La péninsule coréenne connaît depuis plusieurs semaines une séquence riche en rebondissements aussi inédits que dangereux. Celle-ci a été ouverte le 13 février dernier par l’assassinat du demi-frère de Kim Jong-un, le leader nord-coréen, à l’aéroport de Kuala Lumpur (Malaisie), dans des conditions que l’on qualifierait de rocambolesques, n’était le recours avéré à un neurotoxique interdit parmi les plus mortels jamais produits.
Le 6 mars, des tirs de missiles balistiques nord-coréens suscitent une brusque montée d’inquiétude à Tokyo et Séoul et décident les États-Unis à mettre en place les premiers éléments du système de défense antimissile Thaad (Terminal High Altitude Area Defense) en Corée du Sud, déclenchant la colère chinoise. Pékin s’en est pris notamment à Séoul qui, en plein marasme institutionnel à la suite de la destitution de la Présidente Park le 10 mars, subit de plein fouet les premiers effets d’un boycott économique chinois.
Kim Jong-un n’aurait pu choisir de contexte plus volatil pour la première tournée asiatique du Secrétaire d’État américain en Asie, la semaine dernière : les tensions s’accumulent entre Pékin et Washington, tandis que la Corée du Sud s’enfonce dans la paralysie politique. Au demeurant, si l’exécutif sud-coréen apparaît affaibli, la diplomatie américaine ne paraît guère dans une posture plus ferme pour affronter sa première crise asiatique…
Washington en quête d’une nouvelle politique nord-coréenne
Les tirs de missiles nord-coréens, présentés comme une réponse au début des manœuvres conjointes américano-sud-coréennes ont passablement inquiétés les autorités japonaises. Outre qu’ils ont atterri dans la zone économique exclusive de l’archipel, leur mode opératoire – un tir simultané – souligne la marge de progression de Pyongyang.
Le déploiement de la défense antimissile américaine intervient après des mois de discussions entre Washington et Séoul, soucieuse de ne pas s’aliéner Pékin. L’administration Obama avait longuement fait comprendre à la Chine que si celle-ci n’était pas en mesure de contrôler davantage la Corée du Nord, notamment en appliquant plus strictement les sanctions du Conseil de Sécurité des Nations unies, l’issue était prévisible. L’apparent geste de bonne volonté chinois, suspendant ses importations de charbon nord-coréen, vient d’être balayé par les dernières révélations du rapport annuel du Comité de suivi des sanctions. Celui-ci détaille en effet les techniques de contournement des sanctions utilisées par Pyongyang et notamment le recours à des sociétés-écrans chinoises pour continuer à commercer avec Pékin.
Par ailleurs, l’administration républicaine est en train d’examiner un certain nombre d’actions pour réduire la menace grandissante de la Corée du Nord. L’intensification du recours à des moyens de guerre électronique et cybernétique pour contrer les lancements de missiles nord-coréens, déjà utilisée sous Obama, est évoquée. Toutefois, cela peut tout au plus perturber le programme de tir nord-coréen mais non totalement le neutraliser.
Le modèle iranien
Des actions offensives contre les sites de lancement nord-coréens seraient également étudiées, tout comme semble-t-il, la réintroduction d’armes nucléaires sur le sol sud-coréen. Ces deux dernières mesures ne peuvent qu’inquiéter, tout comme l’aveu public de Rex Tillerson reconnaissant l’impuissance des politiques suivies depuis 20 ans face à Pyongyang. Le périple asiatique du Secrétaire d’État américain, de Séoul à Tokyo puis Pékin, se veut-il une tournée de consultations avant la mise en place d’une stratégie de nature plus coercitive ?
Les discussions semblent se cristalliser sur la question de frappes préemptives. Au-delà de la difficulté technique, car les sites nord-coréens sont profondément enterrés, la ligne rouge politique est claire car l’on imagine l’accueil chinois à une telle perspective. Par ailleurs, les réactions prévisibles de Pyongyang et sa capacité à infliger de réels dommages à Séoul, située à moins de 60 km de la zone démilitarisée sont loin d’être négligeables.
