Expert en politique énergétique, Fabien Bouglé a déjà écrit deux ouvrages sur le sujet ces dernières années : Nucléaire, les vérités cachées (éd. du Rocher, 2021) et Éoliennes, la face noire de la transition écologique (éd. du Rocher, 2019).
Il vient de publier un troisième livre intitulé Guerre de l’énergie : au cœur du nouveau conflit mondial aux éditions du Rocher.
Un ouvrage dans lequel Fabien Bouglé affirme notamment que nous sommes entrés de plain-pied dans une guerre mondiale de l’énergie. Un conflit inédit, « tout à la fois planétaire, asymétrique et hybride » : « Nous sommes entrés dans une Troisième Guerre mondiale. Cette guerre n’est pas exclusivement militaire, elle prend différentes formes. »
« Des pays normalement en paix peuvent être des adversaires et des ennemis énergétiques. C’est le cas de l’Allemagne et de la France qui sont en paix apparente, mais se mènent une guerre profonde en sous-main », poursuit Fabien Bouglé.
« Jamais dans l’histoire de l’humanité la fourniture d’énergie n’aura été aussi importante. Plus importante que l’eau ou que la nourriture, parce que tout se fait sur la maîtrise de l’énergie. Sans énergie, vous ne pouvez pas assurer l’alimentation. Sans énergie pas d’agriculture, l’énergie est le sang de nos sociétés contemporaines. »
« Toute l’économie, toute la vie, toute l’agriculture, toute l’industrie sont totalement dépendantes des pays fournisseurs d’énergie, qu’il s’agisse du pétrole, du gaz ou du charbon », ajoute-t-il.
D’après lui, cette guerre mondiale de l’énergie a officiellement éclaté le 26 septembre 2022, jour du sabotage des gazoducs Nord Stream qui reliaient l’Allemagne à la Russie en passant par la mer Baltique.
Survenu dans le contexte du conflit en Ukraine et des sanctions prises par l’Union européenne (UE) contre la Russie, le sabotage des gazoducs a achevé de modifier « en profondeur les enjeux géopolitiques mondiaux » et de déstabiliser « l’équilibre mondial de la fourniture d’énergie ».
Si l’Ukraine « constitue un pays absolument stratégique » dans la guerre mondiale de l’énergie – notamment du fait des réserves énergétiques de ses sous-sols, de son grand nombre de centrales nucléaires et du passage de deux gazoducs (Brotherhood et Soyouz) russes sur son territoire –, elle ne serait toutefois qu’un maillon dans le puissant conflit qui oppose la Russie et les États-Unis pour la maîtrise planétaire des ressources énergétiques, selon Fabien Bouglé.
« La paix en Ukraine ne signifiera pas la paix mondiale de l’énergie. La guerre mondiale de l’énergie va prendre des années », pointe d’ailleurs l’essayiste, qui estime que l’Europe toute entière constitue pour l’instant le principal enjeu et le principal « champ de bataille » de la guerre mondiale mondiale pour l’énergie.
Dépendante de ses importations d’énergie à hauteur de 55%, l’Europe aiguise en effet les appétits des deux géants mondiaux de l’énergie que sont les États-Unis et la Russie.
« L’Europe est écartelée entre la Russie et les États-Unis. Sa dépendance énergétique fait qu’elle dépend corps et âme, économiquement, diplomatiquement, politiquement, géopolitiquement, de ses fournisseurs d’énergie », observe Fabien Bouglé.
Si l’Europe fait figure de véritable proie énergétique au yeux des deux principaux producteurs d’hydrocarbures, les pays membres de l’Union européenne se livrent également une guerre interne sur la question du nucléaire, autre enjeu majeur de la guerre mondiale de l’énergie.
