La transformation dans les chefs-d’œuvre du Bernin et de Botticelli

Inspirés par les poètes romains et italiens, le peintre Sandro Botticelli et le sculpteur Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin, ont tous deux représenté la beauté de la transformation dans leurs œuvres d'art

Par Mari Otsu
8 avril 2025 01:57 Mis à jour: 8 avril 2025 01:57

La sculpture en marbre grandeur nature d’Apollon et Daphné de Gian Lorenzo Bernini domine les visiteurs de la Galleria Borghese à Rome. Elle illustre la transformation culminante des Métamorphoses du poète romain Ovide, lorsque la naïade Daphné, fuyant la poursuite passionnée d’Apollon, se transforme en laurier.

Apollon, l’une des douze divinités de l’Olympe dans la mythologie grecque antique, a été frappé par la flèche d’or de l’amour de Cupidon qui le fait tomber éperdument amoureux de la nymphe Daphné, fille de Pénée, dieu de la rivière. Daphné, à l’inverse, est frappée par la flèche de plomb de Cupidon afin de lui rendre impossible toute forme d’amour envers Apollon, son esprit pur refusant l’amour des hommes, se dérobe aux avances éperdues d’Apollon. Après une période de poursuite frénétique, le dieu fou amoureux cherche alors à la convaincre de ne pas lui résister. Daphné à bout de force supplie son père Pénée de la délivrer de ce mal.

Aide-moi, mon père, si tes ruisseaux qui coulent
ont de la vertu ! Couvre-moi, ô mère Terre !
Détruis la beauté qui m’a blessée
ou change le corps qui détruit ma vie.

Sa prière à peine terminée, le corps de la nymphe est gagné par l’inertie : sa poitrine est entourée d’une fine écorce, ses pieds sont soudés à la terre par des racines sinueuses, son visage est entouré de feuilles, ses cheveux se transforment en feuilles tremblantes et ses bras se transforment en branches flottantes.

Gian Lorenzo Bernini n’avait que 23 ans lorsqu’il a commencé cette sculpture à la demande du cardinal Scipione Borghese en 1622. Le cardinal Borghèse avait commandé Apollon et Daphné au jeune sculpteur après avoir offert L’Enlèvement de Proserpine au cardinal Ludovico Ludovisi.

Apollon et Daphné, 1622, par Gian Lorenzo Bernini. Marbre de Carrare ; 242 cm. Galerie Borghèse, Rome. (Crédit photo de Paolo Gallo/Shutterstock)

La sculpture élancée nous accueille avec un éventail de textures et différents degrés de finition du marbre, mais cette diversité est subordonnée à l’harmonie de l’ensemble de l’œuvre d’art. Son geste vertical, en spirale, attire notre regard vers le haut, vers le sommet de la composition, où les doigts et les cheveux de Daphné se transforment en feuilles de laurier. Le marbre des feuilles est si fin et si semblable à du papier qu’il devient doré sous l’effet de la lumière du soleil.

Gian Lorenzo Bernini reste étonnamment fidèle à la vision qu’Ovide avait exprimée en paroles. Les détails d’Apollon et Daphné sont particulièrement frappants, comme la transition ininterrompue entre les ongles des orteils et les racines, lorsque les vrilles de terre attachent Daphné au sol. Le mouvement de la sculpture invite les visiteurs à marcher autour d’elle, à faire l’expérience du récit tel qu’il se déroule dans l’espace.

Détail de Apollon et Daphné, 1622, de Gian Lorenzo Bernini. (Crédit photo de Mari Otsu)

En commençant par les membres inférieurs du duo, qui se trouvent à la hauteur des yeux, on perçoit la force de traction du désir d’Apollon dans la manière dont ses jambes sont saisies à mi-course, son pied droit s’appuyant fermement sur le sol. Les jambes de Daphné, juste devant celles du dieu, sont surélevées sur un monticule de terre, dont on peut imaginer qu’il s’est manifesté il y a quelques instants comme une réponse aux prières de la nymphe. Au lieu de la vigueur tendue du geste d’Apollon en pleine poursuite, le corps tordu de Daphné est sculpté comme s’il était mou, soumis aux forces qui ancrent ses pieds au sol et qui tirent ses cheveux ondulés vers le haut en une délicate grappe de feuillage.

La fine écorce de laurier qui émerge du monticule de terre surélevé encercle Daphné, l’enfermant dans une gaine souple en bois. Alors que nos yeux suivent la texture rugueuse de l’écorce qui s’enroule autour de la chair lisse de la nymphe de la rivière, nous arrivons au moment culminant où Apollon entre enfin en contact avec Daphné. Cependant, il est trop tard, car la main du dieu ne saisit pas le ventre doux de Daphné, mais touche seulement l’écorce de laurier nouvellement formée. Seule l’extrémité de l’index d’Apollon entre en contact avec la peau de Daphné, un détail qui accentue les passions presque consommées mais finalement non partagées du dieu.

C’est à partir de ce mythe que le laurier a été consacré comme symbole de victoire cher à Apollon. Lors de la transformation de Daphné, le dieu a déclaré :

Bien que tu ne puisses pas être ma fiancée,
tu seras appelé mon arbre d’élection, et tes feuilles vertes,
O Laurier ! couronneront à jamais mon front,
seront enroulées autour de mon carquois et de ma lyre ;
les héros romains seront couronnés avec toi.

