé que pour jouer du piano, faisant fuir ainsi les candidats potentiels et leur mère. Comme si tout cela ne suffisait pas, Badia rencontre un musulman tout droit sorti d’un camp de réfugiés qui s’implique dans des actions terroristes. À partir de là, la comédie se fait tragédie et la fin inéluctable.

L’ambiance claustrophobe et artificielle, les rituels de la maison, presque chorégraphiés, les scènes d’hystérie et les secrets dévoilés au fur et à mesure ne font qu’accentuer la réalité artificielle de cette aristocratie déchue.

Peu à peu, le monde extérieur pénètre dans la maison. Les tirs qu’on entend la nuit et les affiches des Shahids – les « martyrs » qu’on voit sur les murs de Ramallah quand les quatre femmes traversent la ville, sont les seuls témoignages de cette guerre qui dure toujours.

Une bourgeoisie en déchéance

Arraf présente une bourgeoisie chrétienne déchue, ignorante du monde qui l’entoure et renfermée sur elle-même.

Les trois sœurs et leur nièce, à la fois grotesques et pathétiques dans leur élégance exorbitante (avec des fourrures ou des gants en soie jusqu’aux coudes dans la chaleur du Moyen-Orient), traversent les rues de Ramallah où des jeunes musulmans qui traînent sur les trottoirs les sifflent et où de jeunes femmes voilées se moquent d’elles. Un état courant dans la région où les chrétiens sont quotidiennement harcelés par les musulmans.

Le film critique également l’attitude hautaine des chrétiens envers les musulmans. Le frère est banni pour avoir choisi une femme musulmane et les sœurs interdisent à Badia d’appeler « oncle » le vieil ouvrier musulman qu’elles emploient.

La belle promise est avant tout un film de femme sur des femmes palestiniennes qui vivent sous la double oppression de la tradition et de la guerre. Les deux grandes sœurs préfèrent voir leur nièce mourir plutôt que de voir souiller l’honneur de la famille.

Suha Arraf, la réalisatrice est citoyenne israélienne de la ville de Haïfa, où musulmans, juifs, chrétiens et autres minorités cohabitent en harmonie. Ses deux scénarios, Le Citronnier et La Fiancée syrienne exposent les conséquences sur les femmes du conflit au Moyen-Orient.

Les actrices israéliennes Nisreen Faour (Juliette), Maria Zreik (Badia) et Ula Tabari (Violette) ainsi que l’américaine Cherien Dabis (Antoinette) jouent à merveille. La parfaite esthétique, l’intrigue parfois trop figée et l’excès de théâtralité peuvent au début servir le film mais deviennent au final la principale faiblesse de ce long métrage qui a tout de même le mérite de traiter d’un sujet important et trop peu connu.

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