LIFESTYLE

La talavera mexicaine reconnue par l’Unesco

mai 6, 2020 11:23, Last Updated: mai 30, 2020 14:29
By Christiane Goor et Charles Mahaux

Fin 2019, les processus de fabrication associés à la talavera (céramique) artisanale de Puebla et de Tlaxcala au Mexique ainsi que la céramique de Talavera de la Reina et d’El Puente del Arzobispo en Espagne ont été reconnus par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Les deux sont intimement liés et on peut aisément imaginer que les premiers ont été inspirés par les seconds lors de la colonisation espagnole au point de d’y associer le nom espagnol de « talavera ».

Malgré de nombreux changements au cours du temps, comme l’utilisation de tours de potiers électriques, les processus artisanaux restent fidèles à ceux du XVIe siècle. Les savoir-faire incluent la préparation de l’argile, la fabrication de la faïence à l’aide d’un tour de potier ou d’un moule, la décoration, la préparation des pigments et le vernissage et l’utilisation du four.

L’alignement des amphores se veut didactique en montrant de gauche à droite toutes les étapes de fabrication de l’objet. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Toutefois, s’il est exact qu’avec l’arrivée des Espagnols au 16ème siècle, les artistes mexicains ont été amenés à suivre les influences européennes, ils ont toujours essayé de sauvegarder leur âme indigène dans la plupart de leurs créations. C’est pourquoi aujourd’hui encore, l’artisanat mexicain doit être considéré comme un art populaire qui invite à une connaissance approfondie du pays.

Une production résolument inventive

Une ouvrière minutieuse attelée à la peinture des motifs d’une énorme jarre qui accueillera un jour une plante verte. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Les artisans mexicains n’ont pas succombé à l’industrialisation ni aux objets fabriqués à la chaîne, ce qui donne aux souvenirs que l’on peut ramener une valeur incomparable et un charme particulier. La terre cuite ou céramique est sans aucun doute une des créations les plus anciennes. Liée aux célébrations mayas et aztèques et aux offrandes pour les morts, elle est aussi indissociable du quotidien.

Les talaveras poblanas, version mexicaine des azulejos andalous, jaillissent de toute part à Puebla : maisons, fontaines, églises en sont incrustées donnant à la ville une harmonie visuelle et une élégance qui ont inspiré des cités voisines. Entre 1550 et 1570, un céramiste originaire d’un village castillan, Talavera de la Reina, débarqua à Puebla où il apprit aux artisans locaux l’usage du tour du potier et du vernis à base d’étain.

Un artisan à l’œuvre sur son tour. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

C’est la rencontre entre les motifs indigènes et les techniques espagnoles qui a donné naissance à ce qui est reconnu aujourd’hui comme la talavera poblana. Dès le 17ème siècle, on peut réellement parler d’industrie dans toute la région et des corporations furent créées pour garantir la qualité des pièces produites. La couleur bleue était utilisée pour les pièces les plus luxueuses en raison du coût élevé du minerai nécessaire à la fabrication. La vaisselle était bien sûr au centre de la production mais aussi de splendides azulejos, ces carreaux de faïence émaillés bleus ou blancs ou polychromes qui garnissaient les façades des églises et des palais de Puebla. La casa de los Muñecos à Puebla est ainsi décorée de personnages masculins qui ressemblent à des pantins.

La Casa de los Muñecos ou la maison des marionnettes dont la belle façade de céramique n’hésite pas à caricaturer d’anciens dignitaires de la ville. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

400 ans plus tard, rien n’a changé. Il suffit de visiter à Puebla les ateliers de l’entreprise Uriarte qui a conservé son nom d’origine alors que l’entreprise familiale a été reprise par un consortium qui lie trois entrepreneurs mexicains et un canadien qui veillent à maintenir la pureté et la qualité dans la fabrication des objets, tous artisanaux depuis la mise en forme jusqu’à la dernière étape du vernissage en passant par les ateliers de peinture où hommes et femmes créent des décors minutieux sur leurs pièces.

La casa Uriarte vend ses productions mais elle est elle-même un modèle du genre où les carreaux de céramique dans une fantaisie toujours renouvelée animent la maison. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

A Tlaxcala encore, la jolie Parroquia de San José est en briques cramoisies émaillées de faïences teintées. Ailleurs, Acatepec, un petit village de l’état de Puebla, mérite le détour pour l’exubérante façade multicolore de carreaux de céramique de son église San Francisco, un hymne à la géométrie et aux consonances aztèques.

La splendeur de l’église d’Acatepec se distingue par son revêtement extérieur et ses mosaïques multicolores qui donnent une impression de porcelaine. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Quant à la façade orange de Santa Maria de Tonantzintla, elle interpelle pour le mélange des genres, sorte de baroque syncrétiste miraculeux qui porte à la fois les caractéristiques catholiques et indigènes.

La technique a essaimé ailleurs dans le pays. Dolores Hidalgo est ainsi devenue la capitale de la céramique dans l’Etat de Guanajuato avec une production variée et créative. C’est Miguel Hidalgo, le curé du village à qui le pays doit son indépendance, qui introduisit la tradition artisanale du métier de la poterie ainsi que la céramique de la talavera. Quand on pénètre dans la ville, on est immédiatement immergé dans un environnement d’ateliers de poterie ou de boutiques qui affichent partout leurs productions.

La talavera poblana sert aussi à produire de la vaisselle colorée à l’image du pays. (Christiane Goor et Charles Mahaux)

Le regard se perd entre les jarres, les fontaines, les vasques, les candélabres, les bols à fruits, les cygnes, les grenouilles, la vaisselle et autres objets de la cuisine qui peuplent le paysage et explosent de couleurs. Toute la matière première est extraite dans les gisements d’argile et autres boues de la région tandis que les couleurs et les émaux viennent de Monterrey et de Mexico.

Pas étonnant que la talavera poblana ait gagné peu à peu ses lettres de noblesse. En 1992 déjà, elle fait l’objet d’une AOC qui fait référence à son origine spécifique et exclusive, ceci afin d’éviter la vente de produits similaires qui chercheraient à profiter de la réputation des produits authentiques et le 11 décembre 2019, elle a été inscrite sur la Liste du Patrimoine culturel de l’Humanité, reconnaissance suprême.

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