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La Chine va-t-elle parvenir à retourner l’Afrique contre l’Occident?

septembre 8, 2024 6:07, Last Updated: septembre 8, 2024 19:12
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JOHANNESBURG – Le dirigeant chinois Xi Jinping est passé à la vitesse supérieure dans ses tentatives de retourner les pays du Sud contre l’Occident.

Xi Jinping a promi près de 51 milliards de dollars (46 milliards d’euros) de financement aux pays africains au cours des trois prochaines années et s’engage à les placer à l’avant-garde d’une « révolution des énergies renouvelables » mondiale, selon ses termes.

Son administration a profité du Forum sur la coopération sino-africaine (Forum on China-Africa Cooperation, FOCAC) qui s’est tenu cette semaine à Pékin, auquel ont participé 50 dirigeants africains. Le ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié le sommet d’« événement diplomatique le plus important de ces dernières années », visant à renforcer les liens commerciaux et militaires avec les pays africains.

Le dirigeant chinois a également promis d’aider à « créer au moins un million d’emplois pour l’Afrique » et de verser 141 millions de dollars (127 millions d’euros) de subventions pour l’assistance militaire, affirmant que Pékin « assurera la formation de 6000 militaires et de 1000 policiers et agents chargés de l’application des lois en Afrique ».

En échange de toutes ces promesses Xi Jinping a souligné l’importance pour l’Afrique de s’allier à la Chine contre « l’hégémonie occidentale ».

Dans une déclaration commune, Xi Jinping et les dirigeants africains, dont Cyril Ramaphosa, président de la plus grande économie du continent, l’Afrique du Sud, ont convenu de « travailler ensemble pour construire un monde multipolaire égal et ordonné et une mondialisation économique universellement bénéfique et inclusive ».

Michael Schuman, chercheur principal au Global China Hub de l’Atlantic Council, a déclaré à Epoch Times qu’il s’agissait d’une « formule diplomatique visant à diffuser le message que le monde est inégal et désordonné, et que le coupable est la domination occidentale, et qu’il est temps de se tourner vers des alternatives dirigées par les Chinois ».

Par le biais de son programme de développement mondial, l’initiative Ceinture et Route (Belt and Road Initiative, BRI), la Chine a arrosé l’Afrique pendant plus d’une décennie avec des projets d’infrastructure de plusieurs milliards de dollars, qui ont également laissé de nombreuses nations lourdement endettées auprès de Pékin.

Selon des données publiées par l’Université de Boston, depuis 2000, la Chine a prêté 182 milliards de dollars (164 milliards d’euros) à 49 gouvernements africains.

Pourtant, l’économie chinoise s’étant ralentie ces dernières années, Pékin a réduit le financement des mégaprojets tout en exigeant le remboursement des prêts, conduisant généralement à une réduction des dépenses dans les secteurs publics, comme les soins de santé, des pays africains.

Le Kenya, la plus grande économie d’Afrique de l’Est, doit à lui seul 8 milliards de dollars (7,2 milliards d’euros) à la Chine.

Li Hangwei, chercheuse principale à l’Institut allemand du développement et de la durabilité (Institute of Development and Sustainability), a déclaré à Epoch Times que la Chine était devenue « très méfiante » face aux critiques concernant ses activités en Afrique.

Depuis de nombreuses années, nous entendons parler du « piège de la dette » que la Chine tend aux pays en développement, et nous savons que la Chine exploite les minéraux et les métaux précieux africains et les ramène chez elle pour son propre bénéfice, avec très peu de valeur ajoutée pour l’Afrique », a-t-elle déclaré.

« Au Sommet FOCAC, les signes étaient clairs : la Chine veut s’éloigner de cette pratique. À l’avenir, il est probable qu’elle finance un grand nombre de petits projets, comme l’embellissement des villes africaines, le soutien à l’agriculture et la réduction de la pauvreté. »

Des conteneurs d’expédition sont placés à côté des lignes de chemin de fer du port de Mombasa, à Mombasa, au Kenya, le 1er septembre 2018. (Luis Tato/Bloomberg via Getty Images)

« Elle continuera à donner beaucoup d’argent à l’Afrique, mais cet argent sera beaucoup plus dispersé. »

Selon le Forum économique mondial, la Chine est devenue, au cours des 20 dernières années, le premier partenaire commercial bilatéral de l’Afrique subsaharienne.

