Les grilles du jardin du Luxembourg accueillent jusqu’au 17 juillet une exposition du photographe Michel Rawicki. 80 photographies, résultat de 35 voyages dans les régions polaires, de l’Antarctique au Groenland en passant par la Sibérie, l’Alaska ou encore le Svalbard nous permettent de découvrir la magie des glaces, des bêtes et des hommes, habitants de ce monde fragile et fascinant.
L’exposition L’Appel du froid sur les grilles du jardin de Luxembourg est le résultat de 20 ans de travail. Comment est née cette exposition ?
Je dois dire que j’aime exposer à l’extérieur, à la vue du public afin de partager avec le plus grand nombre mes expériences ; donc un jour je me suis dit : « Pourquoi pas sur les grilles du jardin du Luxembourg ? »
En complément de L’Appel des glaces qui était mon premier sujet, j’y ai intégré la faune et les gens qui habitent ces contrées, comme une sorte de fusion entre ces trois thématiques, où chacun vit au cœur de cet univers.
Très jeune, vous étiez déjà attiré par la photographie. Pourriez-vous nous expliquer ce choix ?
C’est mon moyen d’expression, ce que d’autres font avec les mots, la musique ou un pinceau. C’est exprimer ses émotions, tenter de mettre en adéquation ses états d’âme avec ce que l’on voit et ce que l’on reçoit, créer cette fusion et la partager. Comme un écrivain qui va jongler avec les mots, nous photographes, essayons de jongler avec les éléments, la lumière, le cadrage, les lois de la composition, la couleur, parfois monochrome… À chacun sa forme d’expression pour entrer en contact avec l’autre, ou en tout cas pour essayer de transmettre l’émotion qu’on a ressentie en observant une feuille frémir sur une branche ou en découvrant l’apparition magique et majestueuse d’une aurore boréale une nuit d’hiver dans le ciel norvégien.
Cette attirance vers « ce monde de glace », comme l’amour de la photographie, a été révélée très tôt. Qu’est-ce qui vous a attiré ? le défi, le silence, le monde immaculé ?
Le froid m’a touché assez tôt. Dans les années 60, mes parents m’ont amené dans la vallée de Chamonix, à l’Aiguille du Midi. C’était ma première expérience véritablement, en dehors des vacances de neige en colonie, mon premier contact avec la glace ancestrale.
J’étais comme attiré par un aimant, j’ai pris la glace et j’ai embrassé le froid. J’avais 12 ans. Ça ne m’a plus jamais quitté.
Peu à peu, je suis parvenu, avec humilité, à entrer en relation avec cet élément ; créer un rapport intime avec la glace, cet élément naturel en constante transformation, rechercher aussi cette intimité dans le silence, dans la contemplation, une forme de méditation active que j’ai ensuite appelé « pénétrer l’être des choses ».
Est-ce par défi ?
J’ai plus envie d’employer le mot quête que défi. Le défi est ailleurs, il est de rester concentré, attentif, respectueux. Le défi est plus dans la notion de rester en éveil, et de respecter l’écosystème qui nous accueille. C’est aussi une quête qui implique une préparation. Quand on est dans des conditions extrêmes, il n’était pas facile il y a quelques années encore, de changer de pellicule allongé sur la banquise par -30 °C. C’est peut-être un défi ! Mais le défi pour moi, c’est de me retrouver face à cette immensité fragile qu’on se doit de protéger chacun à son niveau avec de petits gestes, tous ces petits gestes qui font que l’on se doit de garder espoir mais qu’on n’empêchera pas les cycles de la terre. J’observe, je rapporte et je témoigne de ce que je vois, simplement.
Comme les peuples que vous avez photographiés ?
Les peuples que j’ai rencontrés vivent dans le respect de leur environnement parce qu’ils ont besoin de ces écosystèmes qui sont leur source de nourriture et de vie. Bien sûr qu’on apprend beaucoup au contact des peuples ancestraux, les Indiens, les Inuits, qui sont un peu les légataires d’une culture et d’une tradition qu’ils essaient de garder coûte que coûte. Ils sont porteurs de cette culture essentiellement basée sur la relation à l’autre, l’animal, la bête, comme avec l’ours par exemple. C’est un retour à une forme de relation intime avec notre environnement, une source de régénération aussi.
Avez-vous parfois eu peur ou envie de rentrer ?
Non, je n’ai jamais eu peur, j’ai eu froid parfois. J’ai eu des émotions fortes parce que je suis tombé à l’eau en voulant photographier des phoques de trop près. J’ai donc appris à nager « phoque » en quelque sorte ; c’était au Canada, au large des Îles de la Madeleine. J’ai été surpris, il n’y a pas eu un véritable danger car je n’étais pas tout seul. Une autre fois, un ours m’a fait monter mon taux d’adrénaline assez vite et assez fort. Mais je n’ai jamais eu le sentiment de ne pas être à ma place.
Faites-vous un lien entre la photographie et ce monde glacial ?
Oui, c’est mon vecteur de communication. J’aime le froid, la notion de froid, du blanc, de la pureté, de la symbolique des glaces, de l’impermanence, de ce qui se crée, se recrée, se défait et se refait. La nature sculpte la glace qui subit les effets du vent, de l’eau, de l’érosion, de la poussière, de l’élément terre…
Quand repartirez-vous vers le froid ?
Cela fait presque un an que je n’ai pas voyagé dans le froid et cela me manque. Mais on ne peut pas être partout. Je profite bien évidemment du plaisir des retombées de cette exposition, du livre qui vient de sortir, qui raconte au travers de mes 25 ans de photographies argentiques et numériques, dans des grands formats, mon expérience du froid, de cette quête où ma boussole de « chasseur de froid » m’a entraîné.
Vous venez d’éditer un livre, comment cet ouvrage est-il né ?
Pour illustrer mes propos, j’ai fait appel à quatre personnes qui me sont chères : l’astrophysicien Hubert Reeves, parrain de l’exposition et auteur de l’introduction, le glaciologue Claude Lorius, l’anthropologue et spécialiste des Indiens du Canada et du chamanisme Bernard Saladin d’Anglure et le naturaliste et spécialiste des régions polaires Rémy Marion. J’ai édité à compte d’auteur L’Appel du froid et décidé de le distribuer moi-même en organisant entre autres, des signatures dans les librairies. On pourra également le trouver dans certains points de vente à partir de septembre. En attendant, il est disponible sur mon site Internet par correspondance.
Quel message voulez-vous transmettre à travers vos photos ?
Respectons le froid, conservons le froid, restons attentif, prenons le temps d’observer, soyons humbles envers la terre qui nous abrite, notre Terre-Mère.
INFOS PRATIQUES
L’exposition est présentée sur les grilles du jardin du Luxembourg jusqu’au 17 juillet.
L’ouvrage est disponible à la galerie Seine 51, 51 rue de Seine à Paris jusqu’au 2 juillet durant l’exposition Chez les Nenets du Yamal de Michel Rawicki.
Tous les dimanches après-midi jusqu’à la fin de l’exposition, Michel Rawicki fait des visites commentées de son exposition et invite le public à échanger.
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