ENTRETIEN – Après cinq ans de travaux, la restauration de la dame de pierre est enfin achevée, sa renaissance dûment célébrée. Ancienne députée LR et conseillère de la ville de Paris, Brigitte Kuster a été présidente de la mission d’information parlementaire sur le suivi de l’application de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Elle revient sur les raisons de la réussite de cet ambitieux pari, puis étrille l’attitude de la ville de Paris durant la période de reconstruction de l’édifice, dont elle dénonce la « communication trompeuse » depuis que la municipalité se retrouve accusée de ne pas avoir respecté ses engagements financiers à cet effet.
Epoch Times : Samedi dernier a eu lieu la cérémonie de réouverture de Notre-Dame présidée par monseigneur Laurent Ulrich en présence d’Emmanuel Macron, qui s’est exprimé devant de nombreux chefs d’État et de gouvernement ainsi que des invités du diocèse. Quel regard avez-vous porté sur cet évènement attendu en France et dans le monde ?
Brigitte Kuster : La cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris était en phase avec les aspirations de tous : profondément émouvante et imprégnée d’une solennité à la hauteur de ce moment historique. Pour les dignitaires étrangers invités – Donald Trump, représentants européens et autres personnalités -, tout comme pour nous, élus français, avoir pu assister à cet évènement en personne était un honneur.
En avril 2019, au lendemain de l’incendie dévastateur de Notre-Dame de Paris, le président Emmanuel Macron a fait une promesse audacieuse : reconstruire la cathédrale en cinq ans. Malgré le scepticisme, la réouverture de Notre-Dame a eu lieu presque dans les délais prévus par le chef de l’État. À quoi attribuez-vous la réussite de son pari ?
Emmanuel Macron a remporté ce pari audacieux alors même que rares étaient ceux qui croyaient qu’un projet aussi ambitieux puisse réussir. Cette réussite trouve ses racines dans la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris voulue par le président de la République.
Suite à la tragédie nationale de l’incendie qui a ravagé la cathédrale le 15 avril 2019, le gouvernement a réagi avec une rapidité à saluer : neuf jours plus tard, le 24 avril, un projet de loi sur la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame était déjà déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Adoptée en juillet 2019, cette loi a instauré une souscription nationale pour recueillir les dons destinés à financer les travaux de conservation et de restauration de la dame de pierre. Un véritable catalyseur d’une générosité sans précédent à l’échelle mondiale : en quelques semaines seulement, un élan de solidarité extraordinaire a vu affluer des dons de la part de donateurs privés du monde entier.
Cette dynamique, qui ne s’est pas essoufflée pendant de longs mois, a été orchestrée par trois grandes fondations habilitées à récolter des fonds : la Fondation Notre-Dame, la Fondation de France et la Fondation du patrimoine. À leurs côtés, des institutions comme le Trésor public et le Centre des monuments nationaux ont joué un rôle plus discret.
Enfin, un établissement public spécifique a été créé dans le cadre de cette loi pour assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux conduits sous la houlette remarquable du regretté général Jean-Louis Georgelin, remplacé, après sa disparition, par Monsieur Philippe Jost.
Les Américains sont les plus grands donateurs après les Français. Que cela traduit-il selon vous ?
Il est intéressant de noter que le président élu Donald Trump a été le premier chef d’État à appeler le président Macron en réaction à l’incendie dévastateur du 15 avril 2019, exprimant immédiatement sa volonté d’apporter son aide. Ce geste témoigne d’une sensibilité particulière aux États-Unis pour ce que représente la France, Paris, et, par extension, la cathédrale Notre-Dame.
Plus de 830 millions d’euros ont été récoltés, grâce à la contribution de 340.000 donateurs issus de divers horizons : des particuliers, des entreprises, des collectivités territoriales, des associations et des fondations. Parmi ces dons, une somme remarquable de 65 millions d’euros provenait de donateurs établis dans 150 pays différents.
Les États-Unis, en particulier, se sont distingués par leur générosité. À eux seuls, les donateurs américains ont contribué à hauteur d’environ 60 millions d’euros, une preuve éclatante de l’attachement profond de ce pays à l’égard de Notre-Dame et de ce qu’elle incarne.
