L’Assemblée nationale sud-africaine a adopté le 28 septembre un projet de loi qui permettra au gouvernement de saisir des terres sans payer les propriétaires, une pratique connue sous le nom d’ « expropriation sans compensation ».
« Ce point nous fait réagir. Nous ne pouvons pas le nier », a déclaré l’agriculteur sud-africain Herman J. Roos dans un message adressé le 29 septembre à Epoch Times.
Il a fait remarquer que la loi ne modifiera pas l’article 25 de la constitution sud-africaine – une règle plus radicale que le Congrès national africain (ANC) au pouvoir a souvent préconisée.
Le projet de loi sur l’expropriation, dernier geste en date en faveur de la réforme foncière dans une nation divisée sur le plan racial et économique, doit encore être approuvé par le Conseil national des provinces.
Il devra ensuite être signé par le président Cyril Ramaphosa, qui soutient publiquement l’expropriation sans compensation depuis des années.
Le projet de loi a été adopté malgré les objections de plusieurs partis minoritaires.
L’Assemblée nationale est notamment dominée par le parti au pouvoir, l’ANC, un parti de gauche.
Il contrôle plus de 57% des sièges de la chambre qui en compte 400. Le deuxième plus grand parti, l’Alliance démocratique, un parti centriste, contrôle moins de 21% des sièges, suivi par les Combattants pour la liberté économique, ouvertement communistes, avec un peu moins de 11% des sièges. Le Front de la liberté plus, parti populiste de droite, connu pour son opposition à l’expropriation sans compensation, ne dispose que de 2,38% des sièges, soit 10 sièges.
Les groupes représentant les agriculteurs noirs du pays sont généralement favorables à l’expropriation sans compensation, comme l’indique un rapport du département de l’Agriculture des États-Unis.
Cette situation s’inscrit dans un contexte où la majorité des Sud-Africains noirs ou de couleur (une catégorie multiraciale spécifique du pays) n’ont pas de terres. Des années après la fin de l’apartheid et de ses restrictions raciales sur la propriété foncière, la plupart des terres d’Afrique du Sud restent concentrées entre les mains des fermiers blancs.
Le nouveau projet de loi abrogerait la loi de 1975 sur l’expropriation des terres, qui exige que l’acheteur et le vendeur soient consentants. Les détracteurs de cette loi soulignent qu’elle date de l’époque de l’apartheid.
Selon le nouveau projet de loi, le gouvernement pourrait prendre des terres « dans l’intérêt public » sans indemniser leur propriétaire dans certaines circonstances limitées – par exemple, lorsque les terres sont détenues à des fins spéculatives et ne sont pas cultivées. Dans ces cas, la saisie non compensée pourrait finalement être considérée comme « juste et équitable », selon le projet de loi.
Pourtant, dans la pratique, l’expropriation sans compensation ne serait pas nécessairement facile. Les affaires pourraient être bloquées dans le système judiciaire.
« L’État a toujours eu le pouvoir d’exproprier des terres à des coûts minimes, en fonction des circonstances », a expliqué Sue-Mari Viljoen, professeur de droit à l’Université du Cap occidental d’Afrique du Sud, dans un mail du 4 octobre à Epoch Times.
« Il stipule désormais que l’État peut payer zéro Rand [la monnaie sud-africaine], à condition que cela soit justifié, et qu’un tribunal soit chargé de vérifier cette justification. »
La ministre des Travaux publics, Patricia de Lille, membre du parti de gauche écologiste Good, a nié le fait d’une éventuelle redistribution massive de propriétés privées « sans procédures justes ni compensations équitables ».
« Bien souvent, ceux qui s’opposent au projet de loi sur l’expropriation sont des personnes qui n’ont jamais été soumises à des lois qui dépouillaient les gens de leurs biens ou de leurs droits de propriété », a-t-elle précisé lors d’un débat parlementaire sur le projet de loi le 28 septembre.
« Il est de notre responsabilité de corriger l’injustice historique des modèles de propriété foncière en Afrique du Sud », a-t-elle ajouté.
Un avertissement clair selon un fermier
Bien qu’il soit profondément troublé par le projet de loi, l’agriculteur sud-africain Herman J. Roos pense que son pays et son secteur sont confrontés à des problèmes plus urgents, du moins pour l’instant.
