Le journal économique La Tribune inaugurera le 8 octobre sa première édition dominicale sous format papier. Si le timing de cette annonce a laissé penser que le quotidien ambitionne de concurrencer directement le Journal du Dimanche (JDD) suite à sa reprise en main par le journaliste Geoffroy Lejeune, le président du groupe La Tribune Jean-Christophe Tortora se défend du contraire, sans nécessairement convaincre.
« Nous voulons être le quotidien du dimanche, sans couleur politique, qui rassemble tous les Français ». Dimanche 20 août, Jean-Christophe Tortora faisait connaitre dans les colonnes du Figaro l’arrivée prochaine de la Tribune Dimanche, nouvel hebdomadaire d’information généraliste à retrouver dans les kiosques chaque dimanche à partir du 8 octobre. Un projet d’envergure rendu possible grâce au rachat, fin juillet, de l’intégrité du capital du journal par le milliardaire franco-libanais et patron du groupe CMA CGM Rodolphe Saadé, également ami du président Emmanuel Macron.
Le futur adversaire du JDD ?
Créé en 1985, La Tribune est à l’origine un quotidien de semaine qui détenait une édition papier paraissant chaque vendredi. Mais en juillet 2020, à la suite de déboires financiers en pleine crise du Covid-19, le journal économique avait été contraint de basculer sur une formule exclusivement numérique. Pour Jean-Christophe Tortora, cette initiative commerciale se veut donc un retour aux sources. « J’espérais pouvoir revenir un jour avec une édition papier. Ce retour nécessitait forcément un changement capitalistique », confie-t-il au Figaro. Cependant, derrière le positionnement sur le marché dominical, alors que la polémique autour de la nomination de l’ancien patron de Valeurs Actuelles à la tête du JDD fait toujours rage, doit-on y voir une volonté de monter à l’assaut du titre ?
Que nenni, assure l’homme de média toulousain : « Je ne profite pas d’une opportunité de marché liée à la situation au JDD, car les discussions autour de notre projet de quotidien du dimanche ont été initiées avec Rodolphe Saadé dès le mois de février. Je ne me vois pas plus comme un concurrent du JDD que de nombreux confrères qui paraissent le dimanche, de la presse régionale à L’Équipe. L’offre s’enrichit, tant mieux pour les lecteurs ! » Et d’insister auprès de l’AFP : « Je n’ai jamais vu un projet réussir en partant en croisade contre un autre. Notre idée, c’est de faire un projet pour quelque chose plutôt que contre ».
La Tribune Dimanche deviendra donc le quatrième journal national à paraitre le septième jour de la semaine avec, pour son premier numéro du 8 octobre, qui comptera 32 pages, un tirage conséquent de 120.000 exemplaires. En dehors du Journal du Dimanche, le nouvel hebdo sera en concurrence directe avec Le Parisien/Aujourd’hui en France et indirecte avec le quotidien sportif L’Équipe. À titre de comparaison, la diffusion France payée du Parisien dimanche s’élevait à 151.544 exemplaires en 2022, et 131.770 pour Le Journal du dimanche, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM).
Une place à construire
Objectif de Jean-Christophe Tortora : « Convaincre les Français de revenir chez le marchand de journaux ». Un pari risqué dans un environnement marqué par des coûts du papier élevé, une méconnaissance du titre dans le champ de l’information généraliste, un désintérêt croissant des Français pour l’actualité. Sans révéler les investissements consentis par la CMA CGM de Rodolphe Saadé pour permettre à son média de se forger sa place sur le créneau dominical, l’entrepreneur projette néanmoins sa confiance : « Le dimanche est un jour idéal, c’est celui du temps long, l’opportunité d’avoir un rendez-vous fort le week-end avec nos lecteurs. Les Français ont la capacité de prendre le temps de lire la presse papier, affirme le dirigeant. Et c’est justement ce jour qu’il y a le moins d’offres en termes de presse généraliste ! »
En matière de ligne éditoriale, le positionnement « ne sera ni de droite, ni de gauche, et respectera le pluralisme de notre rédaction ». Reste à savoir quels seront les sujets traités et sous quel angle pour que les lecteurs puissent en juger. Il est à noter que Jean-Christophe Tortora a souligné son intention d’accorder aux « enjeux autour du climat » une place de choix et de confier les rênes de son projet à Bruno Jeudy. Cet ex du JDD est également ancien rédacteur en chef politique et économique de Paris Match, dont il a été licencié pendant l’été 2022 après avoir porté la contestation de la rédaction de l’hebdomadaire contre la « une » consacrée au cardinal Robert Sarah, jugé trop conservateur.
La quarantaine de journalistes de la rédaction de La Tribune, dont le site compte quelques 20.000 abonnés et 3 millions de visiteurs uniques par mois, sera mise à contribution pour nourrir les pages de ce quotidien du septième jour. « Une quinzaine d’embauches » devraient par ailleurs venir renforcer l’équipe en vue de couvrir l’actualité culture et loisirs. Les candidatures des journalistes du JDD « en partance » (seuls trois ou quatre journalistes sur la cinquantaine en CDI de la rédaction du journal devraient rester en poste, selon Le Monde) seront examinées « comme les autres ». Des chroniqueurs extérieurs devraient également apporter leur plume.
Suspicions autour d’Emmanuel Macron
Si beaucoup ont vu derrière la nomination de Geoffroy Lejeune la main du milliardaire Vincent Bolloré, dont le groupe Vivendi est en train d’absorber Lagardère, propriétaire du JDD, il est à noter que d’autres voient derrière le lancement de la Tribune Dimanche la main, ou du moins l’influence, du président de la République. C’est le cas de Marc Baudriller, directeur adjoint de la rédaction de Boulevard Voltaire. Selon lui, pour contrer les médias critiques du gouvernement en place, détenus par Bolloré, « le pouvoir macroniste ne se contente pas de l’appui explicite des chaînes et des radios publiques financées par les Français », « Macron envoie sur le terrain médiatique les industriels proches de lui », citant Xavier Niel, Bernard Arnault et Rodolphe Saadé.
S’agissant des deux premiers milliardaires, M. Baudriller rappelle les propos du Monde en mars 2021 : « Face aux appétits de l’“ogre” Bolloré, Emmanuel Macron peut compter sur la doublette la plus puissante du capitalisme français : Bernard Arnault et Xavier Niel ».
En ce qui concerne Rodolphe Saadé, présenté dans la presse comme un nouveau magnat des médias, il rappelle que ce dernier est le récent acquérant du quotidien La Provence, dont il s’était disputé l’achat avec Xavier Niel, avant de conclure une « paix des braves dans l’avion présidentiel qui emmenait ces deux proches d’Emmanuel Macron en Algérie, en août 2022 », rapportait le magazine Challenges. Par ailleurs, d’après Capital, « Rodolphe Saadé est bien introduit en Macronie. Il a notamment recruté Jean Gaborit, cofondateur des Jeunes avec Macron et ancien conseiller d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Sa holding familiale Merit a aussi investi 500.000 euros dans Zoi, la start-up lancée par un autre conseiller d’Emmanuel Macron, Ismael Emelien ».
Autant d’éléments qui laissent peu de place au doute dans l’esprit du journaliste quant à un lien avec Emmanuel Macron : « Dans cette grande démocratie, donc, où le Président en exercice panique devant la progression de Marine Le Pen dans les sondages, on se fiche bien des angoisses des Français, de l’immigration et de l’insécurité. Tout cela passe après les préoccupations électorales du camp du bien qui met en place ses courroies de transmission médiatiques, sur fond de “Bolloréphobie” débridée. »
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