Le village de Laguiole, célèbre pour ses couteaux, va pouvoir retrouver son nom : la justice a tranché mardi en sa faveur face à un entrepreneur qui avait déposé la marque « Laguiole » pour vendre divers produits souvent importés et sans lien avec cette commune rurale de l’Aveyron.
Ce bourg de 1 267 habitants ferraille depuis plus de vingt ans contre un entrepreneur du Val-de-Marne, Gilbert Szajner, qui a déposé le nom du village en 1993 pour désigner des couteaux mais aussi du linge de maison, des vêtements, des engrais ou encore des barbecues.
Contre redevance, celui-ci accorde des licences à des entreprises françaises et étrangères qui peuvent commercialiser sous le nom Laguiole des produits qui n’y sont pas fabriqués.
Dans ce volet du litige, la ville de Laguiole, mondialement connue pour ses couteaux fermants au manche siglé d’une abeille, fabriqués depuis le 19ème siècle, avait saisi le tribunal de grande instance de Paris en 2010.
Celui-ci l’avait déboutée en 2012, jugement confirmé en 2014 en appel. Mais en 2016, la Cour de cassation avait cassé en partie la décision de 2014.
Relevant que, selon un sondage, 47% des Français connaissaient le nom du village d’abord pour ses couteaux et fromages, la haute juridiction avait estimé qu’il existait un risque d’« induire en erreur le consommateur moyen en lui faisant croire que ces produits étaient originaires de ladite commune ».
L’affaire était donc revenue devant la cour d’appel de Paris qui, mardi, a annulé vingt marques « Laguiole » déposées par M. Szajner.
Dans leur arrêt, les juges dénoncent une « fraude », « une stratégie visant à priver la commune et ses administrés de l’usage du nom Laguiole ».
M. Szajner s’était par exemple opposé à ce que des habitants du village baptisent leurs commerces « Laguiole vision » ou « Linge de Laguiole »… ou même à un nouveau logo de la mairie.
« On va retrouver la possibilité d’utiliser notre nom, ce qu’on nous avait retiré ! », s’est félicité le maire du village, Vincent Alazard. Selon lui, « la majorité » des marques concurrentes sont ainsi annulées, même si quelques-unes subsistent.
« Les Laguiolais vont pouvoir déposer le nom Laguiole », ce qui va permettre de « relocaliser de l’activité » dans le village « en développant des produits autour de notre identité« , a insisté le maire.
La victoire n’est toutefois pas totale pour le village, dont la défense concède une « frustration » : si les juges ont longuement rappelé que l’argumentaire commercial de M. Szajner « repose sur l’histoire et les légendes de cette commune » alors qu’aucun de ses produits n’y est fabriqué, ils ont refusé de le condamner pour pratiques commerciales trompeuses, estimant celles-ci insuffisamment caractérisées.
Gilbert Szajner, son fils et leur société Laguiole devront verser solidairement 50 000 euros au village au titre de son préjudice moral, et chacun 20 000 euros au titre des frais de justice.
La commune demandait cinq millions d’euros au titre de ses préjudices économique et moral.
Contactée, l’avocate de Gilbert Szajner n’était pas joignable dans l’immédiat. Il peut encore former un pourvoi en cassation.
« On dit : « il a volé le nom d’une ville ! » Mais qu’est-ce qu’une commune vient faire dans ce business ? », s’insurgeait Gilbert Szajner en 2014 auprès de l’agence France Presse (AFP). « Plus de la moitié » de ses produits Laguiole sont « made in France », affirmait-il alors.
Dans un volet distinct, la société qui fabrique les « véritables » couteaux de Laguiole, la Forge de Laguiole, qui ne pouvait plus fabriquer les produits qu’elle vendait sans être poursuivie pour contrefaçon, avait gagné en 2017 devant la justice européenne.
Les juges européens avait définitivement annulé la marque « Laguiole » déposée par M. Szajner pour la vente de couteaux et couverts. Mais leur décision permettait toujours à l’entrepreneur de commercialiser d’autres gammes de produits, non fabriquées par La Forge, sous l’appellation « Laguiole ».
D. S avec AFP
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