Après deux ans d’une instabilité ministérielle inédite rue de Grenelle, l’Éducation nationale s’apprête à vivre une rentrée marquée par l’incertitude sur le cap de la politique éducative, avec une ministre Nicole Belloubet, membre d’un gouvernement démissionnaire.
Si l’année dernière, Gabriel Attal avait fait de la rentrée 2023 avec l’interdiction de l’abaya, le prélude à une série de mesures annoncées à un rythme effréné, la rentrée 2024 s’effectuera dans un « flou » des mesures du lendemain, avec une ministre sur le départ et la formation prochaine d’un nouveau gouvernement.
Pour le monde enseignant, la priorité reste les plus de 3000 postes non pourvus et l’impératif d’assurer la présence d’un enseignant devant chaque classe.
Un grand « flou » additionné d’une instabilité inédite pour l’Éducation nationale
L’Éducation nationale a donné le coup d’envoi de la nouvelle année scolaire, avec la rentrée de quelque 12 millions d’élèves, le 2 septembre. Rue de Grenelle, on assure que « le contexte politique ne doit pas impacter la rentrée scolaire des élèves », dans l’instabilité politique inédite que traverse la France depuis la dissolution. Après le long passage de Jean-Michel Blanquer (2017-2022) au ministère, l’Éducation nationale a connu depuis deux ans quatre ministres. Le cinquième est attendu sous peu.
« C’est une rentrée qui est quand même très étrange » et « un peu suspendue, dans l’attente d’arbitrages et de décisions politiques, alors qu’en fait, il n’y a plus le temps d’attendre, vu l’état de l’école », oppose Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, principal syndicat du second degré (collèges et lycées).
Grégoire Ensel, vice-président de la Fédération de parents d’élèves FCPE évoque lui une « situation inédite ». La rentrée est selon lui un « moment fort de dialogue, de démarrage qui donne un tempo pour l’année ». Il souhaite un futur ou une future ministre « qui dialogue, apaise, construise et qui soit présent pour longtemps ».
« C’est une rentrée dans le flou: il y a des zones d’ombre et il n’y a pas de ligne claire sur ce que va être la méthode de la politique éducative », déplore Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE Unsa.
Pour Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, premier syndicat des chefs d’établissements, c’est « l’incertitude sur l’avenir » et le « manque de visibilité » qui dominent cette rentrée. « Que vont devenir les annonces qui ont été faites au sujet de la (classe de) prépa seconde, du brevet, des groupes de niveau, de l’uniforme? », s’interroge le chef d’établissement.
Il assure toutefois que « la rentrée se fera sans encombre ». « Tout ça ne va pas changer grand-chose » car « ce n’est pas la politique qui pilote, ce sont les techniciens, les rectorats qui le font ».
Dans un communiqué, le syndicat enseignant Sud éducation alerte, lui, sur « une rentrée sous tension », avec une « école qui est à un point de bascule ». « La mise en œuvre à marche forcée du choc des savoirs avec la généralisation des évaluations nationales dans le premier degré et l’enseignement du français et des mathématiques en groupes en sixième et en cinquième font l’objet de fortes résistances dans les écoles et les collèges », écrit-il.
Un cap tracé en pointillé
La ministre de l’Éducation nationale démissionnaire Nicole Belloubet a plaidé pour que son budget soit « a minima sanctuarisé » avant l’ouverture du débat sur le budget 2025 que mènera le futur gouvernement.
Selon la ministre, il s’agit en effet d’un « contexte un peu inédit sur le plan politique » mais « les affaires courantes ne sont ni un temps suspendu pour l’école, ni un temps mort », a-t-elle justifié, alors qu’elle est en poste depuis près de sept mois.
Une source gouvernementale a pour sa part assuré que « le budget 2025 prévu pour l’Éducation nationale augmente de près de 900 millions d’euros par rapport au budget final de 2024 », sans donner davantage de précisions.