Fragilisée par le sabotage des gazoducs Nord Stream, l’Allemagne – dont le développement s’appuyait notamment sur le gaz bon marché fourni par la Russie – « voit d’un très mauvais œil le fait que la France dispose sur son territoire d’un système énergétique extrêmement puissant qui pourrait lui permettre de reprendre le leadership économique en Europe. Grâce à son parc nucléaire, la France dépend beaucoup moins des importations d’énergie que les autres pays de l’UE. »
« L’Allemagne a procédé à une incroyable opération d’infiltration politique et économique des institutions de l’Union européenne : Parlement, Commission européenne, Conseil de l’Europe… Toutes les structures de décisions liées à l’énergie ont littéralement été préemptées par des acteurs allemands, […] au détriment du modèle nucléaire français qu’il faut impérativement détruire », remarque Fabien Bouglé.
En outre, l’Allemagne entreprend également des opérations d’influence sur le sol français par l’intermédiaire de certaines entités comme les fondations Heinrich Böll ou Rosa Luxemburg, mais aussi à travers l’Office franco-allemand de la transition énergétique (OFATE).
« Ce lobby, qui regroupe tous les acteurs allemands de l’Energiewende, à des bureaux en France, à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Une officine allemande installée au cœur du ministère de la Transition énergétique donne ses instructions pour le déploiement des éoliennes en France, cette situation est extrêmement grave. »
Un travail de sape qui s’appuie aussi sur l’action de célèbres ONG engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique ou la protection de la biodiversité, d’après les recherches de Fabien Bouglé.
« J’ai découvert que des ONG, que j’appelle des mercenaires énergétiques, mènent depuis des années des opérations contre le nucléaire français. La plupart des ONG prétendument écologistes ont en réalité un double visage. Elles se donnent l’apparence d’organisations luttant pour la planète, une cause honorable, et en sous-main elles mènent des actions résolument anti nucléaire. Et par qui sont financées ces ONG ? Citons-les : Greenpeace, WWF ou Les Amis de la Terre. J’ai découvert qu’elles étaient financées par les magnats du pétrole. Ce sont eux les premiers opposants au nucléaire. »
Forte de 56 réacteurs nucléaires, la France, qui a pris cette année la tête d’une alliance d’une quinzaine de pays européens favorables à l’atome, pourrait pourtant jouer un rôle moteur dans le futur développement de cette énergie décarbonée sur le Vieux Continent.
Un développement qui, s’il pourrait permettre de réduire fortement la dépendance énergétique de l’Europe, voire de garantir sa souveraineté, suscite l’hostilité des États-Unis et de la Russie, soucieux d’assurer des débouchés extérieurs à leur propre filière nucléaire, en plus de la vente de leurs hydrocarbures.
Le marché du nucléaire civil en Europe représente en effet un nouvel instrument de vassalisation et « l’autre versant de la guerre mondiale de l’énergie ». Un marché stratégique où la France doit rivaliser avec la Russie et les États-Unis, qui « n’entendent pas laisser le champ libre aux pays concurrents ».
« Quand vous avez installé une centrale nucléaire dans un pays, vous créez une dépendance pendant 50, 60, 70 ans : construction, entretien, combustible, désinstallation », explique Fabien Bouglé.
« Un fort développement du nucléaire au sein de l’Union européenne la rendrait indépendante. De fait, ni la Russie ni les États-Unis n’y ont un intérêt véritable », souligne l’auteur de Guerre de l’énergie : au cœur du nouveau conflit mondial.
Et Fabien Bouglé de conclure : « Il faut que les pays européens et la France comprennent que nous sommes aujourd’hui dans un affrontement. Seule l’indépendance énergétique de l’Europe permettra de rétablir la paix énergétique mondiale, garante de la paix mondiale. »
« Nous ne pouvons admettre une colonisation énergétique de la France et de l’Europe par les États-Unis ou la Russie. […] Seul le développement d’une production énergétique à très grande échelle permettra le rétablissement du rang de la France et de l’Europe dans le concert des nations. Cette renaissance ne sera possible qu’à la condition d’avoir l’envie, la force et le courage de se battre avec détermination dans cette guerre économique mondiale. »