La passerelle enjambe une eau verte nauséabonde où flottent des tas d’ordures mais Justin Rakatoarivony n’a pas d’autre choix. Chaque matin, il est obligé de la traverser pour aller travailler, la peur au ventre d’y être contaminé par la peste.
« J’ai peur d’attraper la peste mais je ne peux pas faire autrement, je dois passer ici tous les jours », confie ce commerçant du quartier populaire d’Ampefiloha, dans le sud de la capitale malgache Antananarivo.
« La peste vient de l’insalubrité car elle attire les rats, les rats apportent les puces et les puces transmettent la peste à l’homme », récite le quadragénaire avec une pointe d’inquiétude dans la voix. Alors ici, sur le petit pont du canal d’Andriantany, « je presse le pas… »
La « saison » annuelle de la peste s’est déclarée fin août dans le centre du pays. Depuis, la maladie s’est rapidement propagée dans 18 des 22 régions et notamment, nouveauté par rapport aux années précédentes, à Antananarivo.
Selon le dernier bilan publié par le ministère de la Santé, 500 cas et 54 décès ont déjà été répertoriés sur l’ensemble de la Grande île, dont 276 cas et 25 morts dans la seule capitale.
L’arrivée de la peste a provoqué des mouvements de panique dans Antananarivo, avec leur cortège de ruées sur les masques de protection et les antibiotiques. Au point d’y provoquer des pénuries dans la plupart des pharmacies.
Dans le quartier d’Ampefiloha, les brocanteurs et autres ferrailleurs ne semblent guère avoir fait le lien entre peste et insalubrité. Au milieu des empilements d’ordures, ils continuent leur commerce, comme si de rien n’était.
Un des leurs a pourtant été contaminé par la version pulmonaire du bacille, la plus grave. Soigné dans un hôpital spécialisé, il a pris la fuite après avoir reçu les premiers soins.
« Des gens nous ont amené ici un jeune homme de 24 ans qui crachait du sang », raconte le Dr Rabenjaminahobianintra Harimanana, du centre de santé local. Diagnostiqué positif, il a été immédiatement hospitalisé. « Mais il s’est ‘évadé’ et a été revu en train de faire son commerce au marché. »
Les autorités locales ont tenté de le raisonner mais il a préféré prendre la fuite. « Il avait peur car c’est un détenu récidiviste qui vient de sortir de prison », déplore le Dr. Harimanana.
La police a émis un avis de recherche et s’est lancée à ses trousses. Jusque-là sans résultat.
« On ne peut pas dire avec exactitude combien de personnes vont être contaminées par ce malade fugitif, mais il risque de propager sa maladie très vite », s’inquiète le Dr Hanitra Randrianarison, médecin inspecteur de la ville d’Antananarivo.
L’actuelle épidémie a débuté avec une personne contaminée à Ankazobe (centre), morte dans un taxi-brousse à Moramanga (est). En chemin, elle a infecté deux passagers décédés ensuite à Tamatave (est), qui n’avait pas connu la peste depuis un siècle…
C’est là le principal défi auquel est confronté le gouvernement. Enrayer coûte que coûte la propagation de la maladie.
Mardi, le président Hery Rajaonarimampianina a proclamé la mobilisation générale contre la peste. « On est dans une guerre », a-t-il lancé lors d’une visite de terrain à Antananarivo.
Dans la capitale, les autorités ont multiplié les mesures de prévention. Fermeture de l’université et des écoles pour désinfection, contrôles dans les gares routières et suspension, sur le papier du moins, des réunions publiques.
Appelée à la rescousse, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a livré 1,2 million de doses d’antibiotiques, capables de protéger jusqu’à 100.000 personnes, et des lots de « cache-bouche » (masques) et autres produits pour la désinfection.
L’agence onusienne et la Croix-Rouge ont également formé en urgence des centaines de volontaires chargés de l’information et de la prévention auprès des populations.
« Ces agents ont pour mission d’identifier les personnes atteintes de la peste et de sensibiliser les gens sur l’importance de l’hygiène et de la propreté », explique le Dr Hanitra Randrianarison.
Samedi, ils ont piloté une opération inédite de nettoyage des quartiers d’Antananarivo.
« Il a fallu attendre la peste pour que les gens dans notre quartier apprécient la propreté et l’hygiène », raille Norosoa Raharimalala, une volontaire du quartier d’Ivandry, dans le nord de la capitale.
Mais malgré tous ces efforts, la peste continue à faire des victimes. « Nous ne pouvons pas dire de façon claire que l’épidémie est sous contrôle », a reconnu mardi devant la presse la représentante de l’OMS à Madagascar, Charlotte Faty Ndiaye.
Dans ce contexte, la peur continue à régner dans la population. Jusqu’à bouleverser les pratiques sociales.
« Il y a un mois, une jeune femme est morte de la peste pulmonaire », raconte Germaine Rabemanantsoa, une volontaire du quartier Soavimasoandro, à côté d’Ivandry. « Depuis ce décès, les habitants de Soavimasoandro ne se serrent plus la main. »
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