Sujet de long terme, les postes d’enseignants non pourvus, représentent l’une des « urgences structurelles », selon les syndicats enseignants. La crise perdure encore cette année, avec plus de 3000 postes non pourvus aux concours enseignants du public et du privé.
Comme l’an passé, l’enjeu sera d’assurer la présence d’un enseignant devant chaque classe, à la rentrée et sur la durée.
Les grands axes en suspens de la rentrée scolaire
Parmi les principales nouveautés de cette rentrée scolaire figure la mise en place des « groupes de besoins » en français et mathématiques en classe de sixième et cinquième. Annoncés par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, les groupes de niveau, rebaptisés « groupes de besoins » sont vivement critiqués par une bonne partie du monde éducatif.
« J’ai souhaité que cette réforme soit mise en œuvre. Mais j’ai souhaité aussi qu’elle le soit avec pragmatisme et souplesse. Aux établissements et aux équipes d’agir pour atteindre les objectifs de la réforme », a déclaré Mme Beloubet. Cette mesure controversée devrait être évaluée parallèlement à sa mise en place, souligne-t-on au ministère.
À la suite des préconisations de la commission « écrans » voulue par Emmanuel Macron, la ministre démissionnaire a également annoncé l’expérimentation de l’interdiction du téléphone portable dans 200 collèges avant une possible généralisation de cette « pause numérique » en janvier 2025. « Comment une ministre démissionnaire peut se projeter aussi loin ? », s’est étonné Jean-Rémi Girard, du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur.
L’expérimentation de la « tenue unique » à l’école, annoncée à l’automne dernier et prévue cette année dans une centaine d’établissements scolaires sur la base du volontariat, en vue d’une éventuelle généralisation en 2026, « est en cours », a rappelé Nicole Belloubet, signe que la généralisation n’est pas encore d’actualité et suspendue aux nouvelles consignes du prochain gouvernement. « Il y a 90 établissements qui se sont lancés dans cette expérimentation », a-t-elle précisé. « Il y a surtout des écoles, 70 écoles à peu près, quelques collèges et je crois moins d’une dizaine de lycées. » Certains établissements l’avaient lancée dès le premier trimestre 2024. D’autres ont prévu la mise en place de l’uniforme pour cette rentrée de septembre, comme à Nice.
Alors que les cours d’empathie, destinés à lutter contre le harcèlement à l’école et expérimentés dans 1200 écoles depuis le début de cette année, devaient être généralisés à l’ensemble des écoles maternelles et élémentaires à la rentrée, Nicole Belloubet a semblé prendre ses distances en ironisant : « Le seul cours d’empathie que j’ai vu, il a consisté à ce qu’à un moment donné, les élèves se prennent dans les bras l’un de l’autre. Et moi, j’ai vu Brigitte Macron enlacer Gabriel Attal. J’en ai déduit que c’était sûrement très utile ». Leur généralisation pourrait également être nuancée avec « pragmatisme et souplesse », selon les possibilités de disponibilités des chefs d’établissement.
Des mesures reportées
Gabriel Attal avait annoncé sa volonté de réformer le brevet pour renforcer son « exigence », avec une part accrue donnée aux épreuves terminales, amenées à représenter 60 % du verdict final. Il avait surtout annoncé que l’obtention du brevet « conditionnerait », à partir de 2025, « l’accès direct au lycée ».
Nicole Belloubet a reconnu qu’en raison du contexte politique, les textes sur ces nouvelles modalités « ont dû être reportés ». Mais elle a assuré que dès la fin de la période des affaires courantes, « nous devrions pouvoir en assurer la publication pour qu’ils puissent entrer en vigueur pour le brevet 2025 ».
En revanche, la réforme prévoyant que l’obtention du brevet soit obligatoire pour le passage en seconde ne devrait pas être entérinée, « le décret prévu à cette fin étant gelé à ce stade », a-t-elle dit. « Le prochain gouvernement décidera ce qu’il en est ».
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