S’il est légitime et souhaitable de garantir l’accès à l’enseignement supérieur des bacheliers, il est tout aussi important de se préoccuper de la question logique qui suit : garantir la qualité de l’enseignement supérieur auquel le droit d’accès est donné. Sinon la bataille pour ce droit perd de sa pertinence.
C’est l’objet des mécanismes d’assurance qualité développés en particulier en Europe dans le cadre du processus de Bologne adopté en 1999 (qui a créé un espace européen de l’enseignement supérieur) que de veiller à cette qualité du fonctionnement des établissements. Ils peuvent par les évaluations qu’ils utilisent y veiller et le faire mieux que les classements plus centrés sur la recherche que l’enseignement et ne scrutant qu’un nombre restreint d’établissements d’enseignement supérieur.
La conférence organisée à Beyrouth les 7 et 8 novembre par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) sur la francophonie universitaire face au défi de la qualité a confirmé une certaine diversité des pratiques au sein du monde francophone, en particulier dans la place donnée aux étudiants dans les mécanismes d’assurance qualité.
Les étudiants, acteurs de la qualité
Ces mécanismes tels qu’ils ont été définis en Europe reposent sur des principes généraux (European Standards and Guidelignes-ESG) qui, appliqués par les universités et les agences d’évaluation des universités, doivent garantir un fonctionnement satisfaisant mais aussi faire exister des dispositifs d’amélioration continue. Ils insistent en particulier sur l’importance de mettre les étudiants au centre de leurs préoccupations et décisions en prenant en compte en particulier la diversité croissante des publics et des besoins ainsi que l’importance de services de soutien à ceux qui se forment (bibliothèque, santé, etc.).
A priori, il semble évident que les étudiants, à qui est destiné l’enseignement, doivent être régulièrement consultés, interrogés pour recueillir leurs réactions sur les modalités, les compétences et connaissances transmises.
De telles informations sont indispensables pour discuter de possibles ajustements, transformations afin d’améliorer l’enseignement et le fonctionnement des universités.
Pourtant la France, comparée à la Belgique francophone, la Suisse romande ou le Québec, apparaît bien réticente et crispée. Et ceci en dépit d’un principe européen clair qui fait de la présence d’étudiants dans tout processus d’évaluation, une recommandation en 2005 et une obligation depuis 2015.
Ainsi en matière d’évaluation externe l’AERES, la CTI, puis le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) ont successivement fait l’objet de remarques sur l’insuffisance ou la non-participation des étudiants dans l’évaluation des formations tant de la part de l’European Association for Quality Assurance in Higher Education (ENQA) que de l’European Quality Assurance Register for High Education. Ces deux organismes analysent la conformité des pratiques des agences européennes d’assurance-qualité avec les ESG : ENQA en tant qu’association représentant les agences et EQAR comme entité chargée officiellement par les ministres du processus de Bologne d’établir le registre des agences « conformes ».
C’est pourquoi pour y remédier le HCERES a annoncé qu’à partir de septembre 2017 il associera des étudiants à ses comités d’experts pour l’évaluation des licences et masters.
Réticences françaises
Mais l’évaluation pratiquée par les universités en interne nous conduit de même à observer encore trop souvent cette même réticence et la lente évolution- même s’il y a des exceptions par exemple à l’université de Franche-Comté – concernant la participation systématique des étudiants à l’évaluation des enseignements et du fonctionnement universitaires.
Prenons l’exemple de Lausanne et ce qu’en disait notre collègue suisse, le professeur Jacques Lanares lors de son intervention à Beyrouth : il évoquait l’échange indispensable avec ses étudiants pour recueillir certes leurs remarques, besoins, critiques mais aussi l’occasion que cela lui donnait de réaffirmer ses objectifs et choix pédagogiques et de les maintenir. Car évidement dialoguer ne signifie pas se plier, mais permet de se comprendre et à chacun de progresser.
Alors pourquoi ce particularisme français si marqué, si différent de ce que l’on observe aussi dans le monde anglo-saxon ou nordique ?
Nous supposons qu’en France, la tradition d’un système universitaire national dirigé par le ministère et procédant par loi, décret et inspection a conduit universités et universitaires à percevoir une certaine forme de rapport autoritaire comme le seul concevable et, de fait, à assimiler tout regard venant de l’extérieur, quel qu’il fut, comme ayant la même inspiration ou le même soubassement.
Faible autonomie
À cela s’ajoute, et c’est encore lié à la conception du système national, le fait qu’habitués à être conduites par le ministère, les universités et universitaires ont de la peine à se prendre en main. Ainsi, les études publiées en avril de l’Association européenne des universités soulignent la faible autonomie des universités françaises, comparée à celles des autres pays européens.
La logique qui voudrait qu’une université autonome mette en place des dispositifs internes d’évaluation concernant l’ensemble de ses activités pour réaliser les objectifs qu’elle s’est fixés a de la peine à apparaître en France. Cela s’explique en grande partie parce que les enseignants eux-mêmes , qui ont pris l’habitude de contester au nom des libertés académiques les directives venues d’en haut, transposent leurs réticences aux dispositifs que tentent de mettre en place les directions d’établissements. Et, en particulier ceux concernant le débat avec les étudiants sur les formations qu’ils dispensent.
Développer le regard critique
Certes les étudiants sont peu préparés à ces débats, mais c’est l’occasion d’un apprentissage qui ensuite se transmet aux générations suivantes, à condition que soient observés des changements résultant de ces discussions.
Ce regard critique des universités sur elles-mêmes associant les étudiants – ceux pour lesquels les universités sont constituées – est indispensable.
Quelle meilleure protection pour les universités et les universitaires que de se connaître pour identifier forces et surtout faiblesses et de tenter d’y remédier ?
Tout n’est pas une question de moyens. La qualité d’un dialogue organisé et continu entre enseignants et étudiants est une force considérable pour créer un climat permettant à l’université de progresser.
Alors pourquoi syndicats enseignants et étudiants français, membres d’organisations européennes (Education International et ESU) ne partagent pas plus sur ces questions d’assurance-qualité l’expérience de leurs collègues européens et restent aussi discrets pour soutenir les dispositifs d’assurance qualité interne ?
Eric Froment, Professeur, Université de Lyon
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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