« On ne gagne plus rien avec la mer, on est en train de payer les erreurs de nos pères », soupire Mohamed Bouajra. Avec la raréfaction du poisson en Méditerranée, ce pêcheur marocain considère l’aquaculture comme une « lueur d’espoir pour sortir de la pauvreté ».
A Ras Kebdana, dans la région de Saïdia (nord-est du Maroc), la coopérative de pêche artisanale Al Amal table sur le développement d’un parc à moules offshore pour assurer l’avenir. Plus à l’ouest, dans la lagune de Marchica, une autre coopérative a misé sur une ferme d’algues rouges pour l’industrie pharmaceutique et cosmétique.
Ces deux projets pilotes, qui s’inscrivent dans le cadre d’un ambitieux plan national lancé en 2009, ont pour but d’augmenter les revenus en baisse des petits pêcheurs et à préserver les stocks halieutiques grâce à l’élevage.
Il n’y a plus de poissons en méditerranée
Le nombre de barques de pêche a triplé depuis les années 1990 à Ras Kebdana, mais « il n’y a plus de poissons », déplore Mohamed Bouajra.
Aujourd’hui, le sexagénaire ne gagne « même pas 40 dirhams par jour » (3,7 euros) avec son canot traditionnel en bois. « On ne peut pas vivre avec ça, autrefois on gagnait bien notre vie, avec 400 dirhams par jour », soupire-t-il.
Les chiffres du département marocain de la pêche maritime le confirment: les quantités pêchées ont baissé de près de moitié dans la région de l’Oriental entre 2013 et 2017, passant de 14.721 à 7.475 tonnes. Sur le reste de la rive méditerranéenne du Maroc, la baisse est de l’ordre de 30%.
L’enjeu est de taille car la pêche représente une importante source de revenus pour le royaume: les exportations de produits de la mer ont atteint 22 milliards de dirhams en 2017 (deux milliards d’euros), soit environ la moitié des exportations agro-alimentaires et 10% des exportations totales du pays.
Trouver des alternatives pour vivre
« Avec le changement climatique, l’environnement se dégrade et le poisson se raréfie: il faut trouver des alternatives pour vivre », affirme Mimoune Bouasu, un pêcheur de 47 ans.
Il préside la coopérative de pêche artisanale de Marchica qui cultive sur 11 hectares des algues rouges achetées six dirhams le kilo (0,56 euros) par une société marocaine qui a investi dans les installations.
« Ce qui nous manque dans la pêche, les algues le complètent », se félicite-t-il, tout en souhaitant que le projet se développe. La coopérative qui emploie huit personnes recrute de la main d’oeuvre saisonnière au moment de la plantation et de la récolte.
Ancien pêcheur, Abdelaziz Benhamou est lui devenu responsable de la filière de production de la ferme Aqua M’diq, dans la région de Tétouan.
Société de 24 salariés produit des bars d’élevage
Cette société de 24 salariés qui produit des bars d’élevage dans des bassins offshore est considérée comme un « modèle » par l’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture (ANDA) qui espère dupliquer l’expérience ailleurs, en Méditerranée ou sur la côte Atlantique.
« Les ressources (halieutiques) ont diminué parce que les pêcheurs ne respectaient pas le repos biologique pour la plupart des espèces », estime Abdelaziz Benhamou. « Ça commence à se faire, mais tout le monde est d’accord pour dire que rien n’est plus comme avant ».
Dans un récent rapport, la Cour des comptes marocaine s’est inquiétée de la surexploitation de plusieurs espèces, pointant le non-respect des quotas et « des restrictions relatives aux engins de pêche et au repos biologique ».
Retards du développement de la filière aquacole
La Cour des comptes a aussi épinglé les retards du développement de la filière aquacole, notant que « certains objectifs stratégiques n’ont pas été atteints ».
Le plan lancé en 2009 prévoyait de produire 200.000 tonnes dans les fermes aquacoles d’ici 2020, mais la production a atteint 700 tonnes en 2018, selon l’ANDA.
Après plusieurs années d’études techniques, quelques 150 projets de fermes aquacoles dont 15 en Méditerranée sont désormais « en cours de démarrage », avec des investissements privés et un objectif de production de 150.000 tonnes, insiste cependant Mustafa Amzough, un responsable de l’ANDA.
Cinq des 15 hectares dévolus à la mytiliculture
A Ras Kebdana, des filets sous-marins ont été déployés sur seulement cinq des 15 hectares dévolus à la mytiliculture et les grappes de moules de corde qui s’y développent ne sont pas encore commercialisées, même si le projet a été lancé il y a cinq ans.
En attendant, les 35 membres de la coopérative s’occupent de l’entretien des filets et espèrent commencer à vendre des moules l’an prochain.
Mohamed Bouajra se félicite que le projet mytilicole, même s’il n’a encore eu aucun impact économique, ait « changé les mentalités ».
« Avant, il n’y avait aucun respect pour l’environnement mais aujourd’hui l’eau est propre », grâce à des analyses hebdomadaires pour surveiller l’état sanitaire du parc à moules, dit le pêcheur de Ras Kebdana.
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