La surpopulation carcérale atteint des records en France et n’est pas prête de s’inverser

Par Ludovic Genin
4 septembre 2024 07:19 Mis à jour: 4 septembre 2024 08:46

Avec 78.397 détenus au 1er août, la surpopulation carcérale atteint des niveaux sans précédent en France, selon des chiffres publiés le 31 août par le ministère de la Justice. En un an, la population carcérale a progressé de 5,6 %.

La France figure parmi les mauvais élèves en Europe en termes de surpopulation carcérale, en troisième position derrière Chypre et la Roumanie, selon une étude publiée le 6 juin par le Conseil de l’Europe.

Le sujet devient de plus en plus brûlant pour l’exécutif, alors que l’opinion publique appelle à plus de fermeté et que la délinquance augmente dans le pays, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

La surpopulation carcérale à un niveau sans précédent en France

Malgré un léger fléchissement en août après 10 mois de hausse, le nombre de détenus en France demeure très élevé alors que les prisons françaises ne comptent que 62.021 places disponibles. La densité carcérale globale s’établit à 126,4 %. Au 1er mars, le taux d’encellulement individuel était de 39 %.

Dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines, elle atteint 151,6 %. Elle atteint ou dépasse même les 200 % dans 15 établissements ou quartiers. C’est le cas notamment à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan où la densité carcérale est de 226,7 % avec 798 détenus pour 352 places, ou à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses où la densité carcérale atteint 201 % avec 1.166 détenus pour 580 places.

Parmi les personnes incarcérées, 20.210 sont des prévenus, en détention dans l’attente de leur jugement définitif. Au total, 95.381 personnes étaient placées sous écrou au 1er août. Parmi elles, on compte 16.984 personnes non détenues faisant l’objet d’un placement sous bracelet électronique ou d’un placement à l’extérieur.

La France pointée du doigt pour des conditions « indignes » de détention

Face à cette surpopulation carcérale chronique, le Conseil de l’Europe a exprimé à la mi-mars sa « profonde préoccupation ». En juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait condamné la France pour ses conditions « indignes » de détention. Le Conseil de l’Europe a notamment invité les autorités françaises à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ».

Fin mai, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a publié un avis dans lequel elle juge infondé le refus de l’exécutif d’introduire dans la loi ce mécanisme, qui interdirait à tout établissement pénitentiaire de dépasser un taux d’occupation de 100 %.

Pour la CNCDH, les arguments du gouvernement, selon lequel « un tel mécanisme aggraverait le risque de récidive, porterait atteinte à l’indépendance des juges ou encore entrainerait une rupture du principe d’égalité entre les personnes détenues », ne sont « ni fondés juridiquement ni justifiés par la réalité de terrain » dénonçant une “surenchère sécuritaire ».

L’automne dernier, la Cour des comptes avait relevé dans un rapport que la surpopulation carcérale « persistante » pèse sur la politique d’exécution des peines d’incarcération qui coûte « environ 4 milliards d’euros » par an.

Le fonctionnement actuel du système carcéral « n’est pas satisfaisant », estimait la Cour en soulignant que « cette situation expose les détenus, comme les personnels, à des conditions de détention marquées par des tensions quotidiennes, la promiscuité et des risques de violence accrus ». Le phénomène ne semble pas sur le point de s’inverser.

Le gouvernement tente de remédier au problème

Des mesures ont pourtant été prises pour tenter de remédier à ce problème, telles que l’interdiction des peines de prison de moins d’un mois, l’aménagement des peines ou encore le développement du travail d’intérêt général. Mais celles-ci s’avèrent insuffisantes.

L’exécutif table aussi sur la construction de 18.000 places de prison d’ici 2027 pour porter la capacité à 78.000 places opérationnelles. Outre le fait que cet objectif a pris un sérieux retard et semble déjà obsolète au vu de la situation, de nombreux acteurs et observateurs estiment que cela ne résorbera pas le problème.

« À ce rythme-là, la livraison de 15.000 places supplémentaires ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau », a mis en garde le syndicat du personnel pénitentiaire UFAP-Unsa.

