Achats de vaccins : « La décision du Tribunal ouvre la voie à une enquête sur les conflits d’intérêts que la Commission cherchait à dissimuler », déclare Me Arnaud Durand

Par Etienne Fauchaire
18 juillet 2024 11:55 Mis à jour: 18 juillet 2024 12:01

ENTRETIEN – Le manque de transparence de la Commission européenne condamné dans deux arrêts rendus ce 17 juillet par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’institution n’a « pas donné au public un accès suffisamment large aux contrats d’achat de vaccins contre la Covid-19 », écrit-elle dans un communiqué. La première décision fait suite à un recours déposé en octobre 2021 par des eurodéputés menés par Michèle Rivasi, décédée en novembre dernier, tandis que la seconde est le fruit d’une action collective lancée par 2089 requérants et confiée à deux avocats : Thibaut Saint-Martin et Arnaud Durand. Ce dernier revient dans cet entretien sur le déroulement de sa procédure et sur les conséquences de ces décisions adoptées en première instance, toutefois encore non exécutoires, la Commission disposant de deux mois pour faire un pourvoi devant la CJUE.

Epoch Times : Quels sont les points importants contenus dans la décision de justice rendue par les juges européens à la suite de votre recours ?

Arnaud Durand : Ce mercredi 17 juillet à 9 h 30 à Luxembourg, le Tribunal de l’Union européenne est entré en voie de condamnation sur des requêtes longtemps qualifiées de « complotistes ». Cette décision va nous permettre de révéler progressivement la face obscure de l’affaire autour de la négociation des contrats d’achats de vaccins anti-Covid-19, et plus encore, au fur et à mesure que la bataille judiciaire avance.

Concernant ces contrats, la Commission européenne, sous la présidence actuelle de Madame Ursula Von der Leyen, se distingue par son manque de transparence. À ce titre, deux points essentiels ont été relevés par le tribunal. Premièrement, la Commission a refusé de divulguer l’identité des négociateurs des contrats d’achat. Celle-ci a soutenu que ces négociateurs n’avaient tenu qu’un rôle technique et qu’il n’y avait, pour cette raison, aucun intérêt à dévoiler leur nom. Pourtant, je rappelle que négocier implique des responsabilités dépassant la simple exécution de tâches administratives, comme entrer du texte dans des cases ou bien faire des photocopies. Vérifier les conflits d’intérêts des négociateurs est donc impératif. Sur cet aspect précis, à notre demande, la Commission nous avait fourni les déclarations de conflits d’intérêts de ces négociateurs… en masquant les noms des personnes concernées. Soit l’anti-thèse de la transparence.

Le second point d’importance soulevé par le tribunal concerne les clauses indemnitaires. La Commission avait accordé aux fabricants de produits pharmaceutiques des clauses exorbitantes dérogeant au droit commun en matière de responsabilité. Bien que certaines de ces informations avaient été précédemment divulguées par des fuites, aucune version officielle de ces clauses n’avait encore été rendue publique ; elles n’étaient pas invocables en justice, notamment par les victimes d’effets secondaires ou bien par les personnes ayant perdu leur emploi à cause de leur refus de se faire vacciner dans le contexte du pass sanitaire.

Le tribunal a donc jugé que, contrairement aux affirmations de la Commission européenne, ces clauses devaient être communiquées à nos requérants. Il est important de souligner qu’il s’agissait de 2089 citoyens dans le cadre d’une action collective en justice, tous profondément indignés par les méthodes de la Commission au point de vouloir intenter une action judiciaire contre elle.

Quelles étaient les motivations des requérants à l’origine de cette action collective en justice lancée en mai 2021 et comment s’est déroulé cette procédure ?

Les motivations des requérants étaient diverses. Certains cherchaient simplement à mieux comprendre leurs droits, tandis que d’autres, victimes ou proches de victimes, luttaient pour faire reconnaître une situation ou obtenir une indemnisation pour un préjudice subi.

Au début, nous avons simplement mis en demeure la Commission européenne en lui demandant de divulguer les documents susmentionnés. La véritable origine du conflit réside dans le refus obstiné de la Commission de faire preuve de transparence sur ces éléments fondamentaux. En effet, une première décision rendue en août 2021 par la Commission comprenait des documents dont les éléments essentiels avaient été cachés par les laboratoires ou par la Commission elle-même.

