OPINION

L’art de conclure un accord, à la russe

juin 28, 2023 16:33, Last Updated: juin 28, 2023 18:36
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Il a été amusant, dans un sens plutôt macabre, d’assister à l’adulation à Rostov-sur-le-Don dont a fait l’objet Evgueni Prigojine, ancien criminel violent, fondateur et actuel patron du groupe paramilitaire russe Wagner.

Pendant de nombreuses années, Prigojine a été l’ami du dictateur russe Vladimir Poutine.

Tous deux sont originaires de Saint-Pétersbourg.

Prigojine a participé à de nombreuses affaires, notamment dans le domaine de la restauration.

Pendant un certain temps, il était connu comme le « cuisinier » de Poutine. En 2012, il aurait remporté un contrat d’une valeur d’environ 1,2 milliard de dollars pour fournir des repas à l’armée russe.

Lorsque l’armée de Poutine s’est enlisée en Ukraine, c’était vers Prigojine et son armée de mercenaires que Poutine s’est tourné.

Les mercenaires de Prigojine faisaient les choses les plus violentes et atroces.

Le sort d’Evgueni Nuzhin, une recrue de Wagner qui a déserté, en est un bon exemple.

Il a été « exécuté pour trahison » dans une cave par quelqu’un qui lui a enfoncé une masse dans le crâne.

L’épisode a été enregistré et la vidéo a été diffusée sur Internet.

Prigojine a fait l’éloge de cette vidéo, en commentant qu’elle aurait dû s’intituler Un chien mérite de mourir comme un chien.

Sur ce sujet, Prigojine sait de quoi il parle.

Il a recruté ses soldats parmi la lie de la population carcérale russe – meurtriers, violeurs, sadiques en tout genre – en leur offrant la liberté en échange de chair à canon pour sa campagne contre l’Ukraine.

Ses troupes ont joué un rôle majeur dans la longue et très violente bataille pour la ville ukrainienne de Bakhmout qui coûta à Prigojine une bonne centaine d’hommes par jour.

Il a fini par l’emporter. Au début du mois de juin, Bakhmout – ce qu’il en restait – était essentiellement entre les mains des forces russes.

Mais ce n’était pas le moment pour sabler le champagne.

Prigojine s’était brouillé avec plusieurs principaux militaires de Poutine, en particulier le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou.

D’où cette brève démonstration de force que des journalistes impatients de la presse occidentale ont qualifiée de « coup d’État ». Les forces de Prigojine ont commencé à remonter la route menant à Moscou de Rostov-sur-le-Don – la capitale officieuse du sud de la Russie qu’ils ont brièvement occupé.

Ces forces sont arrivées à quelque 200 km de Moscou lorsque soudain le « coup d’État » s’est effondré en ce qui a été qualifié par un journaliste de « mutinerie avortée ».

Pourquoi ? Personne parmi les commentateurs occidentaux ne le sait, même si beaucoup ont des théories qu’ils se font un plaisir d’exposer sur un ton d’experts.

Vendredi dernier, on a dit que Poutine a fui Moscou avec ses infâmes acolytes.

A-t-il vraiment fui ? Si oui, il y est retourné.

Car samedi, à la surprise générale (et à la déception des rédacteurs en chef des journaux), Prigojine a déclaré qu’il avait « fait valoir son point de vue » et qu’il avait conclu un accord avec son ancien camarade pour renoncer à ses plans initiaux.

Tous les termes de cet accord n’ont pas été révélés.

Mais nous savons que Prigojine se serait rendu par la suite en Biélorussie, où il aurait obtenu ce qui s’apparente à un asile, et que les troupes de Wagner se sont retournées dans leurs camps.

Personne, du moins d’après les informations disponibles, ne serait inculpé.

Cependant, il convient de noter que l’absence d’inculpation n’est pas la même chose que l’absence de répercussions.

Je suis prêt à parier que Vladimir Poutine connaît au moins en partie le traité politique Le Prince écrit au XVIe siècle par Nicolas Machiavel.

Je suis moins sûr des goûts littéraires de M. Prigojine.

S’il ne connaît pas Le Prince, je lui recommande de lire le chapitre VII intitulé Des principautés nouvelles qu’on acquiert par les armes d’autrui et par la fortune.

Machiavel y raconte comment Cesare Borgia, pour « rétablir la paix et l’obéissance » dans la province de Romagne, y nomme gouverneur un capitaine espagnol appelé messer Ramiro d’Orco, uomo crudele ed espedito (un homme cruel et brusque).

Ramiro a fait son travail, mais il s’est aussi attiré l’inimitié de la population.

Alors Borgia, ne voulant pas que les gens pensent qu’il était à l’origine des violences, a décidé de faire une petite exhibition.

Un matin, les gens se sont réveillés pour découvrir le détesté Ramiro exposé sur la place de Cesena « coupé en quartiers, avec un billot et un coutelas sanglant à côté ».

La férocité de ce spectacle, commente Machiavel, a laissé la population « à la fois satisfaite et stupéfaite ».

Qui sait quels ont été les tenants et les aboutissants de l’accord qui, nous dit-on, a sauvé Poutine (du moins pour l’instant) et désarçonné (idem) Prigojine.

Je pense que l’éditorialiste Peter Hitchens, qui se trouvait à Moscou en 1991 lors d’un autre coup d’État manqué, avait raison sur deux points.

Premièrement, aussi brutal que soit Poutine, il paraît être « une poule mouillée modérée et prudente » comparé à des gens comme Prigojine.

Deuxièmement, M. Hitchens a raison de dire que « le nationalisme russe militant est une force politique puissante que Poutine arrive difficilement à garder de son côté pendant les meilleurs moments ».

Nous ne vivons pas les meilleurs moments, et l’aventure avec le coup d’État de Prigojine, surtout sur le fond de l’aventure rocambolesque de Poutine en Ukraine, n’a pas été vue d’un bon œil par Poutine.

La manifestation de faiblesse est inacceptable.

Elle est également impardonnable.

Ce qui signifie que Poutine, quel que soit l’accord conclu, « ne peut certainement pas laisser Prigojine impuni ».

En tout cas, je suis bien content de ne pas être chargé de souscrire des polices d’assurance vie pour Prigojine ni pour les mercenaires rebelles sous son commandement.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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