La diplomatie climatique ou comment la science peut servir les intérêts nationaux

13 février 2018 08:18 Mis à jour: 13 février 2018 11:47

L’IHEST organise un nouvel évènement « Paroles de chercheurs » sur la diplomatie scientifique, mardi 13 février prochain à 18h30 à la Maison des Universités, 103 boulevard Saint- Michel à Paris. Robin Grimes, conseiller scientifique en chef du ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni et Pierre-Bruno Ruffini, Université du Havre, ancien conseiller pour la science et la technologie, ancien président de l’Université du Havre s’y exprimeront. Ce dernier propose ici une réflexion sur la diplomatie du climat.


Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on parle de « diplomatie scientifique », en entendant par là le champ particulier de la diplomatie où les intérêts de la science et ceux de la politique étrangère se conjuguent. Ce vocabulaire récent peut être facilement daté : en 2009, l’académie des sciences britannique (la Royal Society) réunissait dans ses murs environ 200 universitaires, chercheurs, diplomates et représentants de gouvernements venus d’une vingtaine de pays pour débattre autour du thème « new frontiers in science diplomacy ».

L’événement allait faire date, de même que le rapport influent publié à la suite de ces travaux. Pour la première fois, la diplomatie scientifique recevait une expression publique forte et argumentée. Dans son rapport fondateur, co-signé avec l’American Association for the Advancement of Science, la Royal Society en disséquait les trois dimensions complémentaires : la diplomatie pour la science, lorsque l’action des diplomates favorise la coopération entre chercheurs de pays différents ; la science pour la diplomatie, lorsqu’à l’inverse c’est l’activité internationale des chercheurs qui facilite l’exercice des relations diplomatiques ou lui sert d’avant-garde ; et la science dans la diplomatie, lorsque l’expertise scientifique aide les diplomates à préparer les négociations internationales sur les grands enjeux mondiaux concernant l’environnement, la santé ou la sécurité.

Bien publics mondiaux

L’épidémie de SRAS en 2003 a fait collaborer Chine et Occident. (OMS, CC BY)

Les historiens nous rappellent pourtant que les pratiques mêlant les enjeux de la politique étrangère et ceux de la science ne sont pas nouvelles. Alors, pourquoi parler de diplomatie scientifique maintenant ? Pour certains observateurs, celle-ci serait vraiment née avec l’inscription des enjeux mondiaux sur l’agenda international. Il est vrai que la prise de conscience aiguë de défis tels que le changement climatique, la sécurité énergétique ou la propagation de maladies infectieuses ont favorisé l’entrée dans la lumière de la diplomatie scientifique.

Toutes les questions pressantes concernant ces « biens publics mondiaux » ont un fort contenu de science. Leur gouvernance doit s’appuyer sur les connaissances apportées par les experts, et celles-ci constituent le socle des négociations conduites par les diplomates dans un cadre multilatéral. C’est à travers le regard de la diplomatie scientifique que nous analysons ici l’un de ces enjeux, celui du changement climatique, autour de deux dimensions de la définition canonique : la science dans la diplomatie, et la science pour la diplomatie.

Diplomatie climatique

Qu’est-ce que la « science dans la diplomatie climatique » ? Nous sommes ici dans le cadre de la diplomatie multilatérale, celle qui dans le système onusien est marquée par le rôle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les négociations au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Le GIEC est un « interface science-décision » (science policy interface). Il réalise un état des lieux extrêmement fouillé de la connaissance sur le climat et affine ses diagnostics au fil de ses rapports successifs : cette expertise collective est indispensable aux diplomates qui interviennent dans les négociations qui se tiennent régulièrement dans le cadre de la Convention Climat.

Groupe de travail du GIEC. (Takver/Flick, CC BY)

Mais avant d’en arriver là, c’est par consensus que l’assemblée générale du GIEC a abouti à une approbation des conclusions des scientifiques, à l’issue d’une longue discussion ligne par ligne entre ceux-ci, rédacteurs du texte, et les diplomates et autres représentants des gouvernements. C’est ainsi qu’a été adopté en 2013 le « Résumé pour décideurs » synthétisant en une trentaine de pages l’état des connaissances sur le climat, l’origine de ses dérèglements et ses perspectives d’évolution.

