Une étude récente menée par des scientifiques de l’université de Californie à Davis (UC Davis) a montré que la production industrielle de viande « in vitro » peut-être plus désastreuse pour l’environnement que la production de viande d’élevage. Dans une tribune publiée dans le Monde, une soixantaine de chercheurs français émettent un doute sur les bénéfices environnementaux de cette nouvelle innovation agroalimentaire, « bien que ce soit un argument mis en avant ».
À l’occasion de la sortie de son livre How to Avoid a Climate Disaster, le milliardaire Bill Gates a déclaré que « tous les pays riches devraient passer au bœuf synthétique à 100 % ». La production de viande à partir de cellules animales au lieu d’animaux d’élevage est en effet promue par le fondateur de Microsoft comme une solution pour réduire les émissions de gaz à effets de serre.
Rien qu’en 2021, la nouvelle filière de viande artificielle a attiré 1,38 milliard de dollars d’investissements dans ses 110 startups du monde entier, à en croire le Good Food Institute, think tank de la fondation Bill-et-Melinda Gates chargé de promouvoir le développement des « protéines alternatives ».
Mais « ces entreprises sont encore aujourd’hui en phase de recherche et développement et sont loin de prétendre — en termes de texture du produit, de capacité de production et de prix de vente —, concurrencer la viande conventionnelle issue de l’élevage », selon un rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat sur la viande artificielle.
La production à grande échelle de viande artificielle pourrait être un désastre écologique
Selon Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’INRAE, le nombre de travaux de recherche sur la viande « in vitro » est minime par rapport à la quantité d’articles de presse sur le même sujet. Ainsi, « la communauté scientifique internationale apparaît beaucoup plus réservée que les médias. Outre d’importantes limites techniques, il existe en effet de nombreuses incertitudes sur les avantages nutritionnels et environnementaux de la viande in vitro », notamment lorsque celle-ci est produite à grande échelle.
Publiée en avril dernier, l’étude mentionnée ci-dessus de l’UC Davis fait partie des rares travaux scientifiques analysant l’impact environnemental de la production industrielle de viande de laboratoire. L’étude révèle un résultat qui peut interpeller même les défenseurs écologiques les plus ardents de la viande « de culture » : la production en masse de viande artificielle pourrait être 25 fois plus polluante – en termes d’émission de gaz à effet de serre — que la production de « vraie » viande d’élevage.
« Il s’agit là d’une conclusion importante étant donné que des investissements ont été spécifiquement alloués à ce secteur sous l’hypothèse que ces produits [artificiels] soient plus écologiques » que la viande naturelle, soulignent les auteurs de l’étude. Et d’ajouter : « Pour l’instant, la viande développée à base de cellules animales est produite à petite échelle et à perte, mais les entreprises ont l’intention de l’industrialiser et d’augmenter l’échelle de production. »
Seule une production à grande échelle peut réduire le coût de production de la viande cellulaire, cette dernière étant actuellement « cent à dix mille fois plus coûteuse » que la viande conventionnelle, selon le think tank Good Food Institute. Cependant, le passage en production à grande échelle de ce nouvel aliment n’est à l’ordre du jour nulle part dans le monde. En effet, à part les États-Unis, les seuls pays qui autorisent la mise sur le marché de la viande synthétique sont à faible surface agricole utile, à savoir les Pays-Bas, Israël et Singapour.
« L’essor de la viande de synthèse repose sur peu de données scientifiques »
La surface agricole utile de la France est d’environ 26,8 millions d’hectares et représente 45% de la superficie totale du pays, selon l’INSEE. La France est la première productrice agricole européenne avec environ 18% de la production agricole de l’UE. Cependant, l’État français, à travers la Banque publique d’investissement, a apporté un soutien à hauteur de 5,7 millions d’euros pour promouvoir les innovations dans le domaine de la viande in vitro.
C’est « un stop-and-go contre-productif », selon la sénatrice (LR) des Yvelines Sophie Primas, le sénateur (LR) de Haute-Saône Olivier Rietmann et le sénateur (RDSE) de l’Hérault Henri Cabanel, lesquels ont mené pendant trois mois une mission d’information sur la viande artificielle. Dans leur rapport issu de cette mission, les sénateurs « ont souhaité rappeler que ce n’est pas parce qu’une innovation technologique peut être réalisée qu’elle doit être réalisée, les conséquences d’une innovation pour la société devant être dûment pesées ».
« La mission d’information sur la viande in vitro a redit clairement son opposition anthropologique, éthique, culturelle et, en somme, politique, au développement des aliments cellulaires. La vision purement utilitaire de l’alimentation qui sous-tend ce développement est en effet à l’opposé de celle des sénateurs, qui voient d’abord dans l’alimentation un fait culturel et social. »
Pour rédiger leur rapport, les trois sénateurs ont consulté notamment une tribune collective sur le Monde cosignée par une soixantaine de chercheurs et d’experts dans les domaines de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Cette tribune est intitulée « L’essor de la viande de synthèse repose sur peu de données scientifiques ».
Marie-Pierre Ellies-Oury (professeure et directrice de recherche à Bordeaux Sciences Agro), Sghaier Chriki (enseignant-chercheur à l’ISARA) et Jean-François Hocquette (directeur de recherche à l’INRAE) figurent parmi les dix premiers signataires de cette tribune de presse. Ils ont publié fin février dernier une revue de littérature scientifique sur le club DEMETER dans laquelle ils mettent en évidence le « manque de connaissances » face aux enjeux environnementaux, notamment en ce qui concerne la production de gaz à effet de serre.
« La recherche sur le sujet est pour l’instant lacunaire et les rares études réalisées sur l’empreinte carbone de la viande de culture sont jugées peu fiables et assez contradictoires », soulignent les chercheurs français. « Si le débat est ainsi loin d’être tranché, les tendances s’orientent actuellement vers un bilan carbone plus élevé pour la viande de culture que pour la viande conventionnelle ».
Cela peut être expliqué par plusieurs facteurs, à savoir « l’immaturité de la technologie, la forte demande en énergie pour la préparation des milieux de culture et la production, l’impact environnemental de la production des milieux de culture et du nettoyage des équipements, le chauffage à température physiologique des incubateurs et la préparation en amont du matériel. »
Les bénéfices environnementaux de la viande artificielle vantés par les milliardaires de la Tech — à l’instar de Bill Gates (Microsoft) et Sergey Brin (Google) — sont donc fondés sur peu de consensus scientifique. Pour les sénateurs de la Commission des affaires économiques du Sénat français, s’il s’agissait de réduire substantiellement les émissions directes de gaz à effet de serre, il vaudrait mieux privilégier la diversification « des régimes alimentaires en rééquilibrant les sources de protéines (légumineuses…) », laquelle « permettrait d’atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple ».
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