Dans sa décision du 11 juin relative à l’affaire Baldassi c. France, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour avoir enfreint le droit de manifestants pro-palestiniens de s’engager dans une campagne de boycott des produits israéliens dans un supermarché Carrefour.
Les juges ont qualifié ces actes comme relevant de l’exercice légitime de la liberté d’expression d’opinions protestataires, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Les 26 septembre 2009 et 22 mai 2010, des militants pro-palestiniens ont pris part à deux actions menées au Carrefour d’Illzach, en Alsace, incitant à boycotter les produits israéliens. Pour rallier les clients du supermarché à leur cause, ils ont utilisé différentes tactiques.
Baldassi c. France, arrêt : Action militante en faveur du boycott des produits en provenance d’Israël pénalement réprimée comme discriminatoire, sans motifs pertinents et suffisants : violation https://t.co/wxcoLJ4Srs #ECHR #CEDH #ECHRlegalsummaries
— ECHR CEDH (@ECHR_CEDH) June 11, 2020
En portant des T-shirts « Boycott Israël », les activistes ont rempli plusieurs caddies de produits israéliens et occupé des rayons du magasin en criant de façon répétée « Israël, Assassin, Carrefour Complice ». Ils ont demandé aux clients de signer une pétition invitant le supermarché à cesser la vente des marchandises importées d’Israël.
En outre, les militants ont distribué des tracts affirmant : « Vous pouvez contraindre Israël au respect des droits de l’Homme. Boycott des produits importés d’Israël… Acheter les produits importés d’Israël revient à légitimiser les crimes à Gaza… » Afin d’identifier les produits à boycotter, les tracts listaient également les noms des marques et produits israéliens. Apparemment, la direction de Carrefour n’aurait manifesté aucune opposition et aurait permis la poursuite de l’appel au boycott.
Les autorités françaises ont engagé des poursuites pénales pour incitation à la discrimination économique contre une catégorie de personnes : les producteurs de produits fabriqués en Israël. Le Tribunal correctionnel de Mulhouse a relaxé les militants en première instance. Par deux arrêts en appel du 27 novembre 2013, la Cour d’Appel de Colmar a retenu la culpabilité des activistes et rejeté leur défense fondée sur la liberté d’expression en vertu de l’article 10 de la Convention. Le 20 octobre 2015, la Cour de Cassation a confirmé les arrêts d’appel.
[Publication] Hélène Surrel, Droit à la liberté d’expression – Un appel au boycott des produits originaires d’Israël relève du droit à la liberté d’expression. Note sous Cour EDH, 11 juin 2020, Baldassi e.a. c/ France, n° 15271/16, @JCP_G 2020, actualité 799 @UnivdroitEurope pic.twitter.com/KQwI19lMud
— Équipe de droit international, européen et comparé (@ediec_4185) June 26, 2020
Saisie d’un recours, la CEDH a infirmé la décision de 2015 et sévèrement critiqué la France pour avoir violé la liberté d’expression individuelle des militants et restreint leur campagne de boycott légitime et non-violente contre des produits d’un pays étranger dans un lieu privé ouvert au public, action qui a été motivée par une atteinte alléguée des droits de l’Homme.
Partout en Europe, des opposants au régime chinois ont suivi de près cette affaire. La CEDH a octroyé une protection supranationale au modus operandi des futurs appels au boycott non-violent au titre de la liberté d’expression.
Tous les hypermarchés, magasins et entrepreneurs vendant des produits chinois devront faire face à un sérieux dilemme lorsqu’au sein même de leurs établissements, ils seront confrontés à l’organisation d’actions militantes en faveur du boycott des marchandises chinoises par des activistes opposés au régime chinois luttant contre les violations des Droits de l’Homme par la Chine et sa persécution des Tibétains, des Falun Gong, des minorités chrétiennes et ouïghoures, et des manifestants à Hong Kong.
Dans l’affaire évoquée devant la CEDH, il apparaît qu’en s’abstenant d’interdire ou de faire cesser les deux opérations de boycott, Carrefour, tout en assurant la sécurité des clients et des militants, a tacitement acquiescé la tenue de tels évènements et a fourni une tribune, neutre et ouverte à tous, pour cet exercice légitime et non-violent de la liberté d’expression. Ainsi, Carrefour, à l’instar de toutes les autres enseignes, serait tenue, à l’avenir, de laisser un libre accès à tous les activistes appelant à un boycott, de façon non-discriminatoire, et d’assurer leur sécurité.
