La rapide visite du Premier Ministre Jean Castex en Guyane a mis le doigt sur les difficultés de gestion hospitalière du virus de Wuhan dans le département français, pour rappeler que « les services de l’Etat et le gouvernement sont mobilisés » et se féliciter d’un début d’amélioration de la situation épidémiologique. Sur place cependant, la crise dépasse déjà le cadre de la médecine.
Dans le Parisien, Brice Benazzouz, chargé de mission chez Médecins du Monde constate une « situation particulièrement préoccupante » : « Les gens ont faim, et des parents cessent de manger pour que les enfants puissent avoir assez. » Le médecin François Lair, interrogé par 20Minutes, confirme : « Il y a des gens qui ne mangent pas pendant 4-5 jours. » Un Guyanais sur dix est maintenant dépendant de l’aide alimentaire, soit six fois plus qu’habituellement.
C’est une des conséquences dramatiques de la première vague du coronavirus. La vision – déjà sombre – de futures pertes d’emplois massives, d’augmentation de la précarité dans les mois et années à venir est à côté de ceci une réalité presque douce dans laquelle du temps resterait pour se préparer et protéger les populations. Mais, à de nombreux endroits du monde, y compris dans les pays développés et y compris en France, la fragilité expose dès aujourd’hui au fait de ne plus pouvoir s’alimenter.
Pour l’organisation humanitaire Oxfam, « la pandémie a anéanti des systèmes qui, pendant des années, avaient maintenu des millions de personnes à un petit pas de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire. La chaîne alimentaire s’est effondrée, des champs de fruits et légumes aux usines de transformation de la viande, ce qui a fait monter les prix. »
La première puissance mondiale n’y échappe pas : une étude de la Brookings Institution montre que plus d’un ménage sur cinq aux États-Unis est en situation d’insécurité alimentaire depuis la fin du mois d’avril. À New York, région la plus touchée du pays, quelque 2 millions d’habitants – 1 sur 4 – sont en situation d’insécurité alimentaire, selon une estimation du maire Bill de Blasio, communiquée lors d’une conférence de presse fin mai. Déjà, à la mi-avril, après seulement quelques semaines de quarantaine, 38% des parents de New York ont déclaré avoir réduit la taille des repas ou sauté des repas pour leurs enfants parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour se nourrir, selon une enquête Hunger Free America publiée à l’époque.
« Le Virus de la faim »
Dans un rapport alarmiste, Oxfam avertit que 121 millions de personnes supplémentaires pourraient être poussées au bord de la famine cette année en raison des retombées sociales et économiques de la pandémie, notamment par un chômage de masse, une perturbation de la production et de l’approvisionnement alimentaires et une diminution des aides.
Des endroits comme le Venezuela et le Sud-Soudan où la crise alimentaire était déjà grave voient la situation s’aggraver en raison de la pandémie. De nouveaux « épicentres de la faim » apparaissent aussi – des pays à revenu intermédiaire tels que l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil – où des millions de personnes qui arrivaient péniblement à se maintenir se sont écroulées suite au Covid : « COVID-19 est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour des millions de personnes déjà aux prises avec les conséquences des conflits, du changement climatique, des inégalités et d’un système alimentaire en panne qui a appauvri des millions de producteurs et de travailleurs du secteur alimentaire », déclare la présidente d’Oxfam Amérique, Abby Maxman.
Au Brésil, par exemple, des millions de travailleurs pauvres, qui n’ont guère d’économies ou d’avantages sur lesquels s’appuyer, ont perdu leurs revenus en raison du verrouillage des marchés. En Inde, les restrictions de voyage ont laissé les agriculteurs sans main-d’œuvre migrante vitale au plus fort de la saison des récoltes, obligeant beaucoup d’entre eux à laisser pourrir leurs récoltes dans les champs. Les commerçants ont également été incapables d’atteindre les communautés tribales pendant la haute saison de récolte des produits forestiers, privant jusqu’à 100 millions de personnes de leur principale source de revenus pour l’année.
Dans les zones de guerre, la situation est peut-être pire encore. Les Nations-Unies constatent que « la Syrie est aujourd’hui confrontée à une crise alimentaire sans précédent, les prix des denrées de base atteignant des niveaux jamais vus même au plus fort du conflit qui dure depuis neuf ans. »
« Une génération d’enfants n’a connu que des difficultés, des destructions et des privations », déclare Jens Laerke, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires. « L’économie de toute la région est en train d’imploser, en Syrie elle est en train d’imploser, notamment à cause de l’impact de COVID-19 ».
Au Liban voisin, accélérée par la pandémie, la montée en flèche du chômage, la chute de la valeur des salaires et l’envolée des prix se poursuivent.
Le pays accueille près d’1,5 million de réfugiés syriens. « Grâce à l’aide du PAM, les réfugiés ont pu se procurer de la nourriture par le passé », déclare Martin Keulertz, professeur adjoint au programme de sécurité alimentaire de l’Université américaine de Beyrouth, cité par The Telegraph. « Ils pouvaient consommer quelques lentilles, du labneh et ainsi de suite, mais rarement des légumes, les fruits étaient difficiles et la viande était hors de question. Ce qui est très inquiétant, c’est que les Libanais suivent maintenant une trajectoire similaire », a-t-il déclaré. « Il est certain qu’au cours des prochains mois, nous assisterons à un scénario très grave dans lequel les gens seront affamés et mourront de faim et des effets secondaires de la famine ».
ArabNews rapporte déjà plusieurs suicides liés à cette situation, début juillet : Un homme de 61 ans s’est par exemple tué devant un café dans une rue commerçante très fréquentée de Beyrouth, laissant sur place un drapeau libanais, une note et une copie de son casier judiciaire vierge.
« Il s’est suicidé à cause de la faim », a crié le cousin de l’homme alors que les forces de sécurité emportaient le corps. Cette mort a déclenché des manifestations de rue dans le quartier Hamra de Beyrouth, dénonçant le gouvernement pour sa gestion de la pire crise économique du pays depuis la guerre civile de 1975-1990.
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