Lorsque vous étiez députée, vous avez présidé pendant deux ans la Mission d’information parlementaire sur le suivi de la loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pouvez-vous rappeler l’objet de cette loi, puis des auditions que vous aviez menées ?
La loi adoptée en 2019 revêtait une double vocation : encadrer rigoureusement la collecte des dons et en définir les modalités de contrôle, tout en permettant au gouvernement de déroger, par voie d’ordonnance, à certaines règles de droit commun afin de faciliter les opérations de travaux. Ces mesures exceptionnelles ont été décisives pour garantir le respect du calendrier ambitieux fixé pour la restauration de Notre-Dame.
Grâce à ces dérogations, les procédures ont pu être considérablement simplifiées, ce qui a rendu la gestion des travaux bien plus fluide et efficace. Toutefois, ces facilités étaient accompagnées d’un strict contrôle exercé par la représentation nationale pour s’assurer de la transparence et de la bonne conduite du projet.
En tant que présidente de la mission dédiée à ce chantier, j’ai veillé à associer Sophie Mette, qui en était la rapporteure, afin d’instaurer une démarche collégiale. Pendant deux ans, une trentaine d’auditions ont été organisées au sein de l’Assemblée nationale et diffusées sur son site internet pour permettre à tous les Français et aux journalistes de les suivre.
Ces auditions ont couvert un large éventail de thématiques et d’intervenants. Nous avons reçu les responsables des fondations impliquées, mais aussi le ministre de la Culture, des représentants de la ville de Paris, ainsi que divers corps de métier. Certaines séances ont porté sur des sujets particulièrement sensibles, comme les conditions des appels d’offres, qui avaient suscité des interrogations et des inquiétudes avant la mise en place complète de l’établissement public chargé du projet.
Ce rôle de coordination a été essentiel, notamment pour créer du lien entre les différents acteurs qui, au départ, ne se réunissaient pas autour d’une table commune. Enfin, les auditions régulières du général Jean-Louis Georgelin ont été particulièrement précieuses.
Durant les auditions, vous vous êtes rendue compte qu’Anne Hidalgo n’a jamais versé les 50 millions d’euros promis au lendemain de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris.
Le jour suivant ce terrible incendie, Anne Hidalgo avait annoncé débloquer cette somme conséquente pour contribuer à la restauration de l’édifice. Cet engagement s’inscrivait dans une mobilisation générale des collectivités locales, avec une participation financière de 10 millions d’euros annoncée par la région Île-de-France.
Toutefois, lors des auditions de la mission d’information parlementaire, créée pour suivre l’avancement des travaux et assurer la transparence des engagements financiers, nous avons découvert que la ville de Paris n’avait pas honoré sa promesse de don. Pas un centime n’a été versé. Cette situation soulevait une problématique sérieuse quant au respect de la parole publique…
Étant alors députée mais aussi conseillère de Paris, j’ai pris l’initiative d’interpeller directement Anne Hidalgo en dehors du cadre parlementaire. Il faut savoir que la maire ne s’est jamais déplacée pour répondre aux convocations de la mission parlementaire. Du jamais vu. À deux reprises, elle s’est fait représenter par Emmanuel Grégoire. Autant vous dire qu’une telle attitude, face à une convocation officielle, a suscité incompréhension et indignation.
Lorsque nous avons interrogé Emmanuel Grégoire sur les raisons pour lesquelles la ville n’avait pas respecté son engagement, il nous a répondu que la municipalité avait choisi de prioriser des travaux d’aménagement urbain aux abords de la cathédrale. Cette explication a provoqué un débat, non seulement au sein de la mission, mais aussi au Conseil de Paris.
En effet, il est important de rappeler que ces travaux d’aménagement étaient prévus bien avant l’incendie de Notre-Dame, dans le cadre d’un projet antérieur piloté par Dominique Perrault, l’architecte retenu à l’époque. Ce projet, qui incluait notamment une galerie marchande souterraine, avait d’ailleurs déjà suscité de vives réactions de désapprobation. C’est pourquoi présenter les 50 millions d’euros comme un engagement pris spécifiquement à la suite de l’incendie relève d’une communication trompeuse.
