À l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, aucune force politique n’a pu obtenir la majorité absolue et n’est donc en mesure de gouverner seule. Cette situation inédite sous la Ve République nous amène à regarder ce qu’il se fait ailleurs en Europe, plus précisément chez nos voisins allemands, connus pour leur capacité à dépasser les divergences politiques et à bâtir des alliances transpartisanes. Retour sur un modèle qui fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours, ses limites et sa potentielle application en France.
La culture de la coalition outre-Rhin
Les coalitions en Allemagne peuvent-elles être une source d’inspiration pour la France ? C’est l’une des questions qui anime les médias français et européens depuis le soir du 7 juillet. Le Nouveau Front populaire, le bloc central, le RN et leurs alliés n’ayant pas remporté le nombre de sièges suffisant pour décrocher une majorité absolue, il n’est pas exclu qu’une alliance « à l’allemande » se forme entre certaines familles politiques au Palais Bourbon, de manière à débloquer la situation.
Outre-Rhin, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création de la République Fédérale Allemande (RFA), les coalitions rythment la vie politique du pays et s’inscrivent même dans sa culture tant il est rare pour un parti de remporter la majorité absolue au Bundestag, le parlement allemand. D’ailleurs, la seule fois où une formation politique l’a obtenue, à savoir la CDU-CSU en 1957 dirigée par Konrad Adenauer, cette dernière s’était alliée à un autre parti de droite, le « Parti allemand », dissout en 1961 et refondé sous un autre nom en 1993.
Des coalitions de tous types voient le jour chez nos voisins allemands depuis 75 ans. Certaines sont plus conventionnelles, à l’instar de celles formées entre les sociaux-démocrates du SPD et les conservateurs de la CDU-CSU sous le chancelier Ludwig Erhard entre 1965 et 1969 ou pendant la quasi-totalité de l’ère Merkel. D’autres sont un peu plus baroques, comme celle au pouvoir depuis 2021 sous l’égide du chancelier Olaf Scholz, qualifiée parfois de coalition « feu tricolore » en référence au rouge du SPD, au jaune du parti libéral FDP et au vert des écologistes.
Mais peu importe leur nature, elles sont toutes l’aboutissement d’un processus comportant des phases précises et définies : les discussions exploratoires entre les différentes formations politiques qui souhaitent former une coalition ; vient ensuite, en cas d’accord après les discussions, la phase de la rédaction d’un « contrat de gouvernement » au cours de laquelle des compromis sur les politiques à mettre en œuvre doivent être trouvés.
Et pour être parfaite, une coalition doit présenter une grande orientation claire sur laquelle les partis unis se seront mis d’accord. Par exemple, la coalition actuellement aux affaires avait promis d’ « accélérer la modernisation de l’État ».
Les limites du modèle germanique
Même si les coalitions sont bien ancrées dans les mœurs politiques allemandes, elles ne sont ni évidentes, ni simples. Elles sont parfois le résultat de longues et intenses discussions. Deux mois de négociations avaient été nécessaires en 2021 pour la coalition « feu tricolore ». Elles peuvent également ne pas aboutir. En 2013, les conservateurs, les Verts et les libéraux n’étaient pas parvenus à former une alliance.
Des événements peuvent également mettre en exergue les divergences que les alliances transpartisanes tentent de cacher. En Allemagne, la guerre en Ukraine a ébranlé la coalition entre le SPD, le FDP et les Verts. Quand les écologistes et les libéraux affichent des positions fortes en matière de soutien à Kiev, une certaine aile du SPD, dont fait partie le chancelier Olaf Scholz, se veut plus tempérée. Les Verts et le FDP reprochent notamment à leur allié social-démocrate son opposition à l’envoi de missiles de croisière Taurus aux Ukrainiens.
Sa difficile application en France
« L’une des erreurs majeures est de prétendre qu’il suffirait de copier les voisins […] Mais la France n’a pas cette culture du compromis et du contrat de coalition. Nous ne nous asseyons pas à table pour discuter poliment, nous faisons la révolution », affirmait il y a quelques jours dans un entretien à Epoch Times l’avocat et essayiste Ghislain Benhessa.
Nos leaders politiques semblent être, de part et d’autre du spectre, dans des logiques plus conflictuelles et n’ont pas l’habitude de construire des coalitions contrairement à nos voisins d’outre-Rhin. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (Nupes) formée par les principaux partis de gauche à l’occasion des élections législatives de 2022, avait très rapidement connu des divisions, notamment entre le PCF et LFI, jusqu’à la rupture provoquée par les propos et les prises de positions de certains élus Insoumis après les attaques du 7 octobre 2023 en Israël. Le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon avait lui-même acté la fin de la Nupes presque deux mois après.
Les différents partis de gauche se sont à nouveau unis autour du Nouveau Front populaire pour les élections législatives anticipées de ce mois de juin, leur permettant d’arriver en tête du scrutin devant le bloc central et le RN. Mais la gauche unie a déjà du plomb dans l’aile puisque le PS, les Écologistes, le PCF et LFI peinent à se mettre tous d’accord sur un nom à proposer à Emmanuel Macron pour Matignon. Les communistes et les Insoumis avaient proposé celui de la présidente du conseil régional de la Réunion Huguette Bello, mais le PS a décidé de ne pas soutenir sa candidature, préférant son Premier secrétaire Olivier Faure, et les Écologistes ne se sont pas prononcés. L’intéressée a, par ailleurs, décliné l’offre regrettant que son nom « ne fasse pas l’objet de consensus ».
À droite aussi, les alliances se font difficilement. Celle conclue entre LR et le RN quelques semaines avant le premier tour des législatives ne s’est faite que partiellement puisque seule l’aile ciottiste des Républicains a choisi de s’allier au parti de Jordan Bardella.
Il apparaît donc qu’en France, la culture du compromis politique ne soit pas de rigueur. Si les partis politiques issus du même courant peinent à bâtir des alliances solides, s’inspirer du modèle allemand, c’est-à-dire savoir unir des partis radicalement opposés pour gouverner pourrait s’avérer encore plus difficile pour la suite.
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