« Il est plus que nécessaire d’envisager une réforme du schéma carcéral à long terme avec la création d’établissements spécialisés et adaptés à taille humaine, le développement des mesures alternatives et une réflexion sur le sens de la peine », souhaite le syndicat, qui a demandé au gouvernement « des mesures d’urgence ».

Craignant que « les prisons s’enflamment ou que survienne un drame », le syndicat FO-justice a également demandé au garde des Sceaux « d’agir en urgence » pour « stabiliser durablement les taux de densité carcérale dans l’ensemble des établissements ».

Au début de l’année, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) et 34 autres associations, syndicats et institutions avaient demandé au gouvernement de se résoudre à mettre en place un « dispositif contraignant de régulation de la population carcérale », sans que leur demande soit suivie d’effets.

« En persistant à occulter les taux spécifiques des quartiers dédiés aux hommes détenus, le ministère de la Justice publie consciemment des taux d’occupation largement sous-estimés », estime l’OIP, qui donne l’exemple de Perpignan où « le taux d’occupation bondit de 201 à 259 % dès lors que sont exclues les données relatives aux femmes, aux enfants et à la semi-liberté ».

L’État « détourne le regard » 

La contrôleure des prisons Dominique Simonnot a pointé, dans son rapport annuel publié en mai 2024, l’ « inertie coupable » du gouvernement face à la surpopulation carcérale record en France. À la tête de cette autorité administrative indépendante, Dominique Simonnot tire la sonnette d’alarme alors que des pics historiques ont été atteints successivement cette année dans les prisons françaises.

Cette surpopulation record implique « aux prisonniers de vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 », alerte Dominique Simonnot. Elle contraint « 2100 d’entre eux à dormir sur un matelas au sol », pointe-t-elle.

L’autorité indépendante, rappelle-t-elle, « recommande depuis 2017 » la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale inscrit dans la loi, qui permettrait d’examiner les possibilités de sortie d’un prisonnier en fin de peine avant de faire rentrer d’autres détenus. Mais « malgré des démarches insistantes […], les pouvoirs publics ne semblent pas déterminés à modifier l’état du droit », regrette la contrôleure des prisons.

Elle a critiqué la solution avancée par l’État pour lutter contre le fléau de la surpopulation carcérale, celle de la construction de 18.000 nouvelles places de prison d’ici 2027. Une « fameuse promesse fleurant le rance, puisque ces 15.000 places étaient déjà proclamées en 2017 pour 2022 » et ont été « très modestement réduites, à 2000 fin 2021 », accuse la contrôleure générale.

Une forte baisse des peines de travail d’intérêt général depuis 2015

Le prononcé de peines de travail d’intérêt général (TIG), alternatives à l’emprisonnement, a baissé de 34 % entre 2015 et 2022, selon des chiffres publiés en juillet 2024 par le ministère de la Justice. En 2022, les juridictions pénales ont prononcé 16.560 TIG, soit le « plus faible nombre » de TIG prononcé depuis 2013, en dehors de l’année 2020 marquée par le Covid.

Le TIG, en vigueur depuis 1984, peut être prononcé à la place de l’emprisonnement (si la personne accepte) pour certains délits et profils (souvent des jeunes majeurs, sans emploi, pour des faits de faible gravité comme des infractions routières ou des dégradations, vols, ou certaines violences physiques). Il s’agit d’une peine de travail sans rémunération, pour 20 à 400 heures. Elle est possible pour les plus de 16 ans, notamment au profit d’établissements de service public ou d’associations habilitées.

La décision d’une condamnation à une peine de TIG reste au final celle d’un juge indépendant, rappelle-t-on aussi. Les magistrats sont peut-être parfois frileux, dans une société où la justice est régulièrement accusée d’être « laxiste », à prononcer une condamnation qui pourrait « ne pas être vue comme une vraie peine », surtout si son suivi « est trop lâche », avance Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats.

Elle doit aussi être appréhendée comme « une peine autonome », plutôt que comme un « outil pour désengorger les prisons », ajoute-t-il. Le TIG est souvent présenté comme un des possibles remèdes à la surpopulation carcérale chronique en France.

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