Autre élément que vous avez dénoncé au cours de vos travaux : la mairie de Paris, en plus de ne pas avoir versé un centime à la restauration de Notre-Dame, désirait taxer le chantier de reconstruction.
La deuxième polémique de taille concernait une décision de la ville de Paris qui avait attiré l’attention du général Georgelin, et qui m’a également alarmée : la ville voulait imposer une taxe annuelle de 3,7 millions d’euros sur le chantier de restauration de Notre-Dame, au titre de l’occupation du domaine public.
Cette taxe, applicable à tous les chantiers, aurait in fine été payée par les dons collectés, une idée totalement inadmissible. Il était impensable que les généreuses contributions des donateurs servent à financer une redevance… au profit de la mairie de Paris !
Grâce à la dénonciation que nous avons faite dans le cadre de la mission parlementaire, cette pratique a été explicitement mentionnée dans notre rapport : « Il n’est pas envisageable de faire prendre en charge par la générosité publique des redevances qui représentent plusieurs millions d’euros au profit de la mairie de Paris. »
Nous n’avions absolument pas à utiliser la collecte nationale pour régler un impôt. Cette question a provoqué un véritable affrontement par médias interposés avec Emmanuel Grégoire qui persistait à défendre l’instauration de cette taxe en se référant au droit public. La ville de Paris a fini par reculer et le général Georgelin m’en a toujours témoigné une grande reconnaissance.
Compte tenu de votre description de l’attitude de la maire de Paris tout au long de ce dossier, sa mise à l’honneur lors de la cérémonie de réouverture, en entrant aux côtés de l’archevêque de Paris, Laurent Ulrich, ainsi que d’Emmanuel et Brigitte Macron, vous a-t-elle semblé incongrue ?
J’ai en effet été particulièrement étonnée de voir Anne Hidalgo aux côtés du président de la République et de son épouse lors de l’entrée présidentielle dans la cathédrale. Cela avait quelque chose de décalé et son arrivée aux côtés du couple présidentiel en a surpris plus d’un.
Une polémique qui fait encore couler beaucoup d’encre : la volonté d’Emmanuel Macron de remplacer six vitraux de Viollet-le-Duc, qui ont pourtant traversé l’incendie sans dommage, par des créations contemporaines. Ce souhait va à l’encontre de l’avis unanime rendu par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, composée de 40 experts, qui ont exprimé un avis défavorable. Quel est votre avis dans cette affaire ?
J’ai un avis particulier sur cette question. Avant tout, il faut souligner que la restauration de la cathédrale a été réalisée à l’identique, ce qui était loin d’être acquis au départ. Rappelez-vous : peu après l’incendie, en avril 2019, Emmanuel Macron avait soulevé la possibilité d’un « geste architectural contemporain » dans la reconstruction de la flèche de la cathédrale… Fort heureusement, il y a renoncé.
S’agissant de la polémique des vitraux contemporains, mon parcours en tant que maire du 17ᵉ arrondissement de Paris pendant dix ans m’a permis d’être en contact étroit avec les sapeurs-pompiers de la grande caserne des pompiers de Champerret, située dans ce même arrondissement. C’est ainsi que j’ai été saisie par le fils du général Casso, un ancien général des sapeurs-pompiers de Paris. Il m’a proposé une idée que j’ai trouvée particulièrement pertinente : inclure un vitrail en hommage aux pompiers. Si je suis une personne plutôt conservatrice sur le plan du patrimoine, cette suggestion m’a semblé forte de sens, compte tenu du rôle héroïque qu’ils ont joué dans le sauvetage de la cathédrale. J’ai donc relayé cette proposition auprès des autorités compétentes.
Si l’on exclut la question de l’ajout de cinq autres vitraux contemporains, modifier un seul vitrail pour honorer les pompiers de Paris me parait une proposition raisonnable qui témoignerait de la reconnaissance que nous leur devons, sans pour autant dénaturer l’identité historique de la cathédrale.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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