Elizabeth Warren, sénatrice démocrate américaine, l’affirme sans détour : ce sont les atteintes à la régulation financière, sous les coups portés par la loi votée en 2018, qui ont conduit au retour des faillites bancaires aux États-Unis (Signature, SVB, Silvergate). Après la crise financière de 2007-2008, la loi Dodd-Frank de 2010, votée sous la législature du président Barack Obama, avait en effet institué des règles destinées à prémunir le système bancaire, et avec lui l’ensemble de l’économie, contre de semblables désastres.
En vertu de la loi Dodd-Frank, les banques ayant plus de 50 millions d’actifs étaient soumises à un contrôle renforcé (titre I de la loi) : elles devaient chaque année effectuer un test de résilience (stress test), conduit non pas en interne, mais par la banque centrale américaine, la Réserve fédérale (Fed). Ces tests visent à s’assurer que la banque examinée détient suffisamment de fonds propres (les fonds apportés par les actionnaires et les bénéfices non distribués sous forme de dividendes) pour faire face à une détérioration des conditions macroéconomiques et financières compte tenu de son profil de risque spécifique.
La nature de la situation virtuelle à laquelle la banque doit se montrer capable de résister dépend des hypothèses envisagées par la Fed dans ses scénarios annuels. Les banques de cette taille devaient également respecter des ratios de liquidité, à savoir détenir un nombre suffisant d’actifs liquides, dits de haute qualité (dont la valeur est estimée relativement sûre), pour faire face à des fuites de liquidités. Mais la loi de 2018, suivie d’une règlementation fédérale de 2019, sont revenues partiellement sur la loi Dodd-Frank, conformément aux promesses électorales de Donal Trump.
La loi de 2018 a notamment relevé le seuil à partir duquel les banques sont considérées comme étant d’importance systémique de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs (section 401). Fin 2015, 27 banques américaines et 12 filiales étrangères, soit 39 au total, se trouvaient au-dessus du seuil de 50 milliards contre seulement 12 au-dessus de 250 milliards.
La dérégulation de 2018 a ainsi permis aux deux tiers des banques de se soustraire aux tests de résilience annuels de la Fed. Parmi elles, Silicon Valley Bank (SVB), l’une des banques au cœur de la tourmente, qui au dernier trimestre 2022 totalisait 212 milliards d’actifs !
En faillite, puis rachetée le 26 mars par la banque américaine First Citizens, SVB aurait-elle pu l’éviter si elle n’avait pas échappé à la régulation renforcée ?
Prêts « illiquides »
Pour répondre, il faut d’abord rappeler que SVB opère, comme toute banque, ce que l’on appelle une transformation d’échéances : elle prête à long terme l’argent qu’on lui prête à court terme. Plus précisément, elle recueille des dépôts à court terme, qui peuvent en principe être réclamés à tout instant par les déposants, et de ce fait, qualifiés de parfaitement « liquides », pour investir dans des prêts (à l’État, aux entreprises) qui s’inscrivent dans le long terme.
Ces prêts sont « illiquides », c’est-à-dire que la banque ne peut pas nécessairement récupérer l’intégralité de la somme investie à tout moment. Et ce même lorsqu’il s’agit de titres, comme les bons du Trésor américain. En effet, le prix, que la banque peut obtenir à l’instant où elle a besoin de récupérer sa mise, est sujet aux fluctuations du marché et peut ainsi être inférieur à celui auquel elle les a achetés.
La banque en faillite SVB rachetée par First Citizens https://t.co/6KQAhi6cim
— Les Echos (@LesEchos) March 27, 2023
Ainsi, la raison d’être des banques est aussi l’essence même de leur fragilité, les exposant au risque de ruée bancaire (bank run). Si les déposants décident de tous retirer leur argent au même instant, toute banque, même la plus rentable, fera mécaniquement faillite, car elle ne peut récupérer l’intégralité de ce qu’elle a investi dans des actifs par nature illiquides, puisque de long terme.
Toutes les banques sont ainsi par nature à la merci d’une panique, si, pour une raison ou une autre, les déposants perdent soudain confiance en leur institution. C’est un principe assez simple que les économistes américains Douglas Diamond et Philip Dybvig, co-lauréats du prix « Nobel » d’économie 2022, avaient déjà expliqué dans les années 1980. Et surtout, il s’agit d’un phénomène très ancien : à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, après la période d’expansion économique dite de l’âge d’or (gilded age), plusieurs ruées bancaires avaient secoué le système bancaire américain et débouché, après la panique de 1907, sur la création de la Fed en 1913 pour assurer le bon fonctionnement du système bancaire.
SVB : Plus de 90% des dépôts non garantis
Exiger d’une banque qu’elle soit en mesure de rembourser tous ses déposants au même moment reviendrait à lui demander de ne pas remplir sa fonction de banque. C’est pour cela qu’a été instaurée en 1933 aux États-Unis, bien plus tard en France, en 1999 seulement, en application d’une directive européenne de 1994, une assurance des dépôts par l’État.
Le principe est simple : l’État, par l’intermédiaire de fonds de garantie, s’engage à rembourser les déposants quoiqu’il arrive, de sorte que ces derniers n’ont pas de raison de paniquer et de tous retirer au même moment leurs fonds. Mais l’assurance des dépôts est limitée : à 250.000 dollars aux États-Unis et 100.000 euros, par déposant et par banque, en France.
Or en mars 2023, juste avant sa faillite, 92,5% du montant des dépôts de SVB n’était pas garanti. SVB était donc considérablement exposée au risque de ruée bancaire. À cette fragilité particulière, s’ajoutait une problématique de rentabilité : la banque avait investi l’argent de ses déposants dans des actifs dont la valeur s’était effondrée avec la hausse du taux directeur de la Fed, passé entre janvier 2022 et mars 2023 de 0,5% à 4,75%.
