La guerre en Ukraine a de beaux jours devant elle

Par Dr. Boyan Radoykov
21 mai 2024 10:20 Mis à jour: 21 mai 2024 21:04

TRIBUNE — Plus de deux ans se sont écoulés depuis que l’Europe, et même le monde, ont été ébranlés par la brutale réalité du retour de la Russie à la guerre contre l’Ukraine. Pendant de longs mois, incrédules et déconcertés par leur naïveté, les dirigeants européens se sont efforcés d’accepter la nouvelle tournure que prenaient les événements sur leur continent. Comme d’habitude, ils ont tenté de jouer sur les deux tableaux, cherchant à dissuader une invasion massive de l’Ukraine tout en préservant leurs intérêts économiques en continuant à commercer avec la Russie. Ils ont lamentablement échoué dans les deux cas.

La déconvenue de l’Europe n’est pas une surprise. En effet, depuis sa création, l’Union européenne est un grand marché et une puissance économique sans force ni politique militaire commune, dont la sécurité dépend des États-Unis. Au fil du temps, l’Europe est passée du statut de terre de conquête guerrière à celui de destination touristique incontournable. Le plus sanguinaire des continents, dont la principale occupation des populations pendant des siècles a été de s’entretuer, est pétrifié à l’idée de devoir assurer sa protection militaire à partir de ses propres ressources, sans l’aide des États-Unis.

En raison de la guerre en Ukraine, pour la première fois, les Européens parlent d’une seule voix pour condamner l’agression et adopter des mesures communes telles que les sanctions économiques contre la Russie ou l’envoi d’aide financière, la livraison d’armes et de munitions en quantité insuffisante à Kiev. Avec leurs modestes moyens, ils essayent de contrer l’invasion qui bouleverse l’ordre mondial. Pourtant, certains qui ont la mémoire longue, s’étonnent de leur hypocrisie, puisque l’Occident lui-même a décidé de ne rien faire et surtout de ne pas défendre la Crimée en 2014, permettant à Poutine de planifier en toute quiétude l’invasion du reste de l’Ukraine en 2022.

Les Européens ont beau fulminer aujourd’hui, ils n’oseront jamais s’opposer frontalement à la Russie sur l’Ukraine sans la participation des États-Unis. En plein désarroi intellectuel depuis le 24 février 2022, les dirigeants européens n’ont eu de cesse d’expliquer à leurs peuples comment gagner la guerre, sans jamais passer à l’acte. L’envoi de troupes au sol, comme l’a récemment suggéré à plusieurs reprises le président français Emmanuel Macron, n’a pas trouvé preneur auprès de ses alliés européens.

Pour la première fois, la diplomatie occidentale est confrontée à sa propre impuissance. Habitués à obtenir des résultats en traçant des « lignes rouges », les hommes politiques européens de l’après-guerre froide ont utilisé la menace non concrétisée de manière si inintelligente que leurs ennemis en sont venus à la considérer comme une lamentable imposture.

Pendant des décennies, l’Europe a perdu l’élan nécessaire à la construction d’un continent militairement fort, et le temps lui est désormais compté. Cette prise de conscience est paradoxale. Dans le passé, la Commission européenne a priorisé le plus clair de son temps à mettre en œuvre une activité législative intense qui empoisonnait la vie des citoyens et des chefs d’entreprise plutôt qu’à renforcer les nations fédérées. Ces innombrables réglementations n’avaient parfois aucun sens.

Ainsi, alors que le monde était secoué par des crises, le Vieux Continent pouvait dormir tranquille car la Commission européenne a réussi à s’attaquer à la menace que représentaient les aspirateurs. De ce fait, les modèles d’aspirateurs d’une puissance supérieure à 1 600 watts ne sont plus commercialisés en Europe et depuis 2017, en vertu du règlement 666/2013, même les modèles d’une puissance supérieure à 900 watts sont interdits. Il en va de même pour les bananes. Le règlement de Bruxelles n°2257/94 stipule que, pour être vendus dans l’UE, ces fruits ne doivent pas présenter de « courbure anormale ». C’est l’une des directives qui a eu le mérite de nous rappeler la très désagréable vérité, à savoir que pendant que les Russes construisaient des chars et des missiles, les dirigeants européens se préoccupaient davantage de réglementer la taille et la courbure des bananes.

Le prix à payer pour avoir perdu tant d’années à ne rien faire en matière de renforcement militaire est élevé, et l’Europe devra le payer jusqu’au dernier centime. Les États membres de l’UE ont collectivement des dépenses militaires plus de deux fois supérieures à celles de la Russie, mais des capacités militaires bien moindres. Les conséquences d’une Europe inexistante dans le domaine de la défense sont énormes en termes de sécurité, de capacité à jouer un rôle stabilisateur et, surtout, à être un acteur mondial reconnu et respecté.

