La Cour des comptes en France a pointé lundi dernier des recours « inappropriés » du gouvernement aux cabinets de conseil privés. Ce dossier brûlant qui embarrasse Emmanuel Macron, a conduit à l’ouverture d’enquêtes judiciaires.
« Une doctrine d’emploi incomplète », « un pilotage mal assuré », « des dispositifs de recours aux marchés mal adaptés », des « anomalies au regard du droit des marchés »… La Cour des comptes critique fermement l’État français pour ses recours abusifs aux cabinets de conseil privés. Dans un rapport rendu public lundi 10 juillet, les magistrats de la rue Cambon ont mis en évidence « l’absence d’un cadre cohérent et de dispositions claires pour permettre aux ministères et entités concernées de faire un usage pertinent des prestations externes ».
La Cour accuse notamment l’État de laisser certains prestataires privés comme les cabinets EY, BCG ou Roland Berger remplir des missions relevant du « cœur de métier de l’administration », voire même « intervenir dans le processus de décision ». Il s’agit là des pratiques dénoncées dès mars 2022 par la sénatrice communiste Éliane Assassi et son collègue Les Républicains Arnaud Bazin. Les deux sénateurs ont en effet qualifié de « phénomène tentaculaire » les missions confiées par l’État aux cabinets privés. Leur rapport, sorti quelques semaines avant l’élection présidentielle, avait embarrassé Emmanuel Macron, épinglé pour sa proximité alléguée avec de grands noms du conseil, selon l’AFP.
Cabinets de conseil : « Le cabinet McKinsey a fait des copier/coller de documents qu’ils remettaient à d’autres pays que la France, comme en Australie (…) Ils changeaient simplement les chiffres »
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— Public Sénat (@publicsenat) March 17, 2022
Le Parquet national financier a ouvert en octobre 2022 deux informations judiciaires sur des soupçons de financement illégal des campagnes électorales d’Emmanuel Macron et sur les liens entre le camp présidentiel et des membres du cabinet McKinsey qui auraient pu œuvrer gratuitement lors de la campagne de 2017.
Usages « inappropriés » : McKinsey cité à plusieurs reprises
Dans son rapport d’environ 150 pages, la Cour des comptes appelle le gouvernement à un recours « mieux maîtrisé » à ces cabinets et s’inquiète encore de certains usages « inappropriés ».
Par exemple, des consultants de McKinsey ont été missionnés pour jouer un rôle déterminant pendant la campagne vaccinale contre l’épidémie de Covid-19 : ils supportaient alors non seulement la TFV (une unité de ressources propres de l’administration baptisée « Task Force vaccination »), mais géraient également la coordination entre le ministère de la Santé et Santé publique France. Cependant, ce rôle limitait « la capacité du ministère à garantir la qualité du travail des consultants », selon les magistrats financiers de la rue Cambon.
La moitié du montant total des dépenses de prestations externes pour la campagne vaccinale liée au Covid-19 (22,7 millions d’euros) a été versé à McKinsey (11,7 millions). Si la Cour admet que la TFV était insuffisante « au moins en début de la période », le recours aux prestataires issus de McKinsey « ne devait pas se prolonger, sauf à créer une situation préjudiciable pour les services de l’État eux-mêmes ».
Les experts de la Cour des comptes ont pourtant constaté que « le recours à des compétences externes s’est poursuivi en dépit des renforcements successifs de la TFV ». La TFV était alors capable d’assurer « une partie des missions confiées à des compétences externes ». De plus, le coût moyen journalier par prestataire externe est « une charge élevée », nettement supérieur à celui d’un agent du public.
En outre, « le recours continu à des prestations externes traduit dans ce cas un manque d’appropriation des techniques mises en œuvre par le prestataire pendant plus d’un an, créant une situation de dépendance à son égard », relève la Cours des comptes.
Une « solution de facilité »
En 2021, les prestations commandées par l’État aux consultants ont coûté 233,6 millions d’euros. En incluant les prestations commandées aux cabinets dans le domaine informatique, les dépenses pour des cabinets de conseil grimpent à 890 millions. Ces dépenses ont donc « triplé » entre 2017 et 2021.
Selon la Cours des comptes, le recours aux consultants privés a eu tendance à devenir une « solution de facilité » pour une administration aux moyens et aux délais contraints. Plus grave encore, « dans certains cas », des services publics « ont eu recours à des cabinets privés au cours de la période dans un cadre juridique inadapté, l’objet de la commande ne correspondant pas au périmètre du marché ou de l’accord-cadre qui lui servait de support ».
Par exemple, de fin 2020 à début 2022, le ministère de la Santé a fait appel au cabinet privé McKinsey pour « l’accompagner dans la définition de l’organisation logistique de la vaccination contre l’épidémie de Covid-19 », pour des montants qui ont atteint 11,7 millions d’euros. Pour ce faire, le ministère de la Santé s’est appuyé sur l’accord-cadre « Transformation » sans passer formellement de marché. Pour la Cour des comptes, une « telle assimilation apparaît néanmoins artificielle », « dès lors qu’il s’agissait de mettre en œuvre une politique publique, et non une action de modernisation de l’État » pour être conforme à l’accord-cadre « Transformation ». « De fait, le choix de cette procédure a conduit le ministre à en endosser la responsabilité au lieu de ses services en signant lui-même l’acte d’engagement de ce marché. »
« Une loi est plus que jamais nécessaire »
Très largement adoptée au Sénat en octobre 2022, une proposition de loi visant à davantage encadrer le recours aux consultants privés attend toujours d’être examinée à l’Assemblée nationale. Deux députés, issus des groupes communiste et Renaissance, doivent présenter mercredi 12 juillet les conclusions d’une mission d’information sur le champ d’application de la proposition de loi que la majorité présidentielle réfléchit à étendre aux collectivités locales.
« Une loi est plus que jamais nécessaire », ont insisté les sénateurs Arnaud Bazin et Éliane Assassi dans un communiqué diffusé lundi. « Nous avons perdu suffisamment de temps, le gouvernement doit passer des promesses aux actes. »
Interrogé par l’AFP, un parlementaire d’opposition voit dans ces débats sur le périmètre du texte une manœuvre dilatoire du gouvernement. Quant aux cabinets, leur syndicat Syntec Conseil juge la proposition de loi « déconnectée de la réalité » et certaines dispositions inconstitutionnelles.
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