ANALYSES

Rencontre Macron-Xi Jinping : le réseau tentaculaire de l’espionnage chinois en France

avril 30, 2024 17:32, Last Updated: mai 3, 2024 15:39
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Alors que Xi Jinping est attendu pour les 60 ans des relations bilatérales en France, les relations diplomatiques du régime chinois ont rarement été aussi tendues avec l’Occident. Accusé de dumping industriel par les États-Unis, d’espionnage par l’Angleterre et l’Allemagne et d’apporter son soutien à la Russie par l’UE, le Parti communiste chinois (PCC) espère redorer son image auprès de son plus vieil ami français.

Mais en coulisse, la Chine ne cache pas ses ambitions hégémoniques. Le régime veut devenir la première puissance mondiale à l’horizon 2049, année du centenaire de la création du PCC. Pour y parvenir, l’Empire du Milieu déploie des ressources colossales dans un espionnage industriel, pour infiltrer les économies et les entreprises, les institutions et les universités et façonner les opinions.

L’Élysée se félicite pourtant de faire « partie des très rares pays au monde à être en mesure de maintenir des canaux de discussion à tous les niveaux avec la deuxième puissance économique mondiale », quand ses services de renseignement voient dans la Chine « l’une des menaces les plus sérieuses en matière d’ingérence étrangères pour la France. »

Le plus grand service d’espionnage au monde 

Le ministère de la Sécurité de l’État (MSE), ou Guoanbu, est le service de renseignement de la République populaire de Chine (RPC). Dans le documentaire « Chine : opérations secrètes », sorti en mars 2024, les journalistes Nolwenn Le Fustec et Antoine Izambard révèlent l’ampleur de ce ministère, décrit comme le plus important au monde.

Avec plus de 200.000 agents, le MSE est structuré en 18 unités, des « bureaux » chargés de superviser les officiers sous couverture, le contre-espionnage ou la surveillance des étudiants chinois à l’étranger. « Le Guoanbu est bien plus qu’un équivalent de la DGSE, puisqu’il a aussi des prérogatives intérieures. C’est un service hybride et tentaculaire » déclare Antoine Izambard au Point.

Ce gigantesque service de renseignement dispose de postes de police clandestins dans 53 pays, dont 7 en Île-de-France, abrités derrière des associations culturelles, associations d’«amitié» ou commerces, pilotés depuis l’ambassade de Chine. L’ONG Saveguard Defenders a recensé une centaine de ces stations, utilisées par les services secrets chinois pour des missions clandestines : surveillance, pressions, cambriolage et même enlèvements, notamment dans le cadre de la traque des dissidents réfugiés à l’étranger (Ouïghours, Tibétains, Falun Gong, « militants pro-démocratie » et « indépendantistes taïwanais »). L’espionnage chinois s’appuie sur sa diaspora pour récolter toutes les informations possibles : « Petit à petit, Pékin reconstitue le puzzle et finit par avoir une bonne photographie de notre pays pour en exploiter les failles », révèle un cadre du renseignement français.

Le MSE s’appuie aussi sur un réseau d’entreprises chinoises affiliées au PCC travaillant avec des entreprises ou universités étrangères. En février 2024, la société chinoise I-Soon, prestataire « spécialisé dans la sécurité informatique », a fait l’objet d’une fuite massive de données. On y apprenait que l’entreprise travaillait pour le MSE et avait été fondée par un ancien « hacker rouge ». Ces documents montraient aussi le fonctionnement d’un écosystème de pirates informatiques travaillant pour le régime chinois au niveau central ou provincial, au sein de petites entreprises elles-mêmes en contact avec des universités ou des entreprises étrangères.

Des « opérations d’envergure » ciblant la France

En 2018, les services de renseignement français ont repéré une «opération d’envergure» du MSE en France. Dans une note que Le Figaro s’est procurée, la Direction générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ont révélé que ces opérations étaient menées « par des services de renseignement chinois sur les réseaux sociaux professionnels – principalement Linkedln – en vue de pénétrer à des fins d’espionnage les plus hautes sphères de l’administration, des cercles du pouvoir et des grandes entreprises françaises ». Cela montre les ambitions du régime chinois et, derrière le vernis diplomatique polissé, son appétit pour les données confidentielles françaises.

Fin 2023, Bernard Émié, ancien directeur de la DGSE, tirait une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur le risque chinois. Selon lui, les journalistes, les militaires ou les parlementaires sont particulièrement visés par le PCC, ainsi que les chercheurs dans les domaines scientifiques et technologiques de pointe. Il signalait lors de son audition devant la Commission d’enquête sur les ingérences étrangères que la DGSE compte aujourd’hui 7.000 agents, alors que les homologues chinois en comptent 200.000: « Nous vivons sur des planètes différentes » a-t-il commenté.

Selon Jean-Philippe Tanguy, président de la Commission d’enquête, « la Chine est beaucoup plus dangereuse que la Russie, qui est une puissance déclinante » estime-t-il. Selon la députée Renaissance Constance Le Grip, rapporteure de la Commission, « les puissances autoritaires, au premier rang desquels la Russie et la Chine, contestent l’ordre international hérité de la fin de la Guerre froide, fondé sur la démocratie, l’économie de marché et l’État de droit. Ces puissances cherchent par tous les moyens à déstabiliser et affaiblir les démocraties occidentales. Elles mènent contre les sociétés démocratiques une guerre hybride, de manière insidieuse, sournoise et systémique. »

Cet espionnage massif cible les plus hautes sphères françaises de l’administration, de la recherche et des entreprises, s’appuyant également sur des opérations d’influence pour façonner l’opinion occidentale.