L’un d’eux est le prix de l’énergie, qui a augmenté de façon vertigineuse. Entretemps, le réseau électrique a commencé à tomber en panne. Les pannes fréquentes, qui durent des heures, sont désormais la norme.
Dans une interview accordée le 4 octobre à Epoch Times, Herman J. Roos explique que le manque de fiabilité de l’électricité nuit à l’irrigation. Ce qui, à son tour, endommage les cultures.
« Il faut irriguer entre 5 à 10 cm par semaine, juste pour avoir assez d’eau pour que la culture se développe correctement, mais maintenant, on ne peut pas irriguer5 cm correctement. »
Le deuxième défi le plus important pour Herman J. Roos est celui des engrais. Lorsque la Russie a commencé à couper le gaz à destination de l’Europe, les géants des engrais, comme la société norvégienne Yara, ont commencé à réduire leur production.
Les difficultés de l’Afrique du Sud ne s’arrêtent pas à l’agriculture.
Le pays pourrait bientôt être placé sur la liste grise du Financial Action Task Force. Cela pourrait faire fuir les investissements étrangers indispensables.
De plus, le taux de chômage élevé et persistant de l’Afrique du Sud, actuellement supérieur à 33%, constitue un autre problème majeur. Il en va de même pour la fréquence des crimes violents, notamment le meurtre brutal d’agriculteurs.
Pourtant, au milieu de ces problèmes et des inquiétudes concernant une récession mondiale, M. Roos ne s’attend pas à ce qu’un ralentissement économique réduise la demande de produits agricoles comme les siens : « Il y aura toujours un besoin de nourriture. »
M. Roos n’écarte pas la possibilité que le parti au pouvoir déploie des efforts plus agressifs en matière de redistribution des terres, pouvant aller jusqu’à une modification de la constitution.
« C’est un avertissement clair de l’intention de l’ANC », assure-t-il.
Sue-Mari Viljoen, y voit également un signal à l’intention des agriculteurs, même si elle souligne que les « agriculteurs actifs » n’ont probablement pas à s’inquiéter.
« Je pense que les propriétaires fonciers devraient être un peu plus prudents quant à la façon dont ils gèrent leur propriété. Laisser des terres de valeur vacantes et inutilisées pendant des années ou des décennies pourrait être considéré comme une utilisation irresponsable alors que nous nous efforçons de mettre en œuvre la réforme agraire et les impératifs en matière de logement », a-t-elle écrit dans son mail du 4 octobre.
Pourquoi exproprier ?
Le débat sur l’expropriation a beaucoup à voir avec la façon dont la constitution sud-africaine de 1996, qui a suivi l’apartheid, traite la propriété privée.
Sa déclaration des droits fait référence à « l’engagement de la nation envers la réforme agraire et les réformes visant à assurer un accès équitable à toutes les ressources naturelles de l’Afrique du Sud ». Cette formulation intègre des objectifs de redistribution spécifiques et historiquement variables dans sa définition fondamentale de la propriété.
En réponse à la rhétorique pro-expropriation de l’ANC, la libertarian Foundation for Economic Education a averti en 2018 que « les droits de propriété de tous les Sud-Africains sont en danger, car on ne peut pas vraiment avoir de droits de propriété tant que le gouvernement peut arbitrairement prendre des terres ».
D’autres commentateurs, comme Sue-Mari Viljoen, professeur de droit en Afrique du Sud, considèrent que l’expropriation sans compensation est juste.
Son récent article de droit sur les pressions en faveur de l’expropriation, intitulé « Le gaspillage des terres dans un contexte de désertification », suggère que « l’État est non seulement autorisé, mais peut-être même obligé de supprimer et de remplacer la propriété, avec une vision d’intendance, en accord avec la Constitution ».
En tant qu’agriculteur sud-africain, M. Roos estime que l’ANC est coincé entre la démocratie et le communisme.
Il a rappelé que l’Union soviétique a formé de nombreux dirigeants exilés de l’ANC pendant la période de l’apartheid.
M. Roos craint que la redistribution ne s’arrête pas tant que « tous les biens ne seront pas transférés au gouvernement ». Il a cité la nationalisation des terres au Mozambique voisin, après son indépendance du Portugal.
Epoch Times a contacté les Combattants pour la liberté économique, l’ANC et le Front de la liberté plus pour une demande de commentaires. Aucun d’entre eux n’a répondu à l’heure de la mise sous presse.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.