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La chimie bio-inspirée pour un monde plus économe en énergie

janvier 14, 2019 9:15, Last Updated: janvier 14, 2019 9:15
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Le biomimétisme ne date pas d’hier. Au XVIe siècle, Léonard de Vinci en énonçait déjà le principe : « Prenez vos leçons dans la nature, c’est là qu’est notre futur ». Cinq siècles plus tard, ce conseil est toujours d’actualité. En étudiant les solutions développées depuis près de 4 milliards d’années par la nature pour survivre, s’adapter, se développer et se diversifier, les scientifiques peuvent s’en emparer pour les transférer et les adapter aux besoins de notre société.

Témoin des progrès dans ce domaine, le prix Nobel de Chimie a récompensé en 2018 les chercheurs Frances Arnold, George Smith et Gregory Winter pour être parvenus à prendre le contrôle de l’évolution par le biais de mutations génétiques et de sélection naturelle. Ce procédé a permis de donner naissance à des enzymes non-naturelles capables de réaliser des réactions chimiques complexes. Le biomimétisme, quant à lui, ne cherche pas à contrôler l’évolution mais à en utiliser les résultats en s’inspirant des systèmes naturels déjà existants.

L’approche biomimétique a donné lieu à des avancées spectaculaires dans les domaines de l’aéronautique, l’architecture, ou encore l’industrie textile. Ce concept ingénieux est également à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui la chimie bio-inspirée.

Comment mimer la nature

De quoi s’agit-il ? Le chimiste recherche, dans un premier temps, un processus biologique capable de réaliser la fonction désirée, et il identifie l’enzyme responsable. Par exemple, il va s’inspirer du processus qui conduit des enzymes appelées hydrogénases à produire de l’hydrogène. Puis il construit des molécules dont la structure va mimer les éléments essentiels dans le but de reproduire l’activité désirée.

Cette stratégie est notamment celle de chercheurs qui souhaitent relever les défis liés à la transition écologique et énergétique. Leur but est de mettre au point des alternatives aux processus industriels actuellement utilisés en concevant des catalyseurs bio-inspirés. Expliquons ce terme. Soit une réaction catalysée par une enzyme : le mimétisme mis en œuvre par le chimiste cible uniquement le site de l’enzyme où a lieu la transformation. On parle de site actif. L’objectif final est de reproduire les propriétés exceptionnelles des enzymes, telles que la sélectivité (un seul produit formé au cours de la réaction) et l’efficacité (bons rendements énergétiques et grande vitesse).

Schéma d’une enzyme. (Auteurs, Author provided)

Pourquoi chercher des alternatives aux procédés industriels actuels ? Le plus souvent, ceux-ci impliquent des conditions de production polluantes (production de gaz à effet de serre) et énergivores. Cela se combine à l’utilisation de catalyseurs à base de métaux rares et chers (d’où des problèmes géopolitique et économique), voire toxiques. Or les enzymes, et plus particulièrement les enzymes contenant un métal (les métalloenzymes) sont capables de catalyser ces mêmes réactions dans l’eau, à température ambiante et pression atmosphérique, en utilisant des métaux abondants, non toxiques et bon marché comme le manganèse, le fer, le nickel ou le cuivre.

Comment le catalyseur bio-inspiré est-il conçu ? Le site actif d’une métalloenzyme est constitué d’un ou plusieurs ions métalliques et d’un environnement chimique spécifique à la réactivité. Le chimiste élabore une enveloppe (ou ligand) autour du même métal qui va reproduire le plus fidèlement possible celle du site actif, notamment sa forme et sa composition chimique.

Mais souvent, la conception d’une telle enveloppe nécessite de définir d’autres éléments essentiels à reproduire pour pouvoir s’affranchir de la « charpente » de l’enzyme tout en conservant la réactivité ciblée. Ainsi le chimiste va utiliser ses outils de synthèse pour modifier de façon systématique l’environnement du métal afin de faire le lien entre la structure et l’activité du modèle. Ce travail permet également d’en savoir plus sur le mode d’action des métalloenzymes. De tels travaux s’inscrivent donc dans le domaine de la recherche fondamentale et permettent d’améliorer notre connaissance des processus du vivant.

Chimie bio-inspirée. (Auteurs, Author provided)

À plus long terme, cette approche pourrait donc conduire au développement de catalyseurs pour l’industrie de demain en répondant à ses exigences environnementales et énergétiques. Pour illustrer notre démarche de chimistes, un exemple de travaux en cours sur le biomimétisme qui s’inspire de métalloenzmes : dans le cadre de la transition énergétique, l’hydrogène (H2) est l’un des candidats les plus attractifs pour remplacer les énergies fossiles. Les obstacles majeurs pour son utilisation à grande échelle sont sa production et son stockage. Pour faire avancer la recherche, des chimistes se sont inspirés de l’hydrogénase, une métalloenzyme capable de produire de l’hydrogène gazeux à partir des atomes d’hydrogène constitutifs de l’eau (H2O) dans des conditions « normales » en utilisant un site actif constitué de nickel et de fer.

Ils ont conçu un système qui mime à la fois la structure de ce site actif et sa réactivité. L’étude de ce modèle a permis de mettre au point un système catalytique capable de produire H2 dans l’eau à pH acide, à température ambiante, de manière efficace et stable (chaque catalyseur pouvant produire plus de 1 000 molécules de H2 sans dégradation). En plus, les informations tirées de ce modèle ont permis de mieux comprendre le mécanisme mis en jeu au sein de l’enzyme naturelle. Ainsi l’approche biomimétique présente un double avantage, fournir des outils pour les industries de demain et déchiffrer la complexité du vivant.

Des défis à relever

Cette stratégie s’est déjà montrée particulièrement efficace dans divers domaines, mais il reste des défis à relever. Citons l’un d’entre eux, la production d’ammoniac (NH3) à partir de l’azote de l’atmosphère (N2). Si cette réaction peut paraître triviale, il faut se rendre compte qu’au niveau industriel (procédé Haber-Bosch), elle consomme à elle seule 1 % de l’énergie produite dans le monde. L’ammoniac ainsi produit est utilisé dans la fabrication des engrais, et on voit bien l’intérêt d’une enzyme capable de faire cette réaction dans des conditions moins énergivores. Mais pour le moment, la recherche n’a pas permis d’y arriver.

Carole Duboc, Directrice de recherche au CNRS, chercheuse en chimie moléculaire, Université Grenoble Alpes et Damien Jouvenot, Maître de Conférences en Chimie, Université Grenoble Alpes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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