On en reviendrait à une option diplomatique proche du modèle iranien – si critiqué par les républicains – qui aboutirait à un gel du programme nucléaire nord-coréen et comporterait des moyens de surveillance renforcés. Si cette option laisse en place les capacités existantes, au moins est-elle susceptible d’empêcher Pyongyang de procéder à de nouvelles avancées. Le défi réside dans les termes de l’échange et le gain politico-militaire susceptible de retenir l’attention de Pyongyang.
On doute que la signature d’un traité de paix et de non-agression avec les États-Unis soit de nature à satisfaire les ambitions du jeune dirigeant nord-coréen. Celui-ci, qui proclame depuis son arrivée au pouvoir qu’il possède l’arme nucléaire, ambitionne clairement que son pays soit reconnu comme un État doté. Au stade d’isolement auquel est parvenu le régime de Pyongyang, ayant même lassé la patience chinoise, l’arme nucléaire constitue sa seule garantie de survie et on voit mal comment il accepterait de s’en défaire. Le pari de Kim Jong-un est de parvenir d’abord à la maîtrise entière du nucléaire pour ensuite négocier en position de force.
L’ambivalence chinoise peut-elle durer ?
Les calculs stratégiques de Pékin face à la Corée du Nord demeurent complexes à percer. Jusqu’à récemment, l’attitude chinoise s’expliquait par sa crainte d’un effondrement de la Corée du Nord qui générerait l’arrivée de millions de réfugiés nord-coréens en Chine, et porterait un coup à la stabilité régionale tout en motivant une intervention américaine. Aujourd’hui, la stratégie chinoise qui consistait à utiliser le trublion nord-coréen pour gêner la politique asiatique des États-Unis se révèle dangereuse car il n’y a plus guère de connivence entre les deux régimes. L’image complaisamment entretenue par la Chine de deux alliés « unis comme des lèvres et des dents » n’est plus de mise.
Le 8 mars 2017, lors de la grande conférence de presse annuelle en marge de la session parlementaire chinoise, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères a émis l’idée d’une suspension des activités nucléaires et balistiques nord-coréennes en échange de la cessation des manœuvres d’entraînements majeures américano-sud-américaines « Fol Eagle ». Celles-ci, qui ont débuté le 1er mars devraient se tenir jusqu’au 30 avril. Elles comporteraient notamment la participation du chasseur furtif américain F 35B à un exercice de frappe de cibles terrestres.
Cette proposition apparaît surprenante à bien des égards car on ne voit pas comment Pékin pourrait apporter les garanties nécessaires sur tout engagement de la Corée du Nord à arrêter, ne serait-ce que momentanément, ses activités nucléaires. Le 28 février dernier, le ministre chinois a bien reçu à Pékin le vice-ministre des Affaires étrangères nord-coréen, mais peu de choses ont filtré de cet entretien. Il apparaît à beaucoup d’observateurs que la Chine est davantage préoccupée par l’installation du système antimissile américain à sa porte que par les dangers constitués par la prolifération et la fuite en avant nucléaires nord-coréenne.
L’inconnue sud-coréenne
Par ailleurs, les évolutions internes propres aux recompositions politiques sud-coréennes peuvent grandement compromettre la définition de la stratégie américaine. En effet, la procédure de destitution de Madame Park achevée, la Corée du Sud se prépare à de nouvelles élections le 9 mai prochain. Au regard du discrédit qui s’attache désormais à la famille politique de l’ancienne Présidente, tout porte à croire que le candidat issu de la mouvance progressiste recueillera les suffrages d’une opinion publique sud-coréenne échaudée.
L’alliance américano-sud-coréenne peut donc basculer à la faveur d’un candidat qui, voulant s’inscrire à contre-courant de la ligne suivie par Madame Park et les conservateurs, prendra ses distances avec l’allié américain et souhaitera restaurer des liens non seulement avec la Chine mais peut-être aussi avec la Corée du Nord. En tout état de cause le Parti démocratique sud-coréen a déjà fait part de son refus de toute option militaire et de son souhait d’une reprise du dialogue avec la Corée du Nord.
Marianne Peron-Doise, Expert Asie du Nord (Japon-Péninsule coréenne), Chargée du programme Sécurité Maritime internationale, Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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