La quête des anciens poètes chinois sous la plume d’un auteur allemand

23 septembre 2015 11:04 Mis à jour: 23 septembre 2015 11:04

L’auteur allemand Hermann Hesse, connu pour son œuvre sur la nature et sa fascination pour les cultures et la pensée orientales a écrit, à la façon d’un conte de fée, une courte histoire qui se situe dans la Chine ancienne.

Intitulée Le Poète, elle raconte la vie et l’œuvre de Han Fook, un aspirant poète qui quitte la vie séculière pour se former auprès d’un mystérieux vieux sage, se présentant comme le Maître du Monde Parfait. C’est une de huit nouvelles de Hesse publiées en 1972 sous le titre de Strange News from an Another Star, (Étranges nouvelles d’une autre planète)

Dans sa ville natale, alors qu’il observe la beauté indescriptible d’une Fête de la Lanterne reflétée dans le Fleuve jaune, le héros de Hesse rencontre le sage. Submergé par le sentiment que «le bonheur véritable et la satisfaction profonde» ne sauraient venir qu’en reflétant «l’essence du monde» dans sa poésie, Han Fook fait soudain face à un étrange vieil homme en robe violette, qui se présente comme étant le Maître et le dirige vers les montagnes.

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Herman Hesse 1946. (Domaine public)
Herman Hesse 1946. (Domaine public)

L’idée principale dans l’histoire de Hesse, est d’exprimer, à travers l’art, la pureté de la pensée dans un monde de manifestations chaotiques. Bien qu’initialement Han Fook quitte le foyer familial pour affiner son talent et devenir célèbre, il abandonne peu à peu l’attachement au monde au cours de sa formation. Il découvre une forme d’accomplissement plus élevée qui n’est plus ancrée dans le gain matériel.

Comme Johann Wolfgang Von Goethe, compatriote de Hesse, l’a écrit dans le sonnet Nature et Art, l’art est une réflexion de la nature conçue par l’homme, et qui, comme le protagoniste de Hesse le découvre, offre la véritable liberté.

« La Nature et l’Art semblent se fuir et, avant qu’on y songe, ils se sont retrouvés.
… En effet, seul un effort honnête est digne ! Et ce n’est que lorsque nous mesurons les heures et nous astreignons nous-même à l’art, avec esprit et diligence, que la nature éclairera de nouveau nos cœurs. »1

L’art comme recherche de l’union de l’homme et de la nature est un thème récurrent dans la littérature chinoise comme en témoigne l’œuvre de deux célèbres poètes chinois retirés du monde, qui ont vécu voici plus de mille ans.

Tao Yuanming et la nostalgie de la nature

Tao Qian (365–427), aussi connu sous le nom de Tao Yuanming, était un fonctionnaire pendant la période chaotique des Trois Royaumes et des Six Dynasties (220–589). Après bien des années de service, désabusé des tracas de la vie politique, il se retire à la campagne, où il compose nombre d’œuvres célèbres.

Dans Retour à la résidence dans les champs No 1, il exprime clairement cette envolée vers la nature et l’évasion loin du labeur séculier.

Dès ma prime jeunesse, les mœurs du monde m’étaient étrangères : ma nature est amoureuse des coteaux et des montagnes.
Les oiseaux en cage se languissent de leurs forêts d’antan. 

Tao Yuanming assis sous un saule par l’artiste japonais Tani Bunchō, 1812. (Domaine public)
Tao Yuanming assis sous un saule par l’artiste japonais Tani Bunchō, 1812. (Domaine public)

Le poisson prisonnier du bassin songe à ses profondeurs natales.
Je me suis établi dans les friches du sud.
En gardant ma simplicité, je retourne aux vergers et aux champs

Ma demeure est loin des effervescences mondaines ;
Et le luxe de l’oisiveté se déploie dans ses chambres vides.
Il y a si longtemps que je vis dans une cage.
Et je retourne maintenant à la Nature.2

L’une des plus connues des œuvres en prose de Tao Yuanming, Fleurs de pêchés au printemps relate le voyage du narrateur vers une terre cachée du monde extérieur. Après un court séjour idyllique, le voyageur part avec l’intention de revenir. Mais même avec l’appui d’un riche ami, il ne retrouvera jamais son utopie à travers une recherche physique extérieure.

De même que Tao Yuanming est mû par la nostalgie du monde naturel, le protagoniste de Hesse est motivé par un désir inné de rendre compte par les mots de la beauté du monde. Il se sent prédestiné à recevoir l’enseignement du Maître du Monde Parfait et renonce à sa fiancée, et à sa position pour se former dans le désert.

