AFRIQUE

L’Afrique inondée de faux dollars, constatent des experts en sécurité

Les dirigeants africains veulent se "dédollariser" au moment même où des saisies d'énormes quantités de monnaie américaine se multiplient
mai 31, 2024 17:28, Last Updated: juin 7, 2024 21:43
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JOHANNESBURG – En juin 2023, les forces de sécurité turques ont saisi 1 milliard de dollars de fausse monnaie à Istanbul et arrêté six personnes, dont un Ghanéen et trois Suédois.

Cette prise de contrefaçons est la plus importante dans l’histoire de la Turquie.

Une enquête ultérieure a révélé que les faux billets de 100 dollars étaient destinés à plusieurs pays d’un même continent, l’Afrique.

« La répression contre la fausse monnaie américaine dans d’autres parties du monde, par Interpol et les agences gouvernementales américaines, a forcé les criminels à opérer en Afrique », a déclaré Davis Kabunya, un consultant en sécurité privée basé à Nairobi qui travaille avec les forces de l’ordre pour suivre la propagation des faux dollars américains à travers le continent.

Il a indiqué à Epoch Times que l’Afrique offrait aux réseaux criminels spécialisés dans la contrefaçon de monnaie d’autres avantages non négligeables.

« Il n’y a pas d’endroit sur terre où la demande de dollars est plus forte qu’en Afrique. »

« Les monnaies locales se sont effondrées, ce qui signifie que de nombreux pays utilisent des dollars américains dans leurs échanges commerciaux quotidiens parce que les gens font confiance au dollar. »

« Dans un tel contexte, il est relativement simple d’inonder les marchés de faux billets de banque », explique M. Kabunya.

« En outre, très peu de pays africains disposent de la technologie nécessaire pour détecter les contrefaçons, et les criminels savent que, même s’ils sont pris en flagrant délit, ils pourront souvent corrompre les fonctionnaires et la police pour se tirer d’affaire. »

Les services secrets américains soulignent qu’alors que les autorités policières internationales ont braqué les projecteurs sur la cybercriminalité ces dernières années, la contrefaçon de la monnaie américaine est passée inaperçue et a connu une recrudescence.

Il a noté ce qui suit : « La menace que représente la fausse monnaie américaine pour le système financier des États-Unis continue d’évoluer ».

« Les progrès technologiques, la disponibilité de dispositifs de numérisation et d’impression et l’adoption du dollar américain par les pays comme monnaie légale ont exacerbé la menace mondiale. »

Plusieurs économies africaines sont « dollarisées » en raison des défaillances de leurs monnaies locales, notamment le Liberia, la Sierra Leone et le Zimbabwe, où le billet vert est une monnaie officielle.

Sur l’ensemble du continent, le dollar est accepté pour les transactions quotidiennes.

Chad Thomas, enquêteur privé sud-africain, a déclaré à Epoch Times que la monnaie américaine contenait certains des dispositifs de sécurité parmi les « meilleurs et les plus complexes sur le plan technologique » au monde.

« Ces caractéristiques font que les dollars sont notoirement difficiles à copier », a souligné M. Thomas.

Mais en Afrique, où la technologie permettant d’identifier les faux est largement absente, les criminels n’ont pas besoin d’être très sophistiqués pour injecter avec succès des faux dollars dans les marchés et les économies locales, et recevoir en retour de la monnaie locale authentique.

« Ce que nous voyons aujourd’hui, ce sont des groupes criminels organisés du monde entier qui utilisent leur technologie pour produire de faux dollars, et qui introduisent clandestinement les billets en Afrique, où les chances de blanchiment de ces faux billets sont bien meilleures », a expliqué M. Thomas.

M. Kabunya reconnaît qu’il est « facile » d’introduire de faux dollars américains sur la plupart des marchés africains.

« Nous avons ici un niveau de manque de sophistication qui n’existe pas dans d’autres économies. »

« Les criminels ciblent souvent les marchés locaux et les petites entreprises, en particulier celles qui effectuent des transactions en espèces. »

« De nombreuses entreprises des économies formelle et informelle ne disposent pas des connaissances et de la technologie nécessaires pour identifier les faux billets, et se contentent donc de les accepter », a-t-il ajouté.