En revanche, si un accès égal n’était pas assuré, les entreprises et leurs dirigeants pourraient potentiellement faire l’objet de poursuites civiles et pénales sur le fondement de la discrimination. Les enseignes veulent-elles s’exposer et faire face à des publicités négatives dans la presse et les réseaux sociaux sur des sujets aussi sensibles ? Bien évidemment, de tels événements aussi marqués politiquement soulèveraient également des questions de responsabilité et de risques assurables en cas de dommages matériels et corporels, voire même de décès.
La CEDH semble avoir été influencée par la vague de soulèvement populaire traversant la planète. En voulant ajouter leur pierre à l’édifice, les hauts magistrats ont déclenché une vive polémique. En effet, la CEDH a court-circuité le processus législatif interne de la France relatif à l’adoption des lois en légalisant le boycott sur le territoire national et, voire pire, à travers tous les pays signataires de la Convention.
La Cour a-t-elle excédé ses pouvoirs et ouvert une voie dangereuse et imprévisible soumise à la folie des foules ? La multiplication incontrôlable des actions de boycott, individuelles et collectives, contre les produits d’un pays étranger pourrait également provoquer des représailles économiques importantes, avec des conséquences néfastes. Par exemple, une interdiction d’exportation de certains médicaments ou produits de haute technologie, fabriqués exclusivement dans un pays, peut paralyser un secteur entier du système de santé ou d’activité économique.
Démunis par la décision de la CEDH, les gouvernements européens devront affronter des obstacles majeurs difficilement franchissables pour s’opposer aux campagnes de boycott. Donner trop de pouvoir aux mouvements populaires et communautaires laisse la porte ouverte aux dérives excessives qui peuvent entraîner une recrudescence d’actes haineux, discriminatoires et violents envers un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
À défaut d’une réponse ferme et claire de tous les pays membres du Conseil de l’Europe, les discours idéologiques extrêmes, prônés notamment lors de revendications populaires, dicteront aux autorités la conduite à tenir et feront régner le désordre comme l’ont récemment montré les scènes de guérilla urbaine communautaire à Dijon.
À la lumière des développements récents, la motivation de la décision de la CEDH demeure très discutable tant par sa volonté d’imposer le transfert d’une prérogative réservée exclusivement à l’État au caprice du peuple que par sa mise en application, sans distinction, dans des lieux publics et privés, et notamment au sein des centres commerciaux, qui s’exposent à de graves troubles à l’ordre public.
Dans le contexte actuel de conflits sociaux et ethniques grandissants, la France est restée silencieuse, mais doit rapidement évaluer les répercussions importantes de la décision du 11 juin 2020 et décider, sous trois mois, si elle entend exercer un recours contre cet arrêt devant la Grande Chambre de la CEDH.
Après les tensions croissantes en Inde, Hong Kong et la Chine, les militants opposés au régime de Pékin seront légitimement tentés de multiplier les appels au boycott des produits chinois en Europe. Pour beaucoup, ces actions sont plus que justifiées. Leurs familles ont été persécutées, emprisonnées, et même parfois torturées par les autorités chinoises.
Certains États Membres redoutent également que cette jurisprudence puisse favoriser une instabilité et protéger un large spectre de militants, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, contre des poursuites. Le gouvernement français est conscient que cet arrêt soulève de sérieuses questions d’ordre public, ce qui pèsera lourdement dans sa décision finale d’introduire un recours auprès de la Grande Chambre de la CEDH avant le 11 septembre 2020.
La Chine fait actuellement face à une seconde vague de l’épidémie de Covid-19, à un ralentissement économique exacerbé, à une augmentation du chômage et au risque d’ouvrir les hostilités avec l’Union européenne dans l’escalade de la guerre commerciale mondiale avec les États-Unis, après une défaite décisive et récente devant l’OMC consécutive à son échec à établir l’existence d’une économie de marché en Chine.
Étant notoirement peu respectueux des Droits de l’Homme, il est évident que le gouvernement chinois ne peut négliger l’impact négatif des campagnes de boycott antichinoises en Europe s’étalant dans la presse et les réseaux sociaux. Dans un climat aussi hostile, la Chine cherchera très probablement le soutien des autorités françaises pour limiter et voire même infirmer la décision controversée du 11 juin 2020 de la CEDH pour protéger ses intérêts commerciaux et sauvegarder son image très policée dans les médias et la société occidentale.
Randy Yaloz, associé fondateur du cabinet Euro Legal Counsel Group, est un avocat franco-américain, engagé depuis presque 25 ans dans la protection de la liberté d’expression et des droits de la propriété intellectuelle et industrielle.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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