Les feuilles de Daphné étaient ainsi tressées pour former des couronnes et des guirlandes qui étaient remises aux athlètes lors des Jeux Pythiques au sanctuaire d’Apollon à Delphes. Lorsque nous parlons d’un poète lauréat ou d’un lauréat du prix Nobel, nous nous inspirons en fait de cette ancienne tradition grecque et romaine qui consistait à honorer les réalisations en conférant des lauriers aux personnes méritantes.

Le Printemps de Botticelli

Le Printemps (Primavera), vers 1480, par Sandro Botticelli. Tempera et plâtre sur panneau de bois ; 203 x 314 cm. Galerie des Offices, Florence. (Domaine public)

Une autre œuvre d’art représentant la transformation est la tempera et plâtre sur panneau de bois de peuplier, Le Printemps de Sandro Botticelli datant du début des années 1480, soit plus de 140 ans avant que le Bernin ne sculpte son Apollon et Daphné. Peint comme un cadeau pour la famille Médicis, le panneau représente neuf personnages de l’Antiquité classique réunis dans un bosquet d’orangers et de lauriers. De droite à gauche, il s’agit de : Zéphyr, Chloris, Flore, Vénus (avec Cupidon survolant au-dessus de sa tête), les trois Grâces et Mercure.

Beaucoup d’encre savante a coulé pour tenter de trouver une explication singulière à la présence de ces neuf personnages dans le même espace. Si l’on n’a pas trouvé d’histoire reliant ce groupe spécifique, on sait que le néoplatonisme de la Renaissance captivait les cercles intellectuels de Florence à l’époque, y compris les Médicis. Le Printemps s’inspire des Fastes d’Ovide et, peut-être, des écrits des poètes Lucrèce et Poliziano (un érudit classique italien et le poète des Médicis).

Zéphyr, le dieu du vent d’ouest, survole sur le côté droit du tableau, agrippant le torse de la nymphe Chloris, tandis que de délicates fleurs émergent de ses lèvres et descendent au sol tapissé de fleurs colorées. Bien que la verdure du tableau soit assez sombre, en partie à cause du processus de vieillissement du pigment original, 500 espèces de plantes peuvent néanmoins être identifiées. Sur ces 500 espèces végétales, 138 fleurs peuvent être identifiées avec précision, ce qui confirme qu’elles ont toutes été rendues avec exactitude par Botticelli, qui a peut-être utilisé l’aide d’herbiers (compendiums de spécimens de plantes conservés).

Les historiens de l’art ont souligné les similitudes visuelles entre Le Printemps et les tapisseries flamandes et françaises à mille fleurs de la fin du Moyen-âge qui présentaient des fonds vert foncé parsemés de fleurs et de feuillages. Ces tapisseries ornaient fréquemment les palais à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle.

La licorne est retenue en captivité (1495-1505). Tissage avec trames de laine, de soie, de fils métallique argent et or, 368 x 251 cm. Les tapisseries de la Licorne comptent parmi les œuvres les plus belles et les plus complexes des tapisseries en millefleurs de la fin du Moyen Âge. Les cloîtres du Met. (Domaine public)

Comme le raconte le cinquième livre des Fastes d’Ovide, après avoir réussi à poursuivre Chloris, Zéphyr épouse la nymphe et la transforme en Flore, déesse du printemps et reine des fleurs :

« Cependant, il s’est racheté de sa violence en me donnant le nom d’épouse, et dans mon lit conjugal, je n’ai pas à me plaindre. Je jouis d’un printemps perpétuel ; l’année est toujours la plus belle ; l’arbre est toujours couvert de feuilles, le sol de pâturages. Dans les champs qui sont ma propriété, j’ai un jardin fructueux, balayé par la brise et arrosé par une source d’eau courante. Ce jardin, mon mari l’a rempli de fleurs nobles et a dit : ‘Déesse, sois la reine des fleurs.’ »

Détail de Flore, Chloris et Zéphyr du Printemps, vers 1480, de Sandro Botticelli. (Domaine public)

Dans le tableau de Botticelli, Flore est peinte dans une robe florale fluide, regardant directement le spectateur, éparpillant des roses roses et rouges sur le sol devant Vénus. Les fleurs sont peintes avec une précision analytique, et on peut à peine dicerner celles qui flottent au sol depuis la bouche de Chloris de celles qui composent le motif de la robe de Flore. Sa posture est digne, gracieuse et mature, contrairement à la position passive et vulnérable de Chloris avant sa transformation en Flore.

Cupidon survole, les yeux bandés, au-dessus de sa mère Vénus, sa flèche visant les trois Grâces, déesses qui représentent la fertilité, la beauté et la joie. Mercure, le dieu messager, tourne le dos au reste du groupe et semble complètement absorbé par le fait de lever son carquois vers quelques brins de nuages. Cette peinture énigmatique et controversée est le plus souvent interprétée comme une célébration du mariage et de la procréation. Bien que la poursuite de Chloris par Zéphyr a commencé par une union forcée, elle devient finalement un mariage qui donne naissance à la beauté éternelle du printemps.

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