D’après M. Thomas, on constate souvent des « divergences de numéros de série » sur les faux billets.

« La couleur des billets de banque américains est aussi parfois un indice de la mauvaise qualité du papier. »

« Mais en général, ces failles ne peuvent être détectées que par des agents formés des forces de l’ordre, par les grandes entreprises disposant d’une technologie de contrôle et par ceux qui connaissent les caractéristiques de sécurité des billets de banque authentiques. »

« Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que Joe Soap, citoyen lambda, détecte ces contrefaçons, et qui plus est, Joe Soap en Afrique ne veut pas repérer les contrefaçons ; il veut simplement des billets verts américains, de sorte que la tendance est d’ignorer tout soupçon. »

Pour M. Kabunya, les Africains produisent également des faux dollars dans des proportions bien plus importantes qu’auparavant, la République démocratique du Congo (RDC) étant considérée comme un « point névralgique ».

« La RDC est un endroit idéal pour les groupes criminels organisés, car il y a très peu de gouvernance et d’application de la loi, compte tenu de l’ensemble des conflits qui opposent les forces officielles à de nombreux groupes rebelles différents », a-t-il expliqué.

Oluwole Ojewale, spécialiste de la criminalité organisée en Afrique centrale pour l’Institut des études de sécurité basé à Pretoria, a indiqué à Epoch Times que le commerce de minerais précieux « va de pair » avec « l’omniprésence » des faux dollars.

L’Afrique, et en particulier la RDC, possède de vastes ressources minérales. La plupart des transactions portant sur des métaux terrestres précieux et rares comme l’or, les diamants et le coltan sont conclues en dollars.

Pour M. Ojewale, les producteurs de faux billets de banque en RDC collaborent avec des syndicats dans toute l’Afrique.

« Ils acheminent les billets de banque vers l’économie légale grâce au commerce des minerais et à d’autres activités commerciales. »

« Ils ciblent des personnes peu méfiantes dans l’économie informelle. Ils proposent d’échanger de la fausse monnaie contre de la monnaie légale à un taux avantageux ! »

« Les contrefacteurs se concentrent également sur les zones très fréquentées et les entreprises commerciales des pays voisins, tels que le Rwanda et l’Ouganda. »

« Ils profitent de la porosité des frontières et voyagent par la route pour éviter d’être capturés. Le commerce transfrontalier informel dans la zone de guerre qui se trouve à l’est de la RDC permet également de commettre ces crimes. »

M. Ojewale a ajouté que les réseaux de criminalité organisée utilisent de l’argent liquide falsifié pour financer des activités illégales, comme la traite d’êtres humains, la contrebande de stupéfiants et d’armes, et le terrorisme.

Il a décrit la RDC comme un « pays d’origine, de transit et de destination » pour les faux dollars.

« Les faux billets sont également produits dans les pays voisins et sont facilement introduits en contrebande en RDC, car le pays n’a pas de frontières, à toutes fins utiles ! »

« Il existe actuellement une ‘demande sans précédent’ de dollars américains en Afrique. »

« Cela fait 17 ans que j’enquête sur les réseaux de contrefaçon et je n’en ai jamais vu autant ; ils sont partout ! »

« La fausse monnaie est fabriquée dans des cabanes à Nairobi et à Lagos, à Johannesburg, mais la RDC est vraiment le centre de tout cela en ce moment. »

En RDC, les faussaires collaborent avec des fonctionnaires « corrompus » du gouvernement et des forces de l’ordre pour créer des « usines de contrefaçon » dans les villes, les villages et les jungles.

« À partir de ces bases, les faux billets se répandent sur tout le continent et même à l’étranger. Il y a tellement de demande pour les dollars américains et si peu de confiance dans l’argent africain ! »

Selon le professeur David Everatt, économiste du développement à l’université Wits de Johannesburg, l’effondrement de la valeur des monnaies africaines fait grimper en flèche la demande de dollars, la monnaie la plus échangée au monde.

