En adoptant une ligne conservatrice, le parti français éponyme a libéré le conservatisme politique du tabou dans lequel il était maintenu depuis plus de cent ans. La présidente du Mouvement Conservateur, Laurence Trochu nous explique pourquoi l’état d’esprit conservateur apporte des solutions politiques à une nation ébranlée par des crises qui menacent son identité et sa souveraineté.
Cette femme de droite, qui a côtoyé le philosophe britannique Roger Scruton, a d’abord mené un travail de philosophie politique, traduit ensuite en propositions politiques autour de cinq verbes qui incarnent l’état d’esprit conservateur : recevoir, aimer, protéger, améliorer et transmettre.
EPOCH TIMES – Madame Trochu, vous êtes présidente du Mouvement Conservateur, un parti politique qui, comme l’indique votre site internet « propose le conservatisme comme alternative politique ». Ce courant de pensée a toujours rencontré un certain succès dans le monde anglo-saxon. Nombre de politiciens britanniques, américains ou canadiens s’en réclament. En France, le conservatisme semble ne s’être jamais réellement implanté et n’a été que très peu utilisé politiquement. N’est-ce pas un peu risqué de fonder un mouvement conservateur en France ?
LAURENCE TROCHU – C’est vrai qu’au départ en 2018, on nous a pris pour des fous ! La plupart des gens à droite disaient que le conservatisme ne correspondait pas à l’histoire de France et qu’il renvoyait à l’image des boîtes de conserves hermétiques ! Même Laurent Wauquiez, à l’occasion d’un meeting que j’organisais avec notre parti, qui s’appelait à l’époque « Sens commun », avait qualifié notre choix d’ « étonnant ». Pourtant, du point de vue intellectuel, il y avait un véritable essor du conservatisme avec des auteurs comme Jean-Philippe Vincent en France et Roger Scruton au Royaume-Uni, et les commentateurs politiques français utilisaient de plus en plus les termes « conservatisme » et « conservateur ». La droite traditionnelle n’a, pour autant, jamais assumé ce vocabulaire.
Quand Emmanuel Macron, au début de son premier quinquennat, a revendiqué le progressisme comme ligne directrice, il a qualifié son adversaire Marine Le Pen de populiste. Cette opposition conceptuelle n’a aucun sens puisque, si le progressisme est une manière de concevoir le monde et la société, le populisme n’est qu’une manière de gouverner ; en ce sens il peut y avoir des populismes de droite et de gauche. J’ai alors entrepris un travail pour comprendre la vision politique du nouveau président, là où beaucoup se contentaient de la rhétorique « ni de droite ni de gauche ».
Post-nationale, multiculturaliste, transhumaniste, c’est ainsi que je qualifie la ligne progressiste portée par Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs. Elle se caractérise par un refus des limites. Là où le conservateur considère qu’une limite nous protège, le progressiste ne la perçoit que comme une contrainte, d’où le refus des frontières, du cadre historique et culturel, de la nature humaine. Souvenez-vous qu’en 2017, Emmanuel Macron avait déclaré : « Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse ». Pour la première fois dans l’histoire politique de notre pays, nous avions un candidat à la fonction suprême qui admettait finalement ne pas avoir de lien charnel avec la France et ne pas reconnaître qu’elle pouvait se définir par des caractéristiques qui lui étaient propres et qui la distinguaient des autres nations. De même, il affirmait « Un père n’est pas forcément un mâle » !
Il nous fallait donc définir une alternative crédible au progressisme politique tel qu’Emmanuel Macron le déclinait dans son projet.
C’est à ce moment que j’ai fait la connaissance de Roger Scruton et que nous avons commencé à travailler ensemble sur un conservatisme à la française. L’entreprise de liquidation et de liquéfaction de la société par le progressisme réclamait alors de définir ce à quoi les Français sont attachés, ce qui vaut la peine d’être conservé. Nous avons lancé une grande consultation qui a recueilli plus de 200.000 contributions, desquelles est né « Le manifeste du conservatisme ».
Comment peut-on définir un conservateur français ? Vous avez mentionné Roger Scruton. Jean-Philippe Vincent a aussi été un de vos interlocuteurs. Le conservateur français doit-il seulement se focaliser sur les intellectuels français ? Est-il différent des conservateurs anglo-saxons ?