Nous avons alors porté l’affaire devant le tribunal. Consciente de sa position délicate, la Commission a modifié sa décision en cours de procédure, au début de l’année 2022, espérant ainsi nous placer dans une impasse juridique. En effet, lorsqu’une décision attaquée est abandonnée, les plaignants se retrouvent le bec dans l’eau.

Cependant, nous avons su éviter ce piège en adaptant notre procédure. Nous avons redirigé notre requête, introduisant un élément d’adaptation sur cette nouvelle décision prise par la Commission. Cependant, cette dernière nous a fourni 833 nouvelles pages de documents, dont les parties cruciales étaient encore plus caviardées qu’auparavant. La Commission tentait ainsi de donner une impression de transparence, espérant embrouiller le tribunal.

C’est ce jeu hypocrite de fausse transparence qui a cédé devant le tribunal, dont la décision lui impose désormais de faire preuve d’une véritable transparence. Elle devra non seulement indemniser les requérants pour les frais de procédure, mais aussi communiquer les contrats non caviardés ainsi que l’identité des négociateurs.

Cela sera particulièrement intéressant, car nous pourrons enfin vérifier les conflits d’intérêts que la Commission européenne cherchait à dissimuler. Et cela nous intrigue d’autant plus que la Commission semble très embêtée à l’idée de communiquer l’identité des négociateurs, tout en prétendant qu’ils ne jouaient qu’un « rôle technique ».

Une seconde décision a été rendue ce 17 juillet par le Tribunal européen à la suite d’une action en justice intentée par un groupe d’eurodéputées écologistes menés, avant son décès, par Michèle Rivasi. Pourquoi cette simultanéité et en quoi cette seconde décision complète-t-elle la vôtre ?

Je tiens tout d’abord à rendre un immense hommage au travail accompli par Michèle Rivasi, décédée le 29 novembre dernier. J’étais aux obsèques de Michèle à Dieulefit, bouleversé par cette immense perte pour l’humanité et par une cérémonie aux airs de fado bercée par des chants de Cesaria Evora.

Michèle s’était engagée dans un travail minutieux de documentation et elle avait également pris des mesures actives, comme l’interpellation de la Commission européenne au Parlement. En tant que députée européenne, elle avait tenté d’accéder aux contrats, mais n’avait pu consulter que des documents encore plus caviardés que ceux de la version officielle, dans une salle où les appareils photo étaient interdits. Cela reflétait le simulacre de transparence auquel se livrait la Commission. Mais Michèle Rivasi, forte de son immense expérience, n’était pas dupe. Elle avait donc également saisi la Cour de justice.

Pour répondre à votre question, je pense que le tribunal a jugé ces deux affaires suffisamment claires pour être examinées en parallèle. Si les deux décisions ont été rendues le même jour, on sait aussi que les audiences se sont tenues à un jour d’intervalle. Toutefois, le tribunal n’avait pas joint les requêtes, car les questions posées étaient assez différentes. En réalité, la requête des députés écologistes portait sur moins de documents, mais abordait des questions complémentaires. Il faudra donc combiner les deux décisions pour obtenir une vue d’ensemble plus complète des contrats d’achat des vaccins Covid-19.

Au total, nous allons disposer d’une grande quantité d’informations, auxquelles s’ajouteront celles obtenues dans la seconde affaire, notamment l’héritier de Michèle Rivasi et les autres membres de son groupe parlementaire, également co-requérants. Bien que les questions posées au tribunal différaient, nous bénéficierons de renseignements supplémentaires grâce à leurs décisions, car ils se sont intéressés à d’autres aspects dissimulés par la Commission.

Y a-t-il d’autres éléments importants dans ces arrêts que vous jugez utile de mettre en exergue auprès du public ?

Contrairement à ce que la presse a largement rapporté à l’unisson à la suite d’une dépêche de l’AFP, la justice ne s’est pas saisie toute seule de cette affaire et n’a pas tranquillement épinglé la Commission pour son manque de transparence. Il s’agit en réalité d’un combat acharné. La justice n’a pas été saisie d’office. Deux initiatives distinctes ont été à l’origine de ce processus : d’un côté, des eurodéputés menés par Michèle Rivasi, et de l’autre, les 2089 requérants réunis dans le cadre d’une action collective en justice via la plateforme Palace.Legal.