Certes, la situation a évolué, les discours aussi. Il n’y a pas si longtemps, les dirigeants européens ont finalement dévoilé qu’ils prendraient toutes les mesures correctives nécessaires. Mais c’est trop peu, trop tard. La Russie n’est plus qu’à quelques centaines de kilomètres des pays de l’OTAN. Sauf négociation extraordinaire, la Troisième Guerre mondiale semble inévitable, et pendant que l’Ukraine brûle, les Européens comptent leurs sous. En effet, la situation économique est loin d’être à leur avantage. L’économie européenne est à la traîne et les perspectives d’amélioration s’éloignent. Les dernières prévisions économiques font état d’une croissance moyenne de 0,8% cette année et de 1,4% l’année prochaine pour la zone euro, et de 1% et 1,6% respectivement pour l’ensemble de l’Union européenne. Même le PIB de la « locomotive » économique allemande ne devrait croître que de 0,1% cette année, selon les prévisions de la Commission européenne.

Parallèlement, le PIB de la Russie a augmenté de 5,4% en glissement annuel au premier trimestre, l’économie chinoise a progressé de 5,2% en 2023, contre 3% en 2022, et l’économie américaine a progressé de 2,5% en 2023, avec une prévision de croissance moyenne de 2,2% en 2024. Ces chiffres sont particulièrement importants en temps de guerre. Les économies sont le nerf de la guerre, et comme toutes les guerres, celle de l’Ukraine est avant tout une guerre de productivité.

Les sanctions à l’encontre de la Russie ont échoué, grâce à des contrats juteux signés notamment avec l’Inde et la Chine. Avec une économie entièrement tournée vers l’effort de guerre, la Russie produit environ 250.000 obus d’artillerie par mois, soit quelque 3 millions par an. Sur l’année, cette production est presque trois fois supérieure à celle de tous les pays occidentaux impliqués dans le processus d’aide militaire à l’Ukraine, puisque les États-Unis et l’Europe ne peuvent produire que 1,2 million d’obus par an pour Kiev.

Force est de constater que, malgré les efforts occidentaux, ces choix commencent à se faire sentir sur le terrain. Et ce, malgré la fourniture à Kiev d’armes et de systèmes militaires hautement sophistiqués. Le problème numéro un est celui des munitions. Dans la pratique, cela se traduit par d’énormes différences dans le nombre de frappes quotidiennes. Par exemple, les forces russes tirent environ 10.000 obus par jour, contre seulement 2.000 du côté ukrainien.

Cette situation accablante n’est pourtant guère surprenante. L’industrie russe a été mise à plein temps au service de l’objectif politique. C’est loin d’être le cas en Europe. Rappelons à cet égard la maxime de Carl von Clausewitz selon laquelle la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. La stratégie militaire doit donc être subordonnée à l’objectif politique et soutenue par la puissance économique.

La guerre est la plus vieille occupation de l’homme, et les dirigeants ont toujours trouvé plus facile de la déclencher que de l’arrêter et de forger la paix. La difficulté réside dans le fait qu’un seul chef d’État peut déclencher une guerre, mais qu’il en faut au moins deux pour faire la paix. Et à l’heure actuelle, les chaises autour de la table des pourparlers de paix en Ukraine restent désespérément vides, car aucune des parties impliquées dans le conflit n’a intérêt à une paix stable. Les Ukrainiens devront donc attendre, tout en mourant en masse, car les chances d’une négociation de paix sont reportées ad vitam aeternam.

La situation évolue rapidement et la Chine prend le dessus

En entendant le discours du président chinois Xi Jinping lors de la visite de Poutine la semaine dernière, dans lequel il a parlé de son plan en douze points pour une paix durable en Ukraine et dans le monde, cette pensée de Stefan Zweig vient à l’esprit : « Tant qu’ils ne sont pas fin prêts, les despotes qui préparent la guerre n’ont que le mot de paix à la bouche ».

C’est un conflit dans lequel les Européens sont perdants, mais pas la Chine, qui profitera de la crise ukrainienne pour étendre son influence en Europe, dans les Balkans et en Asie. Les mots sont toujours très importants en diplomatie. Pour la Chine, les préoccupations de la Russie concernant l’Ukraine doivent être prises en compte, et si, au départ, la Chine était seulement prête à soutenir la Russie contre d’éventuelles sanctions occidentales, elle avait soigneusement évité de s’engager dans des actions de soutien manifeste à l’égard de la Russie. Ce n’est plus le cas, et Pékin ne fait preuve d’aucune retenue dans son soutien à Moscou.