Le travail de Jean-Philippe Vincent est très intéressant parce qu’il a une approche historique pour essayer de comprendre les grandes étapes de l’histoire de France et quelles ont été les figures conservatrices ou d’inspiration conservatrice. Et il y a des tendances qui se dessinent.
Il y a une forme de conservatisme chez Pompidou, Tardieu, chez de Gaulle, et des inspirations conservatrices dans la littérature, chez Chateaubriand notamment quand il veut préserver l’authentique caractère français. Nous disposons donc d’un socle conservateur mais plus implicite que celui présent dans les pays anglo-saxons. C’est lié à notre histoire et précisément à la Révolution et à la contre-révolution, mais aussi à la laïcité. Par conséquent, le conservateur est vu en France comme celui qui est contre quelque chose, alors que dans le monde anglo-saxon, il est considéré comme un protecteur. L’état d’esprit n’est pas du tout le même.
D’ailleurs, Roger Scruton m’avait bien dit que l’émergence du conservatisme en France ne se ferait pas de la même manière qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni et que la nation serait la porte d’entrée de ce courant de pensée chez nous. C’est donc une idée neuve que nous avons proposée ! Une idée neuve lorsque la droite ose rappeler ce qu’elle est : un courant de pensée avant tout soucieux de tenir compte de la nature et du réel, très dubitatif à l’égard de toutes les tentatives de constructions artificielles d’un paradis sur terre, mais très conscient de la fragilité des choses humaines, et en particulier des plus précieuses d’entre elles, que ce soit la famille, la nation, la civilité, la culture ou la civilisation.
Finalement, être un conservateur français, c’est tout simplement considérer que tout changement n’est pas forcément un progrès et être animé par cinq verbes d’action : recevoir, aimer, protéger, améliorer et transmettre.
L’avenir de la droite française doit-il passer par le conservatisme ?
C’est de l’avenir de la France dont il s’agit ! Les partis politiques sont des moyens nécessaires mais ne sont que des moyens. Si nous avons fait le choix de quitter Les Républicains auxquels nous étions associés, c’est précisément parce que ses dirigeants refusaient d’assumer la composante conservatrice de la droite française. Si un parti politique ne permet plus de porter des idées fortes et des convictions, je n’ai pas d’états d’âme à le quitter ! La fidélité des conservateurs est d’abord envers des convictions.
La droite française traditionnelle paye, aujourd’hui, la lourde facture de ses renoncements depuis Jacques Chirac et aujourd’hui, on se rend compte qu’au sein de LR, héritier de l’UMP, il y a une multitude de courants (centriste, libéral, souverainiste, social) mais plus aucun socle commun. L’approche conservatrice, indispensable pour la victoire de la droite, a été littéralement sacrifiée.
Lors de l’élection présidentielle en 2022, vous avez fait le choix de soutenir Éric Zemmour. Pourtant, il ne s’est jamais réclamé du conservatisme…
Éric Zemmour ne se définit par aucun des qualificatifs par lesquels la droite est qualifiée. Je ne l’ai jamais entendu dire qu’il était libéral, conservateur etc. Il a fait le choix de ne pas s’enfermer dans ces catégories. Cependant, il reprend régulièrement une expression que j’utilise depuis au moins dix ans : la droite civilisationnelle. Une droite civilisationnelle qui doit reposer sur deux piliers : l’identité, ce dont Éric Zemmour a fait son combat principal, et la conception de la personne humaine qu’a inspirée notre civilisation chrétienne et dont le Mouvement Conservateur est le défenseur.
Vous êtes une personnalité politique spécialisée sur les sujets de l’éducation. Vous avez fait de la lutte contre le wokisme l’un de vos principaux combats. À l’occasion d’une conférence internationale organisée à Paris en novembre dernier, la Worldwide Freedom Initiative, vous avez déclaré : « Le wokisme a fait de l’école une formidable usine à fabriquer des êtres vierges de toute trace civilisationnelle ». Selon vous, de quoi le wokisme est-il le nom ? Est-il plus virulent à l’école qu’ailleurs ? En quoi le conservatisme incarnerait-il une réponse satisfaisante face au wokisme ?