« Le commerce mondial s’effectue dans les monnaies des principales puissances économiques du monde, principalement le dollar américain. »

« Les particuliers, les entreprises et les gouvernements ont besoin de dollars pour importer des biens et des services, effectuer d’autres paiements à l’étranger et régler leurs dettes. »

Rabah Arezki, économiste en chef du Groupe de la Banque africaine de développement, estime que la plupart des monnaies d’Afrique subsaharienne continuent de s’affaiblir face à d’autres monnaies d’échange mondiale comme la livre sterling et le dollar américain, poursuivant une tendance qui a débuté en 2018 et s’est aggravée pendant et après la pandémie de Covid.

« Il en résulte une perte de valeur et de pouvoir d’achat des monnaies locales sur le continent », a-t-il précisé à Epoch Times.

En octobre 2023, la Banque mondiale a publié un rapport indiquant que les monnaies du Nigeria et de l’Angola, les plus grands producteurs de pétrole d’Afrique, étaient les deux plus mauvaises du continent.

Le naira et le kwanza ont perdu près de 40 % de leur valeur par rapport au dollar américain entre le 31 décembre 2022 et le 15 septembre 2023.

Le rapport énumère d’autres monnaies africaines qui ont chuté de manière significative au cours de la même période, notamment celles du Sud-Soudan (33 %), du Burundi (27 %), de la RDC (18 %), du Kenya (16 %), de la Zambie et du Ghana (12 %) et du Rwanda (11 %).

« L’écart considérable entre l’offre et la demande de devises étrangères dans ces pays est un problème grave qui favorise la contrefaçon », a souligné M. Ojewale.

« Dès qu’il y a une pénurie de devises, les gens se tournent vers le marché noir. »

Un autre facteur de pénurie de dollars qui, selon les économistes, est également à l’origine de la recrudescence de la contrefaçon, est la dépendance des pays africains à l’égard des importations.

« La plupart des pays africains importent beaucoup plus de produits finis qu’ils n’en exportent », a indiqué M. Everatt.

« En conséquence, ils ont besoin de dollars américains pour payer les fournisseurs internationaux. La demande de devises étrangères s’en trouve accrue et la dépendance à l’égard de la monnaie locale réduite. »

Il a ajouté que la « dollarisation » des économies africaines a contribué de manière substantielle à l’augmentation de la contrefaçon.

Le Fonds monétaire international (FMI) définit la dollarisation comme « l’utilisation de devises étrangères comme moyen d’échange, réserve de valeur ou unité de compte » et affirme qu’il s’agit d’une « caractéristique notable du développement financier dans des conditions macroéconomiques fragiles », en particulier en Afrique subsaharienne.

« Dans des pays comme la Sierra Leone, certains biens et services sont vendus en dollars américains dans les magasins. La demande de dollars s’en trouve également stimulée et la demande de monnaie locale diminuée », a ajouté M. Everatt.

En RDC, a indiqué M. Kabunya, « les dollars américains sont acceptés partout et utilisés pour la plupart des achats importants. Le franc congolais a été abandonné dans la mesure où il a perdu toute valeur lorsque la guerre civile a éclaté dans les années 1990 ».

Pour M. Everatt, comme au Zimbabwe, au Libéria, en Sierra Leone et dans d’autres pays, l’hyperinflation en RDC a entraîné l’introduction du dollar américain comme monnaie légale, et près de 90 % des actifs du système bancaire sont libellés en monnaie américaine.

« Alors que les dirigeants africains appellent à ne plus dépendre du dollar américain, certains suggérant même de passer au renminbi chinois, la monnaie américaine reste la plus fiable en Afrique », a-t-il poursuivi.

M. Kabunya a fait le commentaire suivant : « La Chine pousse l’Afrique à se dédollariser et nos dirigeants font souvent des discours prônant la réduction de la dépendance à l’égard des États-Unis ».

« Mais laissez-moi vous dire que leurs sentiments et leurs jeux géopolitiques ne sont pas partagés par les citoyens africains de la rue. »

« L’Africain lambda, qu’il soit délinquant ou non, est amoureux d’une monnaie, le billet vert américain, et cette histoire d’amour n’est pas près de s’arrêter. »

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