L’espionnage dans les entreprises et la recherche 

Pendant des décennies, la France a multiplié les partenariats industriels et scientifiques avec la Chine. Selon Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’Iris, un certain nombre d’entreprises françaises sont devenues complices de la Chine, le PCC exigeant une symétrie des laboratoires de recherche pour toutes entreprises françaises, grandes ou petites, voulant s’implanter en Chine. « Cela voulait dire que l’on transmettait à la Chine toutes nos recherches effectuées en dehors de Chine » affirme le chercheur.

Autre méthode utilisée, les voyages d’affaires tous frais payés. Des sociétés chinoises, grâce à leurs filiales françaises, organisent des voyages d’affaires en Chine pour des PME ou des start-up françaises impliquées dans les technologies innovantes. Les membres de ces entreprises constataient sur place que leurs chambres d’hôtel étaient fouillées et que leurs homologues chinois demandaient à avoir accès à leurs ordinateurs et à partager leurs données.

Bernard Émié (DGSE) décrit des «menaces chinoises sur la recherche scientifique ». Les domaines d’étude concernés ont un double intérêt stratégique, à la fois civil et militaire : l’aéronautique, la biotechnologie, l’océanographie, la robotique, l’intelligence artificielle, l’énergie, etc. Selon lui, il y a un déni d’une partie des chercheurs, attachés à une coopération scientifique « universelle » avec des scientifiques chinois qui, eux, sont sous la coupe exclusive du Parti communiste.

Les coopérations scientifiques franco-chinoises concernent aussi les hôpitaux, le régime chinois y voyant une occasion de piller les savoirs-faire médicaux. Leurs finalités ne suivent cependant pas les mêmes normes éthiques que la France. Il a en effet été mis en évidence des partenariats d’hôpitaux français dans la formation de chirurgiens chinois impliqués dans les prélèvements forcés d’organes à grande échelle pour alimenter le commerce international de transplantation.

Des opérations d’influence appareillées à l’espionnage

Le spécialiste du renseignement chinois Paul Charon et l’ancien directeur de l’Irsem Jean-Baptiste Jeangène Vilmer ont analysé la stratégie du PCC pour s’attaquer aux démocraties occidentales. L’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem), dépendant du ministère des Armées, publiait en septembre 2021 un rapport de 650 pages sur « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien ».

Selon le rapport, les actions d’infiltration du PCC à l’étranger relèvent de deux objectifs principaux : premièrement, séduire les publics étrangers en faisant une narration positive de la Chine, et deuxièmement, infiltrer et contraindre. L’un comme l’autre passent par une « nébuleuse d’intermédiaires » décrits dans le rapport : les diasporas, les médias, la diplomatie, l’économie, la politique, l’éducation, les think tank, la culture et la manipulation de l’information. Deux millions de citoyens chinois seraient payés à temps plein pour relayer la propagande de Pékin et 20 millions agiraient à temps partiel pour inonder les réseaux sociaux des fausses informations du PCC.

Le rapport évoque l’influence des Instituts Confucius dans les universités françaises, subventionnés par l’État français. Au nombre de 18 en France, ces écoles chinoises « permettent à Pékin de renforcer son influence dans les villes moyennes », décrit le rapport de Irsem et ont l’avantage d’avoir leurs locaux au sein des facultés.

L’objectif de ces opérations d’influence est, d’une part, d’empêcher tout discours négatif sur le PCC, notamment concernant ce que le régime appelle les « cinq poisons » (les Ouïghours, les Tibétains, le Falun Gong, les « militants pro-démocratie » et les « indépendantistes taïwanais ») et d’autre part, de produire un discours positif sur la « prospérité, la puissance et l’émergence pacifique » de la Chine.

La naïveté française face au PCC

Selon le député Jean-Philippe Tanguy, président de la Commission d’enquête sur les ingérences étrangères, « en France, l’accusation d’ingérence étrangère est une arme politicienne au lieu d’être un sujet de souveraineté et de justice. Il y a des réseaux qu’on ne veut pas déranger. »

En amont de la visite du leader chinois Xi Jinping, l’Élysée a déclaré que « les échanges porteront sur les crises internationales, […] les questions commerciales, les coopérations scientifiques, culturelles et sportives » peut-on lire dans son communiqué. Lin Jian, porte-parole de la diplomatie chinoise, a estimé pour sa part que les deux dirigeants tenteront de « faire de nouvelles contributions à la paix, à la stabilité, au développement et au progrès du monde ».

Derrière les belles formules, les poignées de main et les sourires de façade, le renseignement français et plusieurs experts soulignent la naïveté de la France dans la coopération avec la Chine, au vu des moyens colossaux déployés par le PCC pour infiltrer ses sphères économiques, industrielles, scientifiques, militaires et politiques. Au pire, la présidence française légitime le régime autoritaire chinois sur la scène internationale, au mieux il lui donne accès à des innovations technologiques et scientifiques à travers de nouveaux partenariats entre les deux pays.

Alors que les services de renseignements appellent à un réveil français concernant l’infiltration chinoise, il y aurait intérêt à sensibiliser l’administration, les entreprises et les universités ainsi que le grand public, sur les intentions réelles de chaque coopération avec le régime chinois.

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