Avant que le gouvernement ne dévoile son projet de loi d’ici à la fin de l’été, l’Académie de médecine a décidé de se joindre au débat sur la fin de vie. Dans un avis qui vient d’être rendu public, l’instance aurait majoritairement voté en faveur de l’ouverture d’un droit d’assistance au suicide « à titre exceptionnel ». Un conditionnel, car selon le Pr Patrice Queneau, ce vote n’a « aucune valeur », puisque les membres du comité d’éthique n’auraient pas approuvé cet avis. Dans l’attente d’une éventuelle révision, si la position de la société médicale a été saluée à gauche, elle n’a pas manqué de faire polémique chez les opposants à l’aide active à mourir, qui craignent de voir une exception devenir la règle.
À l’issue de la Convention citoyenne sur la fin de vie en avril, qui s’était majoritairement positionnée dans le sens d’une légalisation de l’aide active à mourir dans son rapport final, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé souhaiter l’élaboration d’une proposition de loi avant la fin de la période estivale. Dans ce cadre, l’Académie de médecine a désiré apporter sa pierre au débat en publiant un avis long d’une trentaine de pages dans lequel celle-ci se dirait favorable à une reconnaissance légale de l’assistance au suicide « à titre exceptionnel ».
Ne pas légaliser le suicide assisté serait « inhumain »
Officiellement adopté le 27 juin 2023 par 60 voix pour, 24 voix contre, et 10 abstentions, et intitulé « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables », cet avis rendu public lundi met en avant « l’aspiration individuelle légitime » à se donner la mort « dans certaines situations ».
Opposée à l’euthanasie, notamment du fait d’une désapprobation du personnel soignant pour cette pratique, l’Académie de médecine affirme dans ce document « qu’il est inhumain, lorsque le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme, de ne pas répondre à la désespérance de personnes qui demandent les moyens d’abréger les souffrances qu’elles subissent du fait d’une maladie grave et incurable ». Ne pas prendre en compte cette détresse soit en la niant, soit en optant pour un « acharnement thérapeutique à maintenir la vie », est « indigne », estime-t-elle. Aussi, pour « répondre à ces situations de supplice non soulagé d’une vie sans espoir », la société médicale souhaiterait que le dispositif actuel soit aménagé par « l’ouverture de droits nouveaux pour aider à mourir le moins mal possible, en acceptant à titre exceptionnel l’assistance au suicide ». « L’opinion publique pousse à une loi, traduisant une tendance sociétale forte d’ouvrir le droit à une aide active à mourir », fait-elle également valoir.
À ses yeux, l’autonomie, « liberté fondamentale assortie du droit de disposer de sa vie et sa mort » et la protection des plus vulnérables ne constitueraient pas deux directions inconciliables. Par conséquent, la question posée au Parlement sera donc, à son sens, la suivante : « Comment refuser à des malades éprouvant les affres et l’irréversibilité de leur condition, d’aspirer légitimement à ne pas être spectateurs de leur dégradation et à ne pas la faire subir aux autres ? »
Toutefois, l’Académie de médecine insiste sur la nécessité d’instaurer des garanties limitatives, si l’assistance au suicide était reconnue par le législateur, citant par exemple « une évaluation collégiale intervenant en amont de toute décision », afin de prévenir les risques liés à l’état de capacité du discernement du malade, ou « une autorisation et prescription sans administration du produit létal par les médecins et soignants, ce qui conduit à une ultime liberté de choix pour le patient ».
Elle souligne aussi qu’« une reconnaissance de l’assistance au suicide rend impérative la nécessité de mettre en place sur l’ensemble du territoire une offre en soins palliatifs correspondant aux besoins et accompagnée des moyens nécessaires ».
L’Académie de médecine n’a pas voté pour le suicide assisté, s’insurge le Pr Queneau
Mais rebondissement : ce mardi 18 juillet, le Pr Patrice Queneau, membre du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine, dont le nom apparaît en première page de l’avis, a dénoncé un vote sans « aucune valeur » auprès du site de santé Doctissimo. Tenant à « rétablir la vérité », il a tout d’abord fustigé l’absence de séance plénière dédiée entièrement à ce sujet : « La fin de vie aurait dû faire l’objet d’une présentation générale et d’une discussion au cours d’une séance plénière de l’Académie entièrement consacrée à ce sujet, ne serait-ce que pour souligner l’ampleur de l’enjeu, l’importance des soins palliatifs, notamment les déficits majeurs en ce domaine et la nécessité d’appliquer pleinement la loi Clayes-Leonetti, comme plan prioritaire. Or, ce sujet brûlant n’a été examiné que lors de la dernière séance de juin de l’Académie (avant l’arrêt des séances d’été pendant 2 mois et demi). La présentation de l’avis a donc été « coincée » entre des élections et la présentation de deux autres rapports, suivis de trois communications et d’une présentation d’ouvrage », explique-t-il en premier lieu.
Avant d’asséner : « Après 20 interventions (dont la mienne), il a été proposé par l’un de nous de voter pour ou contre le fait que le texte soit modifié. C’est cette option – pour la modification du texte – qui l’a emporté. Ce vote « pour » du 27 juin n’a aucune validité car, réalisé dans la précipitation et la confusion faute de temps – pour un sujet sociétal si lourd de conséquences ! – il résulte en réalité de l’amalgame entre deux types de votes très distincts ceux favorables à l’avis tel que présenté par Jacques Bringer et ceux demandant des modifications, mais qui bien évidemment n’ont « pas voté pour l’avis » ». Aussi, selon lui, le vote n’a « aucune valeur ».
« Cet avis sert les intérêts du gouvernement »
Comme l’indique Doctissimo, le gouvernement d’Emmanuel Macron attendait avec impatience le résultat de ce vote. Avant même la parution officielle de l’avis, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a pris connaissance du résultat du vote, qui l’a « réjouie ».
Pour Patrice Queneau, « cet avis était aussi attendu car il sert les intérêts du gouvernement ». Indépendamment du vote, il indique également que le texte modifié n’a pas été porté à sa connaissance avant publication et qu’il n’a pas non plus été consulté sur lesdites modifications. C’est pourquoi le professeur de médecine de conclure : « Je ressens un malaise profond, c’est un passage en force inacceptable ».
« L’exception devient toujours la règle »
Suite à la parution de l’avis de l’Académie de médecine, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, sans surprise, s’est félicitée de « ce pas en avant », déplorant toutefois un avis défavorable sur la question de l’euthanasie : « Un pas en avant salutaire mais insuffisant pour une égalité d’accès à l’aide active à mourir : légalisation du suicide assisté ET euthanasie », a réagi son président.
Du côté du Syndicat de la famille, on a, en revanche, dénoncé une « position intenable » : « En matière sociétale, l’exception devient toujours la règle […] Les pro-euthanasie veulent DÉJÀ aller plus loin ».
Dans la sphère politique, quelques politiques, à gauche, ont également réagi à la parution de l’avis de l’Académie de médecine, en exprimant leur satisfaction. « Enfin », s’est réjoui sur Twitter le sénateur et porte-parole du Parti socialiste Rachid Temal, ajoutant : « Un premier pas avec ce ralliement de l’Académie nationale de médecine au droit à l’assistance à mourir pour répondre à la souffrance de personnes souhaitant abréger leurs souffrances. Le parlement doit légiférer. Avec les sénateurs socialistes, nous y sommes prêts. » Un sentiment partagé par le sénateur écologiste Bernard Jomier : « Je salue cette position de l’Académie de médecine […] Un nouveau droit qui respectera les valeurs que notre société attend des soignants. »
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.