Selon le Fonds monétaire international, environ 20 % des exportations de la région sont désormais destinées à la Chine et environ 16 % des importations de l’Afrique proviennent de la Chine, ce qui représente un volume commercial total record de 282 milliards de dollars (254 milliards d’euros) en 2023.

Les métaux, les produits minéraux et les carburants représentent environ trois cinquièmes des exportations africaines vers la Chine, tandis que l’Afrique importe principalement des produits manufacturés, de l’électronique et des machines.

« Xi Jinping et, avant lui, Hu Jintao, ont été les premiers dirigeants mondiaux à reconnaître l’importance des minéraux, des métaux et des combustibles africains pour l’avenir », selon Cobus van Staden, directeur du projet Chine-Afrique à l’université sud-africaine de Wits.

Les terres rares, ainsi que le cobalt et le lithium, sont essentiels à la fabrication des technologies modernes, notamment les ordinateurs, les téléphones portables et les composants d’énergie renouvelable comme les batteries pour les véhicules électriques et les turbines éoliennes.

L’Afrique subsaharienne détient la plus grande concentration de ces minéraux et métaux, et la Chine domine déjà les secteurs de la transformation et l’approvisionnement de la région.

« Xi Jinping a également mis très intelligemment à profit les frustrations géopolitiques des pays africains, qui se sentent exclus des processus décisionnels importants dans les organisations internationales comme les Nations unies, et injustement traités par le FMI et la Banque mondiale », selon M. Van Staden.

« Xi Jinping offre aux pays du Sud une chance de prendre un autre chemin et de se détacher de la soi-disant hégémonie occidentale en se joignant à une sorte de rébellion anti-occidentale afin d’exercer une plus grande influence sur les affaires mondiales », a-t-il ajouté.

« Si cela se produit, la Chine s’en trouvera économiquement et politiquement renforcée, bien sûr. »

Un pont à quai charge la cargaison du paquebot Chine-Afrique Shengli Grace dans le port de Yantai, dans la province du Shandong (Chine orientale), le 21 décembre 2021. (Tang Ke/Costfoto/Future Publishing via Getty Images)

Au cours des deux dernières années, l’approche de Xi Jinping à l’égard du monde en développement a connu un changement significatif, a déclaré Eric Olander, directeur du China-Global South Project, une organisation à but non lucratif basée à New York qui étudie la présence de la Chine en Afrique.

« Xi Jinping, et bien sûr le Parti communiste chinois dans son ensemble, sont obsédés par la compétition géopolitique avec les États-Unis et leurs alliés et partenaires », a-t-il déclaré à Epoch Times.

Selon lui, ce changement aura des conséquences majeures sur les relations de Pékin avec l’Afrique et l’ensemble des pays du Sud.

Pourtant , selon M. Schuman, l’antiaméricanisme qui caractérise désormais la politique étrangère de Xi Jinping risque de compromettre les efforts de développement de la Chine en Afrique.

Fractures avec Pékin

Selon M. Van Staden, alors que tous les dirigeants africains étaient « tout sourire » lors du Sommet FOCAC de cette semaine, des dissensions avec Pékin apparaissent sur tout le continent.

« Les grandes puissances économiques comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya ont clairement indiqué qu’elles souhaitaient nouer des liens avec l’Occident et la Chine, et qu’elles n’étaient pas disposées à entretenir des relations avec l’un ou l’autre exclusivement», selon M. Van Staden.

Avant le sommet, l’Angola, l’un des principaux producteurs de pétrole d’Afrique, a indiqué qu’il préférait accroître ses échanges avec l’Europe.

Selon M. Schuman, la politique de Xi Jinping à l’égard des pays du Sud vise surtout à renforcer la sécurité de la Chine et à promouvoir les intérêts de la Chine sur l’échiquier mondial.

Il a ajouté que le programme de Pékin visant à recruter des dirigeants du Sud dans un « vaste mouvement anti-américain » est particulièrement visible dans l’influence de Xi Jinping sur le groupe des nations en développement BRICS.

Les membres originels du BRICS sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.

En 2023, Xi Jinping a réussi à faire pression pour que le groupe s’élargisse.