La hausse du taux d’intérêt à court terme entraîne en effet une baisse du prix des actifs de long terme, devenus moins attractifs. De nombreuses autres banques américaines se trouvent cependant dans une situation similaire à celle de SVB, voire encore moins rentables : évaluées au prix de marché, c’est-à-dire si elles devaient vendre leurs actifs aujourd’hui, 11% d’entre elles subiraient des pertes plus importantes que celles de SVB. Aussi, si seules les pertes potentielles étaient en cause, plus de 500 autres banques américaines auraient également fait faillite. Mais dans le cas de SVB, ce sont ses pertes potentielles combinées à sa forte exposition au risque de ruée bancaire (en raison de la part de dépôts non garantis) qui ont conduit à sa faillite.
En effet, lorsque le 8 mars, SVB a annoncé une perte de 1,8 milliard de dollars, après une vente d’actifs, révélant la faiblesse de sa stratégie d’investissement, ses déposants non assurés ont paniqué et retiré, le 9 mars, 42 milliards de dollars de leurs comptes. Résultat, ce jour-là la trésorerie de SVB passait en territoire négatif (958 millions) et la faillite était actée. Le fonds de garantie des dépôts américains, le FDIC, a alors annoncé une mesure d’urgence : l’assurance de l’intégralité des dépôts de SVB, y compris ceux dépassant le seuil des 250.000 dollars.
Le scénario de hausse des taux négligé
Les tests de résilience ont davantage pour objectif d’évaluer la solvabilité d’une banque que de minimiser le risque de ruée bancaire, qui a trait à la liquidité. Bien sûr, dans les faits, solvabilité et liquidité sont intimement liées, puisque des déposants inquiets de la solvabilité de leur banque peuvent se ruer à son guichet, et en précipiter la chute, alors que cette banque se serait finalement révélée solvable s’ils n’avaient pas perdu confiance. Les résultats des tests de résilience sont rendus publics sous la forme de note : ils peuvent donc conduire les banques à modifier leur gestion d’actif sous la pression des marchés, exerçant une forme de discipline. Selon l’issue du test, la Fed peut en outre augmenter le ratio de fonds propres exigé de la banque concernée.
La stratégie de SVB aurait pu être amendée si un test de résilience conduit par la Fed avait mis en lumière la fragilité de ses investissements face à une montée possible des taux courts, et ce suffisamment tôt. Mais la pertinence des tests est intrinsèquement liée à la nature des hypothèses retenues par la Fed.
Or les scénarios établis (pour les banques concernées) lors des tests de résilience de 2022 ont largement négligé les risques liés à la hausse des taux : les scénarios prévus ne reflétaient pas la politique monétaire de la Fed ! Certes, la Fed a multiplié les alertes informelles (sous la forme de « matter requiring attention ») auprès des dirigeants de SVB sur les fragilités de leur banque et s’était opposée à des acquisitions qui auraient permis à la banque de croître davantage. Mais ces alertes tardives, et qui ne sont pas rendues publiques, n’ont pu empêcher la crise.
Autre régulation possible, les ratios de liquidité. Mais ceux-ci s’imposent désormais à certaines banques seulement, la règlementation fédérale de 2019 ayant permis à de nombreuses banques d’y échapper. Dans le cas de SVB, au motif que sa part de déposants institutionnels de grande taille (wholesale funding qui n’inclut pas les dépôts effectués par des entreprises telles que les déposants de SVB) n’atteignait pas le seuil requis.
De même que pour les tests de résilience, le calcul de ratios de liquidité implique certaines hypothèses : les banques doivent disposer de suffisamment d’actifs liquides pour être en mesure de résister à 30 jours de crise de liquidité. Or le montant des sorties nettes de trésorerie susceptibles de survenir lors de ces scénarios de crises est difficile à apprécier.
L’économiste américain James Hamilton estime toutefois que SVB n’aurait pas satisfait cette condition dès lors que l’on aurait estimé que 30% de ses dépôts non garantis étaient susceptibles d’être retirés. Ainsi, bien que par nature impuissants à totalement éliminer le risque de ruée bancaire, les ratios de liquidité auraient pu révéler les fragilités naissantes de SVB avant que celle-ci n’atteigne une telle part de dépôts non garantis.
Toutefois, ratio de liquidité comme test de résilience dépend de la capacité des autorités à définir des scénarios de crise pertinents, par nature hasardeux. En revanche, il aurait été possible de s’attaquer à l’extrême dépendance de SVB aux dépôts non garantis à l’aide d’une règle simple. Dans la perspective de limiter le risque de ruée bancaire ou sa gravité, plusieurs options seraient en effet possibles : par exemple, augmenter le plafond de garantie des dépôts au-delà des 250.000 dollars, assurer au coup par coup les dépôts en principe non garantis comme le FDIC l’a fait avec SVB, mais aussi à plusieurs reprises lors de la crise de 2007-2008, ou bien encore limiter la part de dépôts non garantis que les banques sont autorisées à recevoir.
Les deux premières solutions sont coûteuses pour le contribuable qui assume alors les pertes en cas de crise, tandis que les gains éventuels ont été captés par ces gros déposants et les banques qui n’en supportent pas les risques.
Reste donc la troisième, à la fois économe pour les finances publiques, et simple à mettre en œuvre, et donc moins sujette aux erreurs d’appréciation d’un régulateur : ajouter une règle qui limite la part des dépôts non garantis dans le financement des banques. Il faut dire que peu de banques se trouvent dans une situation aussi extrême que SVB, qui était parmi les 1% de banques ayant la plus grosse part d’actifs financés par des dépôts non garantis.
Article écrit par Axelle Arquié, Économiste, CEPII
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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