Ce fut plus compliqué que ça. Cette phrase revient souvent dans le nouveau livre de Julian Jackson, France on Trial : The Case of Marshal Pétain (La France en procès : l’affaire du maréchal Pétain), elle est révélatrice du sujet. Le livre de Jackson n’est pas difficile à comprendre, mais il aborde le sujet en lui conférant la complexité qui entourait l’homme jugé en juillet 1945.
Cette complexité porte sur la question de savoir si le maréchal Philippe Pétain, chef du gouvernement de Vichy, a trahi la France en signant un armistice avec l’Allemagne nazie. Il serait facile de répondre par l’affirmative, car il était question des nazis, après tout, et comment pouvait-on collaborer avec eux ? Mais c’est le réflexe. C’est la réponse que l’on donne quand on veut ignorer les détails, les faits et les difficultés qui se cachent derrière des choix impossibles. Telle est la substance des procès-spectacles. En outre, comme le suggère le titre de Jackson, Pétain n’était pas le seul à être jugé ; la France était jugée.
La vie ou l’honneur
Une tentative pour retrouver l’âme de la nation. Comme le décrit l’auteur dans son livre, les Français, les Parisiens en particulier, jugeaient que l’armistice signé avec les Allemands laissait la France, Paris en particulier, intacte, mais la nation sans âme. Et c’est sans doute la grande question du livre : qui prime ? L’honneur d’une nation ou la vie de son peuple ? C’est un débat évoqué à la fin du livre entre Pétain et Charles de Gaulle : Pétain estimait la vie plus importante que l’honneur ; De Gaulle pensait le contraire.
Après ses exploits militaires à Verdun pendant la Première Guerre mondiale, Pétain est devenu l’incarnation du courage, du commandement et de l’honneur. Il avait été, comme il l’a déclaré à ses compatriotes lors de la signature de l’armistice, « l’épée » de la nation. Avec la signature de l’armistice, il est devenu le « bouclier » de la nation. L’armistice a remplacé l’honneur par le salut. Pour ses détracteurs, dont les communistes sont les plus virulents, il a également abandonné le courage et le leadership. Le maréchal, quant à lui, refusa d’y croire. Si l’honneur a été sacrifié, c’est le sien sur l’autel du salut de la nation.
Son procès devait se dérouler par contumace, mais Pétain souhaitait être jugé en personne (ce qui prouve que son courage était peut-être encore intact). Jackson note que l’octogénaire est resté quasiment silencieux pendant les trois semaines qu’a duré le procès, mais qu’il a prononcé quelques mots devant la cour au début du procès, connus aujourd’hui sous le nom de « Déclaration de Pétain » :
« L’Histoire dira tout ce que je vous ai évité, quand mes adversaires ne pensent qu’à me reprocher l’inévitable. … A quoi, en effet, eût-il servi de libérer des ruines et des cimetières ? »
Je ne crois pas que Jackson présente le cas de Pétain comme un simple fait historique. Je crois qu’il le présente comme une question intemporelle, une question qu’aucun dirigeant ne souhaiterait jamais se voir poser. Que faut-il préserver : l’honneur ou la vie ? En un sens, comme l’a montré le verdict, il n’y a pas de réponse. À quoi sert l’honneur d’une nation si la survie de son peuple dépend d’un accord avec le diable ? À quoi sert la survie de son peuple s’il n’a plus d’honneur ? Enfin, comment un honneur national peut-il subsister si la nation est détruite ?
Historique et métaphysique
En parcourant les détails du procès et l’histoire du régime de Vichy (1940-1944), l’auteur ne cesse de réfléchir au thème général du moment. Le procès du maréchal Pétain n’est pas « historique » mais « métaphysique », écrit Jackson en citant le journaliste français Maurice Clavel. « C’est la source de l’angoisse qui nous saisit et nous divise tous. »
Jackson équilibre ces deux éléments : l’historique et le métaphysique. Ces deux éléments sont eux-mêmes divisés en plusieurs parties. Il y a l’aspect historique : ce que Pétain a fait et n’a pas fait, et ce que Vichy, sous son autorité, a fait et n’a pas fait, notamment le traitement des résistants, des communistes et des Juifs, ainsi que la réticence de Pétain à rejoindre les Alliés après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, qui laisse perplexe. Quant à l’aspect métaphysique, il s’agit de savoir pourquoi Pétain et son régime ont choisi de faire ce qu’ils ont fait, qu’il s’agisse de collaborer avec les nazis ou de résister à certaines de leurs exigences.
France on Trial rassemble les voix de l’accusation et de la défense, des témoins et des jurés, des journalistes et des idéologues, des résistants et des collaborateurs, tous convaincus d’avoir raison. Mais s’ils ont tous raison, c’est qu’ils ont tous tort. Selon Jackson, c’est le point de vue de la défense. Jacques Isorni, l’un des avocats de Pétain, pensait « que la foi qui avait conduit l’ensemble de la classe politique à s’abriter sous le mythe (de Pétain) en 1940 avait laissé des traces profondes ; que s’il était coupable, toute la France l’était aussi ». Isorni, cité dans ses derniers mots du procès, fait référence aux éléments historiques et métaphysiques en les imbriquant dans le tissu de l’homme qui était à la fois « épée » et « bouclier », suggérant au jury, et en fait à toute la France, « Quand avons-nous opposé Sainte Geneviève, protectrice de la ville de Paris, à Sainte Jeanne qui a libéré notre terre ? ».
Une incertitude
Jackson a tissé une histoire si riche sur le plan historique et métaphysique qu’elle laisse le lecteur dans l’incertitude quant à l’opinion qu’il doit avoir de Pétain. Mais nous sommes en bonne compagnie, car il semble que la France elle-même ait eu ce sentiment. Pétain a reçu un verdict qui faisait écho aux sentiments de l’accusation et de la défense, des critiques et des partisans. Il a été reconnu coupable et condamné à mort. Toutefois, une requête a été formulée pour que la sentence ne soit pas exécutée en raison de son âge.
Il semble cependant que le fait de commuer la peine de mort en prison à vie fut moins une question d’âge que d’incertitude – l’incertitude qu’Isorni ait pu avoir raison : nous sommes tous coupables ; l’incertitude parce que Pétain jonglait à la fois avec l’histoire et la métaphysique ; l’incertitude entre le point de vue de Pétain et celui de de Gaulle sur la vie et l’honneur. En effet, cette incertitude persiste puisque les sondages français montrent régulièrement qu’une majorité pense que Pétain a agi dans l’intérêt du pays, tout en estimant que le tribunal a rendu le bon verdict.
Jackson démontre à la perfection que l’histoire n’est pas toujours noire ou blanche. En fait, elle l’est rarement. Elle est parfois « métaphysique ». L’histoire nous laisse avec des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre et avec la tentation écrasante de faire des suppositions que nous ne devrions pas faire. Les gens d’aujourd’hui, tout comme ceux qui ont assisté au procès en 1945, souhaitent que l’histoire suive une ligne droite. Mais l’histoire ne le fait pas. Elle ne peut pas le faire. Elle est plus complexe que ça.
Hardcover: 480 pages
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