Le GIEC, qui est une construction intergouvernementale, a le soutien de tous les pays qui en sont membres. Dans ses assemblées plénières, aucun pays ne prend officiellement ses distances avec ses conclusions, validées collectivement, et qui pointent l’origine anthropique du réchauffement. Mais vient ensuite le temps de la négociation, et c’est une tout autre partition qui se joue. Car ces mêmes pays, dont les représentants ont approuvé le socle des savoirs scientifiques sur le climat, n’en tirent pas tous les mêmes conséquences. Les réunions annuelles de la Convention Climat mettent schématiquement aux prises des négociateurs qui disent ne pas en savoir assez pour vouloir appliquer des politiques destinées à changer radicalement les comportements, à d’autres pour qui il n’est que temps d’agir, les preuves de l’origine humaine du réchauffement climatique étant largement établies.

La variété des positions reflète celle des intérêts nationaux en présence. Ce que nous apprend en définitive le dossier climat sur le rôle de la science dans la diplomatie, c’est qu’un consensus scientifique, fût-il validé par tous les gouvernements, n’est pas synonyme d’accord politique.

« Make our planet great again »

Penchons-nous maintenant sur l’autre dimension de la diplomatie scientifique, celle de la « science pour la diplomatie ». Comment, sur le thème du changement climatique, la science peut-elle aider un pays à atteindre un objectif diplomatique ? L’actualité récente a apporté une réponse éclairante. Le 1er juin 2017, le président Trump annonçait le retrait de son pays de l’accord de Paris sur le climat. Lui répondant du tac au tac, le Président Macron invitait chercheurs, étudiants, entrepreneurs et acteurs associatifs à « rejoindre la France pour mener la lutte contre le réchauffement climatique » et détournait habilement le slogan de campagne de son homologue américain en appelant cette initiative « Make our planet great again ». Le 11 décembre dernier, il présentait les 18 scientifiques étrangers sélectionnés lors de la première phase de ce programme destiné à accueillir dans un premier temps une cinquantaine de chercheurs en France pour une durée de trois ans à cinq ans.

L’initiative de l’Élysée. (Gouvernement français, CC BY)

Vue à travers le prisme de la diplomatie scientifique, cette initiative s’avère doublement avantageuse pour la France. D’un côté, les chercheurs du climat, notamment américains, viennent renforcer le potentiel des laboratoires qui les accueillent, ce qui est un signe de l’attractivité de la France comme pays de science. Or l’attractivité de l’appareil de recherche est, dans tous les grands pays, l’un des objectifs de la diplomatie scientifique nationale. D’un autre côté, cette initiative est source d’avantages au plan diplomatique. Car c’est un objectif majeur de la diplomatie française que d’exercer un rôle de leader dans la lutte contre le réchauffement. Certes dans les arènes internationales l’Union européenne, connue pour ses positions volontaristes sur ce dossier, parle d’une seule voix. Mais entre pays européens, une rivalité discrète existe pour l’exercice du leadership.

Les diplomates français n’ont pas ménagé leurs efforts pour que la COP21 soit un succès. L’accord signé à Paris en 2015 figure en bonne place à l’actif du quinquennat précédent. En étant le premier chef d’État à réagir au retrait américain, le président français s’est inscrit dans la continuité. L’initiative Make Our Planet Great Again est certes d’ampleur limitée, et il est trop tôt pour en mesurer les retombées au plan scientifique. Mais indéniablement elle conforte et amplifie, sur la scène européenne et internationale le regain d’influence de la France dans la diplomatie du climat.

Courbe historique des températures : du grain à moudre pour les climatologues. (GWart/Wikimedia, CC BY-SA)

Ce rapide examen du dossier climatique à travers le prisme de la diplomatie scientifique nous convainc d’une chose : dans « diplomatie scientifique », c’est d’abord « diplomatie » qu’il faut entendre. Car c’est entendre « intérêt national ». Dans les négociations internationales sur le changement climatique, ce n’est pas la science qui a le dernier mot, ce sont les intérêts nationaux, et ils peinent à se sublimer dans des engagements collectifs forts : la science n’entre qu’imparfaitement dans la diplomatie du climat. Et c’est également l’intérêt national qui peut conduire un État à miser sur la recherche climatique pour améliorer ses propres positions diplomatiques, illustrant ainsi le rôle joué par la science en appui à la diplomatie.

Pierre-Bruno Ruffini, Membre de l’Association pour la Valorisation des Relations Internationales Scientifiques et Techniques (AVRIST), Professeur à la Faculté des Affaires internationales du Havre, Université du Havre

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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