Les jeux d’influence sont en marche. Depuis plusieurs années, Pékin est accusé de provoquer des tensions dans la région asiatique en renforçant son contrôle sur les îles et atolls de la mer de Chine méridionale. Ces derniers mois, la Chine a également accentué sa pression sur Taïwan. Lorsque la Chine examine les crises en général, elle cherche toujours des opportunités gagnant-gagnant. Dans le cas de l’Ukraine, Pékin a plusieurs cordes à son arc, toutes très opportunistes pour le régime communiste.

Les avantages géopolitiques pour la Chine sont proportionnels aux craintes occidentales. Le soutien de la Chine à la Russie effraie les Occidentaux, qui y voient un défi à l’ordre mondial. Du côté américain, l’analyse va encore plus loin, avec un parallèle entre l’Ukraine et Taïwan. Washington s’interroge à juste titre sur le soutien de Pékin à Moscou, suggérant que l’intervention armée en Ukraine donne des idées à la Chine dans la zone indo-pacifique pour prendre le contrôle de plusieurs îlots contestés et pour déstabiliser et prendre le contrôle de Taïwan.

Les dirigeants chinois sont évidemment assez malins pour profiter de l’affaiblissement de l’Europe, mais aussi de l’épuisement de la Russie, et les jeux de dupes qui se jouent en coulisses leur sont actuellement favorables.

Les sanctions contre la Russie n’ont fait qu’ouvrir la porte à l’énorme appétit de la Chine pour le gaz, le pétrole et d’autres ressources naturelles, qui ne seront plus exportés vers l’Europe par la Russie, mais vers la Chine. Qui a encore gagné ? La Chine. Pire encore, qui a su construire l’image soignée d’une superpuissance raisonnable, soucieuse de paix et de développement : la Chine, une fois de plus. Qui continuera à avoir toutes les cartes en main pour décider de l’avenir de la région Asie-Pacifique, après avoir démontré sa soi-disant sagesse géopolitique et stratégique ? Encore la Chine.

Même dans leurs rêves les plus audacieux, Mao Zedong et Zhou Enlai n’auraient jamais pu imaginer qu’au cours d’une période historique aussi courte, selon les perceptions chinoises, la Chine serait autorisée, voire encouragée, à jouer un rôle international d’intermédiaire et d’influence prééminente dans la diplomatie bilatérale et multilatérale, avec une influence singulière au sein des Nations unies et bien au-delà.

Les États-Unis dans le costume inhabituel du surclassé

En réalité, le président Poutine a fait avancer ses intérêts dans le monde au cours des deux dernières années encore plus facilement que prévu. Ses manœuvres sont facilitées par le président Biden, qui s’est éloigné des réactions traditionnellement fortes et de la vigilance typique de la mégapuissance américaine.

Malgré l’aide financière et militaire fournie, prétendre que les sanctions économiques peuvent arrêter une expansion militaire à grande échelle a été un gage pathétique, et l’Ukraine paie le prix fort pour les erreurs stratégiques de ses principaux alliés. La faiblesse de l’administration Biden n’a fait qu’encourager les actions russes, qui sont loin d’être terminées. Après l’épisode de la prise éclair de la Crimée, Poutine a attendu patiemment 8 ans avant d’agir à nouveau en Ukraine. Aux États-Unis, aucun président ne dispose d’une telle marge de planification et de manœuvre, et c’est précisément pourquoi, lorsqu’ils sont au pouvoir, les présidents américains ne doivent pas montrer la moindre faiblesse à l’égard d’un chef d’État, a fortiori d’une puissance nucléaire.

Pour la première fois de leur histoire, les dirigeants américains et européens sont confrontés aux risques d’une universalisation non occidentale, dans laquelle l’Europe ne décidera plus de rien. Il est difficile pour les Européens d’accepter que l’Europe n’est plus un acteur de premier plan, que sa gloire historique est révolue depuis longtemps et qu’elle n’est plus au cœur de la politique mondiale. L’Europe a du mal à admettre que son avenir ne sera jamais aussi brillant que son passé, que son ego colossal du passé colonial ne pourra jamais être satisfait de son rôle subalterne de mini puissance dans le contexte de la compétition sino-américaine. L’Europe est donc condamnée dorénavant à fanfaronner insignifiante sans peser lourd et les Américains et le Chinois ont tout intérêt à voir la Russie exténuée et affaiblie par son effort belliqueux. C’est pourquoi les États-Unis continueront à soutenir l’Ukraine et la Chine, la Russie. L’équilibre sur la balançoire atomique est toujours plus facile à deux qu’à trois.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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