Cette décision est le fruit de l’action persévérante des parties, des citoyens ou des députés qui refusent de se laisser bercer par le discours hypnotisant d’une Commission européenne qui fait mine de jouer le jeu de la transparence. Cette victoire n’aurait pas été possible sans la ténacité avec laquelle nous avons surmonté tous les obstacles posés par la Commission européenne. En cours de procédure, elle est même allée jusqu’à contester mon mandat d’avocat, alléguant que je n’aurais pas vraiment les 2089 clients, et ce, en plein été. Mon cabinet a dû, en quelques jours durant les vacances, fournir les pièces d’identité des requérants et leurs mandats. Bien que cette question soit rapidement évoquée dans la décision pour nous donner raison, elle a fait l’objet de tout un épisode et illustre bien les manœuvres de la Commission pour empêcher le tribunal de se prononcer sur le fond. Lorsque j’ai présenté les documents prouvant la recevabilité des requérants, la Commission a été visiblement bien embêtée. Durant l’audience de plaidoiries, le 18 octobre 2023, qui a duré trois heures, les trois représentants de la Commission étaient mal à l’aise avec la position qu’ils devaient défendre. Ils étaient rouges, bafouillaient, redisaient les mêmes assertions malgré les questions répétées du Tribunal de développer leur position.

Par ailleurs, à l’audience, les juges, qui maîtrisaient parfaitement ce dossier de 1500 pages, ont relevé un détail intrigant qui n’a pas été rapporté dans la presse. Certains documents désignant les acheteurs mentionnaient un négociateur supplémentaire, lequel disparaissait dans d’autres documents. Une question se pose : Madame Von der Leyen, soupçonnée d’avoir participé personnellement à ces négociations, serait-elle ce négociateur « X », comme le suggère l’affaire des SMS révélés par vos confrères du New York Times ?

Si Mme Von der Leyen était effectivement négociatrice, cela soulève des préoccupations de conflit d’intérêts. En début 2024, comme l’indique sa déclaration d’intérêts, je rappelle qu’elle a acquis 14.168 options d’achat de parts dans une société appelée Orgenesis, dirigée par son mari et spécialisée dans l’ARNm en matière de Covid-19. Étrangement, dans les contrats d’achat de vaccins, les prix augmentaient au fur et mesure que les négociations étaient menées avec succès, tout en libérant les laboratoires d’une partie de leurs responsabilités en matière de produits défectueux. En toute logique, plus on commande de doses tout en exonérant les laboratoires de leurs responsabilités, plus le prix devrait baisser, pas augmenter… Tout cela au final, pour jeter des centaines de millions de doses commandées pour rien.

Cette décision ouvre donc la voie à l’indemnisation des victimes et à une enquête sur les conflits d’intérêts des négociateurs, y compris le rôle potentiel de Mme Von der Leyen dans ces contrats d’achat de vaccins anti-Covid-19. D’autres révélations pourraient suivre.

De quoi redonner un peu confiance dans une justice européenne souvent très critiquée ?

La question de la confiance dans la justice de l’Union européenne dépasse de loin cette affaire. Sur ce dossier en particulier, la justice a fait un excellent travail. On a vraiment le sentiment que chaque argument a été pris en compte juridiquement, à charge comme à décharge.

Je regrette simplement que la presse n’ait pas évoqué l’aspect collectif de cette action. Pour tout vous dire, dans ce type d’affaire, il est rare d’obtenir une audience. Je pense que le fait d’avoir 2089 requérants a joué en notre faveur. C’était d’ailleurs notre argument pour demander une audience, ce qui a permis un examen attentif du dossier. Cette action collective a ajouté une certaine dose de visibilité, signifiant au tribunal : « On vous regarde. » Je ne sais pas si c’est ce message qu’ils ont perçu, mais force est de constater que le dossier a été très bien traité.

Le seul reproche que je pourrais leur faire tient au délai de délibération, qui a été assez long, même très long. Cependant, la décision faisant une cinquantaine de pages, je ne vais pas leur en tenir rigueur pour ce délai.

En outre, ils ont rendu la décision la veille du vote de reconduction d’Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission. Ainsi, les eurodéputés peuvent maintenant décider en leur âme et conscience s’ils estiment qu’il faut la reconduire à ce poste. Pour notre part, quel que soit l’impact politique éventuel, nous ne lâcherons rien sur le terrain du droit.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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