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Le sentiment de prédestination est reconnu par le frère de Han qui présume que ce pourrait être la prérogative d’une divinité. Han Fook part dans les montagnes du Nord et commence à cultiver son art, ce qui, selon lui, peut prendre plusieurs années.

Cultiver la maîtrise artistique dans le sanctuaire de la nature.

Tandis que Han Fook se forme, il s’avère bientôt que son art n’est pas le seul objet de son développement, car il doit lui-même s’élever sur le plan spirituel. À maintes reprises il rentre furtivement chez lui à l’idée que sa vie est un échec, mais chaque fois il ne peut s’empêcher de retourner dans les bois retrouver son maître, dont l’enseignement consiste autant en suggestions et simples instructions qu’à lui apprendre à jouer la flûte et la cithare.

Le rôle de la musique a une signification profonde dans la tradition spirituelle chinoise ; pour Confucius, le grand maître social et moral, la musique était l’instrument-clé pour une gouvernance harmonieuse. Pareillement, l’art de la poésie sert de lien lyrique entre les confins du langage humain et la myriade d’expressions du monde viscéral et naturel.

Wang Wei, poète et bouddhiste zen

L’œuvre poétique chinoise est imprégnée de scènes de la nature et évoque l’appel d’un plan plus élevé. Wang Wei, poète du dix-huitième siècle du début de la dynastie Tang, qui devint un bouddhiste zen fervent, en est un exemple célèbre.

Dans La villa de l’Extrême –sud, il raconte comment il s’installe dans les montagnes en quête d’une « bonne Voie », et finalement perd la notion du temps en dialoguant avec un vieil homme qu’il rencontre dans la nature.

Les poèmes de Wang Wei soulignent des scènes qui dépeignent la grandeur et la majesté du monde naturel ; les hommes, même quand ils apparaissent, sont minuscules.

Dans Vie à la montagne dans la nuit d’automne Wang Wei décrit des montagnes massives après la pluie, démontrant la grandeur du Ciel et de la Terre. Puis au milieu de forêts de pins et de sources bondissantes, des lavandières bavardent dans un bosquet de bambous. Le narrateur exprime son humble satisfaction dans un vers final.

Le poème de Wang Wei Vie à la montagne dans la nuit d’automne, en surimpression sur une peinture de Xin Tian. (Xin tian/Epoch Times)
Le poème de Wang Wei Vie à la montagne dans la nuit d’automne, en surimpression sur une peinture de Xin Tian. (Xin tian/Epoch Times)

C’est cette humble révérence que Han Fook développe devant son maître et, de façon plus significative, devant le monde. Il se détache même de la fuite du temps. Il renonce non seulement à sa fortune séculière, mais aussi au désir de tout accomplissement mondain en échange de la pleine maîtrise de sa vocation.

C’est seulement à travers une perte apparente que Han Fook est capable de trouver ce qu’il cherche. Comme Goethe l’énonce dans Nature et art :

Celui qui cherche la grandeur doit se recueillir :
Le Maître ne se révèle lui-même que dans la limitation,
Et seule la loi peut nous donner la liberté.

Transcender l’élément humain, quitter le plan séculier.

Après le départ soudain de son maître, Han Fook comprend que son initiation est achevée et il retourne dans sa ville natale. Il contemple la même Fête des Lanternes, à l’origine de son odyssée spirituelle. En regardant la scène d’automne, Han Fook, à présent un vieil homme et devenu maître à son tour, contemple la perfection non seulement dans la nature, mais dans son langage poétique, tout comme le Fleuve jaune la reflète dans ses eaux.

Pour le monde décrit dans les vers de la poésie chinoise, on atteint la maîtrise des «mots parfaits», comme Hesse l’appelait – par l’élévation spirituelle et l’abandon des intérêts matériels.

La poésie de Tao Yuanming, Wang Wei et celle des maîtres des dynasties Tang et Song – Li Bai, Du Fu, Su Shi, pour n’en nommer que quelques-uns – a marié l’art lyrique de la poésie à la sagesse des maîtres et philosophes chinois classiques. L’impressionnant corpus d’œuvres célèbres et la richesse de la langue écrite chinoise ont touché à travers les siècles et jusqu’à nos jours un vaste public, au-delà des frontières de la Chine elle-même.

Version anglaise : A German’s Understanding of Ancient Chinese Poets
Notes :

1 – traduit de textlog.de

2 – traduit de l’original à gushiwen.org

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