À la suite d’un recours de Reporters sans frontières (RSF), le Conseil d’État a demandé à l’Arcom (ex-CSA) de renforcer ses contrôles sur la chaîne de télévision CNews. L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle a six mois pour examiner le respect du pluralisme de la chaîne et proposer des pistes de réflexion pour mieux l’encadrer. Parmi ces pistes, le fichage politique des journalistes, ce qui pose un problème du point de vue démocratique.
Là d’où est venue la polémique
En avril 2022, RSF a déposé un recours auprès du Conseil d’État concernant la chaîne d’information en continu CNews. L’ONG, créée pour défendre la liberté de la presse, s’est justifiée avec un rapport réalisé par le sémiologue François Jost, jugeant du pluralisme des opinions de la chaîne. Il faut préciser que CNews est en passe de devenir la première chaîne d’information en continu en France et appartient au patron d’industrie Vincent Bolloré, totem à abattre par la gauche française.
Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative française, a rendu sa décision le 13 février 2024 et a enjoint l’Arcom « de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information ». Une décision saluée par le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, comme une « décision historique du Conseil d’État » pour « la démocratie et le journalisme ». Ce dernier déclarait en juillet sur la radio publique France Inter que « là où Bolloré passe, le journalisme trépasse ».
L’ancien président et co-fondateur de Reporters sans frontières, Robert Ménard, s’est indigné de cette décision en s’adressant à l’actuel président de l’ONG : « Quand on a créé Reporters sans Frontières, c’était exactement pour ne pas avoir cette attitude-là. Tu devrais être le premier à te réjouir qu’un certain nombre de points de vue, qui n’étaient jamais entendus sur des médias et des télévisions en France, le sont grâce à CNews. »
Pour la journaliste Christine Kelly, ex-membre du CSA et animatrice sur la chaîne CNews, cette décision du Conseil d’État est la continuité de quatre ans et demi de harcèlement : «Depuis que je suis à CNews, c’est un acharnement régulier et permanent de la part d’une certaine bien-pensance. Je suis allée voir l’étude de RSF, elle porte sur trois programmes répartis sur cinq jours en 2022, qui ne représentent que 0,3% du programme annuel de CNews. En rien, cela ne peut être objectif. » La journaliste en a appelé à Emmanuel Macron pour « imposer, avant la fin de son mandat, la pluralité des opinions. »
Les pistes de l’Arcom pour contrôler le pluralisme de CNews
Le rapport qui a décidé le Conseil d’État de saisir l’Arcom contre CNews, c’est son auteur qui en parle le mieux. François Jost, professeur émérite en sciences de l’information et de la communication était interrogé sur Sud Radio le 15 février. Il a présenté trois pistes de réflexion de l’Arcom pour contrôler le pluralisme des médias. «Il y a une piste déclarative où on va demander aux gens où ils se situent […] La deuxième, consiste à regarder si la personne appartient à un think tank ou si elle a été dans un meeting électoral […] Et dans la troisième, on regarde comment cette personne dans la société se classe», a-t-il déclaré. L’intéressé se définissant lui-même ni de droite ni de gauche mais « humaniste ».
Pour rédiger son rapport, François Jost a pris comme référence la chaîne d’information en continu BFMTV afin de mesurer l’objectivité des choix éditoriaux de CNews. Si ses choix éditoriaux étaient différents de ceux de BFMTV, alors le sémiologue concluait qu’ils n’étaient pas objectifs.
Cette catégorisation des opinions politiques des journalistes et intervenants posent d’épineuses questions démocratiques. Charles Gave, président du think tank Institut des Libertés, a ainsi appris qu’il serait classé à l’extrême droite par l’Arcom. Il a rapidement exprimé son mécontentement : «Je suis un libéral-conservateur, je me réserve le droit d’attaquer l’État français en justice», a-t-il réagi sur X.
Autre exemple, Jean Messiha, président du think tank Vivre Français, a été classé dans la liste des personnalités politiques divers droite, alors qu’il n’a plus aucun engagement politique dans aucun parti depuis deux ans. « Aujourd’hui, je reste classé dans un courant politique auquel je n’ai jamais appartenu et dont j’ai découvert qu’il ne disposait que de 2 % du temps de parole», a-t-il déclaré à Epoch Times.
Des mesures qui pourraient s’avérer contre-productives
Comme le commente le géopolitologue Alexandre del Valle, nous assistons à un coup de force des juges et à un fichage étatique des « mal-pensants » alors que «le service public et la majorité des chaînes d’info sont dominés par la gauche idéologique ». Et si Reporters Sans frontières n’a pas exigé le « pluralisme » pour l’ensemble des médias en visant exclusivement CNews, dans les faits, les conclusions de l’Arcom s’appliqueront à tous les médias.
Une source de l’Arcom confiait à Valeurs Actuelles que le Conseil d’État avait ouvert la boîte de Pandore : « Maintenant regardons comment ils vont se débrouiller avec des plaintes sur le pluralisme journalistique des chaînes publiques […] J’invite tous ceux qui défendent la liberté d’expression à réclamer l’application du principe de parallélisme. Ce qui est bon pour CNews devrait l’être pour les autres chaînes », poursuit-elle. Un écho que renvoie Pierre Gentillet, avocat au barreau de Paris : «Si demain on me fiche, je fais un recours car juridiquement c’est une décision qui fait grief […] Et je peux vous dire qu’on va être nombreux à faire des recours.»
En effet, si CNews est pointée du doigt pour des opinions jugées trop conservatrices, la réciprocité n’est pas vraie pour le reste de la profession située majoritairement à gauche en France. Ainsi des opinions trop progressistes, trop wokistes, trop gauchistes pourraient être signalées à l’Arcom au nom du droit au « pluralisme et à l’indépendance de l’information », une entreprise qui risque de s’apparenter à une usine à gaz et à une polarisation encore plus grande de la société.
On imagine déjà les ressources humaines supplémentaires nécessaires à l’Arcom pour assurer le classement de tous les journalistes et chroniqueurs du PAF. Selon Valeurs Actuelles, il faudrait peut-être avoir recours à des intelligences artificielles — pouvant elles-mêmes être orientées en fonction de leur configuration — pour scanner les propos de tous les intervenants et journalistes en temps réel.
Cette vision du pluralisme des médias deviendrait alors très inquiétante. Au nom du pluralisme des médias nous signerons la mort de la liberté d’expression et avec elle le principal vecteur de notre démocratie. La situation est d’autant plus préoccupante que le président du Conseil d’État, le président de l’Arcom et le secrétaire général des États généraux de l’information ont été directement nommés par Emmanuel Macron et que ce sont eux qui vont décider en France qui est un bon média ou qui est un bon journaliste et qui ne l’est pas.
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