En Belgique, neuf citoyens ont comparu ce jeudi 9 novembre au Palais de justice de Bruxelles pour avoir participé à une action non-violente afin de dénoncer le poids des lobbies dans le secteur agroalimentaire, notamment autour de l’usage du glyphosate.
Le 9 mai dernier, avec 70 alter-activistes de l’Ensemble zoologique de libération de la nature (EZLN), ils se sont introduits pendant quelques minutes dans les couloirs du siège de l’European Crop Protection Association, un lobby qui rassemble les principaux producteurs de pesticides et qui est particulièrement actif autour des négociations sur le glyphosate. Déguisés en animaux, ils ont laissé derrière eux de la paille, des autocollants et un peu de peinture à l’eau, avant de reprendre en cœur le slogan écologiste : « Nous sommes la nature qui se défend ! ».
Dans un appel paru dans Le Soir du 27 octobre, de nombreuses associations écologistes et citoyennes et des intellectuels ont marqué leur soutien aux inculpés et ont rappelé le consensus scientifique sur le danger sanitaire que représente le glyphosate.
Bruxelles, la capitale des lobbies
Au-delà de cet enjeu majeur pour la santé des Européens, c’est aussi de la santé de la démocratie européenne qui est en jeu face l’une des principales menaces qui pèse sur elle : les lobbies. Et ceux-ci sont particulièrement influents dans le secteur agroalimentaire.
Le rapport publié par l’ONG « Corporate Europe Observatory » le 24 octobre dernier sur leurs activités au cours de dernières semaines autour des négociations sur le glyphosate est saisissant.
Mais le poids des lobbies ne se limite pas à ce secteur. Ne pas réguler davantage les lobbies revient à leur laisser le pouvoir dans des dossiers aussi sensibles que le nucléaire, les émissions de gaz à effet de serre ou la protection sociale des travailleurs.
Bruxelles est devenue la capitale mondiale des lobbies. Elle héberge davantage de lobbies que Washington et les règles européennes qui encadrent ces activités sont bien plus permissives que les règles américaines. Tout cela se joue au cœur de notre capitale, dont le Corporate Europe Observatory propose une visite alternative dans son guide touristique « Lobby planet ».
Face à cette situation, les réactions citoyennes et politiques sont pourtant restées limitées et discrètes.
L’inculpation de ces neuf citoyens pour une action non-violente pose clairement la question : faut-il condamner des lanceurs d’alerte qui dénoncent les lobbies ? Ou est-ce, au contraire, du devoir des citoyens d’attirer l’attention des décideurs politiques sur la menace qu’ils constituent pour nos démocraties ?
La convocation au tribunal de neuf citoyens pour avoir badigeonné quelques traits de peinture à l’eau sur la façade du siège d’un lobby internationale illustre une accentuation de la répression des mouvements sociaux en Belgique. Des procès similaires sont en cours contre des « faucheurs volontaires » de champs de céréales OGM et pour le détournement d’un écran publicitaire.
Nous publions ce matin la version FR de notre Lobby Planet, un petit guide des lobbies de Bruxelles. Bonne lecture! https://t.co/PKimPaEk64 pic.twitter.com/LyroBF0xw6
— CEO (@corporateeurope) 2 novembre 2017
L’histoire des mouvements sociaux montre qu’une action non-violente et pleine d’humour – comme celle choisie par l’EZLN – s’avère un mode d’action particulièrement efficace pour dénoncer ces lobbies.
Ces actes disruptifs cherchent à briser la « routinisation du politique », de susciter un débat et de sensibiliser la population à un problème majeur mais largement ignoré et de l’inviter à s’informer davantage pour ensuite faire bouger les lignes.
C’est exactement le type d’action menée par Rosa Parks, cette étudiante noire américaine qui le 1er décembre 1955, refusait de céder sa place dans un bus en Alabama à un homme blanc comme la loi l’y obligeait. Son action a suscité un large débat et a renforcé le mouvement qui a mis fin aux politiques de discrimination raciale. Qui condamnerait aujourd’hui Rosa Parks ? Son action était illégale mais sa statue trône aujourd’hui au cœur du Capitole qui abrite le Sénat et la chambre des représentants à Washington.
En pointant l’énorme influence des lobbies dans l’Union européenne, l’EZLN joue un rôle majeur dans les démocraties contemporaines. Ces activistes font partie de ce « système d’alerte doté d’antennes hautement sensibles aux problèmes de la société » que Jürgen Habermas place au cœur de l’espace public démocratique et des pratiques de surveillance des acteurs politiques et économiques dont les politologues Pierre Rosanvallon et John Keynes font la pierre angulaire des démocraties contemporaines.
Révélations, analyses et nécessaire sursaut démocratique
Ces actions symboliques sont d’autant plus efficaces qu’elles s’accompagnent depuis plusieurs années d’un intense travail d’investigation de journalistes et d’ONG pour pointer les conflits d’intérêt et le poids des lobbies.
La multiplication des analyses, livres et reportages, notamment du côté de l’ émission « Cash investigation » sur France 2, montrent de plus en plus clairement que, loin d’être marginale, l’action des lobbies est bien souvent au cœur du système politique comme le montre le best-seller allemand « Lobbykratie ».
Dans ce livre, les journalistes Uwe Ritzer et Markus Balser montrent comment la politique allemande se construit sous la pression constante des lobbies et comment la proximité entre lobbies industriels et pouvoir politique explique des volte-face de la chancelière Angela Merkel au Conseil européen.
Vivons-nous donc déjà en « lobbycratie » ?
La menace des lobbies contre la démocratie est en tout cas exacerbée par la concentration de la richesse dans les mains de quelques-uns et dans un monde où les chiffres d’affaires de certaines multinationales dépassent les PIB de plusieurs pays.
Le poids des lobbies n’est cependant pas une fatalité et les leviers d’action sont nombreux. Les législateurs belges et européens ont la capacité de reprendre le pouvoir qu’ils ont laissé aux lobbies. Les citoyens aussi. L’action de l’EZLN les invite à être plus vigilants et à ne plus rester passifs face à l’une des batailles essentielles pour la démocratie au XXIe siècle.
Geoffrey Pleyers, Sociologue, FNRS-Université de Louvain & Collège d’études mondiales, chercheur associé à l’Instituto de Investigaciones Sociales, Universidad Nacional Autónoma de México., Université Catholique de Louvain
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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