Le groupe a approuvé l’inclusion de l’Argentine, de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Iran, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

« Ces pays ont en commun une influence économique ou diplomatique de la part de la Chine, ou une ambition à établir des partenariats plus étroits de la part de la Chine », a déclaré M. Schuman.

« L’Égypte et l’Éthiopie entretiennent des liens politiques étroits avec la Chine et sont lourdement endettées auprès de prêteurs chinois. Pékin aide même l’Égypte à construire une toute nouvelle capitale. »

Comme la Russie, l’Iran est soumis à des sanctions occidentales et dépend donc du soutien diplomatique et économique de la Chine.

À l’époque de l’expansion des BRICS, l’Argentine évitait un défaut de paiement sur les prêts du Fonds monétaire international en utilisant des fonds de la Banque centrale chinoise.

Selon M. Schuman, Pékin souhaitait que les Saoudiens et les Émiratis deviennent des partenaires du Moyen-Orient.

« Xi Jinping a très probablement l’intention de les voir soutenir les objectifs et les intérêts de la politique étrangère chinoise, non seulement au sein des BRICS, mais aussi dans d’autres forums et initiatives », a-t-il commenté.

Selon M. Schuman, l’expansion des BRICS et les efforts de la Chine lors du sommet FOCAC de cette semaine visent à créer un mouvement multinational qui « soutiendra potentiellement l’agenda anti-américain de Xi Jinping et l’aidera à transformer ce groupe et d’autres en alternatives au G7 et d’autres forums internationaux influencés par les États-Unis ».

Avant le FOCAC, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a exhorté les pays en développement à s’opposer à la « politisation et à la sécurisation des questions économiques et à l’augmentation des sanctions unilatérales et des barrières technologiques ».

« Ce que Wang dit ici, c’est que les pays en développement doivent s’opposer aux politiques américaines auxquelles Pékin s’oppose », a déclaré M. Van Staden.

Selon M. Schuman, plus l’antiaméricanisme de Xi Jinping « oriente ses politiques, plus les relations de Pékin avec les pays en développement pourraient être mises à l’épreuve. »

« Pékin fait intrinsèquement et ouvertement pression sur les gouvernements des pays du Sud pour qu’ils prennent parti contre les États-Unis. »

Selon lui, Pékin s’attend à ce que les dirigeants africains approuvent publiquement l’ « Initiative de sécurité globale » (Global Security Initiative) de Xi Jinping, dont les principes sont contraires aux idéaux et aux pratiques des affaires internationales privilégiés par les États-Unis et leurs alliés.

« Contre-attaque »

Le professeur William Gumede, directeur de l’école de gouvernance de l’université Wits de Johannesburg, a déclaré à Epoch Times que les tentatives de la Chine pour forcer les élites politiques africaines à se ranger de son côté contre l’Occident, et les États-Unis en particulier, « pourraient, dans une certaine mesure, se retourner contre elle ».

« Les pays africains ne sont pas aliénés par l’Occident, comme le sont la Russie et l’Iran. Une grande partie de l’Afrique bénéficie énormément des liens avec l’Amérique et l’Europe. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils souhaitent risquer d’affaiblir ces liens », a-t-il déclaré.

M. Gumede a ajouté que derrière toutes les « accolades et la bonhomie » du Sommet FOCAC, les dirigeants africains « n’aiment pas être utilisés comme des outils dans la guerre géopolitique de la Chine contre les États-Unis ».

Selon lui, il s’agit d’une occasion pour Washington de « se rapprocher de l’Afrique, précisément au moment où la Chine tente de creuser un fossé » entre l’Afrique et les États-Unis.

« Joe Biden a clairement indiqué qu’il souhaitait que l’Afrique ait une voix plus forte dans les affaires mondiales, par exemple en accordant à un pays africain un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU », a déclaré M. Gumede.

L’Afrique est la seule région à ne pas avoir de siège permanent, bien qu’elle représente 54 des 193 membres de l’ONU et près de 20 % de la population mondiale.

M. Schuman a déclaré : « Donner à l’Afrique plus de pouvoir dans la gouvernance de l’ordre mondial actuel pourrait contribuer grandement à contrer une Chine qui a de plus en plus l’intention de l’enrôler dans une campagne contre cet ordre.

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