Le wokisme est une idéologie d’extrême-gauche, un système dont la finalité est la déconstruction. C’est en cela qu’il s’inscrit dans une démarche progressiste telle que je la décrivais pour qualifier celle d’Emmanuel Macron. Le wokisme étend ses ravages dans l’éducation en France dans les années 1980.
Au nom d’une certaine conception d’égalité et dans la mesure où la culture classique n’est pas d’emblée accessible à tous, il s’agit de la supprimer pour que les élèves soient égaux, fut-ce dans la médiocrité.
L’école est devenue le nouveau terrain de jeu de la lutte des classes. C’est au nom d’une interprétation bien particulière de la liberté, c’est-à-dire la faculté de s’autodéterminer, que cette idéologie va s’immiscer. Il ne faut surtout pas que l’élève soit sous la domination d’un maître et il faut par conséquent supprimer la figure tutélaire du professeur, et faire endosser à l’élève le rôle d’auteur de ses propres apprentissages. C’est une sorte de combat contre la domination qui n’est pas simplement, au sens marxiste du terme, une domination économique, mais la domination qui est étendue à toutes les structures qui sont jugées opprimantes, et l’école en est une à travers la figure du maître dans la rhétorique progressiste.
En parallèle, les savoirs académiques sont mis à mal par de nouvelles méthodes d’enseignement, par exemple la pédagogie de la classe inversée. Les résultats sont sous nos yeux : les récents résultats du classement PISA révèlent l’effondrement du niveau scolaire des élèves français. Privés des outils qui leur permettraient de former leur jugement critique, les élèves français sont perméables à toutes les idéologies véhiculées par le wokisme.
Dans le domaine de l’instruction, les conservateurs proposent de revenir aux savoirs académiques, autrement dit, à la structuration de la pensée, en donnant aux élèves les outils pour comprendre le réel. Ils mettent réellement fin à la méthode globale, à la grammaire fonctionnelle et aux mathématiques abstraites et prônent la réinstauration d’une approche analytique qui va permettre d’établir des liens de causalité. Ils veulent libérer l’école du mirage numérique, véritable cheval de Troie de la pédagogie inversée qui cherche à évacuer le maître. Des écoles privées et libres sont aujourd’hui les sanctuaires dans lesquels se transmettent les savoirs fondamentaux et l’amour de la France. Mon rêve est qu’un jour l’école publique puisse donner à tous les élèves français cette chance-là !
Les élections européennes se tiendront le 9 juin prochain. En tant que parti allié à Reconquête! votre tête de liste est Marion Maréchal. Cette dernière a lancé plusieurs fois des appels à l’union des droites en vue du scrutin. Une union des droites est-elle possible pour ces élections européennes ? LR et le RN semblent vouloir faire cavalier seul. Dans quel groupe du Parlement européen pourraient siéger vos députés ? Celui des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) ou Identité et Démocratie (ID) ?
Je parlerais plutôt de l’union de la droite que de l’union des droites parce que je pense que la droite française a ses différentes composantes, et si les partis de droite ne prennent pas le temps de réfléchir sur le socle qu’ils ont en commun, ils n’arriveront à rien. Les partis de gauche ont été capables d’écrire un programme commun. Tant que la droite ne fera pas ce travail, tant qu’elle n’en aura pas la volonté, elle ne parviendra pas à convaincre les Français.
Avec le Mouvement Conservateur, je contribue à ce travail. Le 19 janvier auront lieu les vœux du Mouvement Conservateur et nous allons dévoiler les résultats d’une consultation que nous avons menée intitulée Unir la droite : quelle sont les priorités des Français ? Cette consultation leur permettait de dire quels sujets et quelles propositions politiques ils veulent voir porter par une droite unie. Devant l’urgence de la situation, évidemment, il y a tous les sujets liés à l’immigration, à l’identité, à la sécurité et à la famille.
Dans l’immédiat, avec la perspective des élections européennes, chacun cherche plutôt à se démarquer. Mais au niveau européen, c’est le groupe CRE qui porte les projets politiques des nations soucieuses de leur continuité. J’ai pour ma part, beaucoup plus de contacts avec les conservateurs européens du CRE qu’avec Identité et Démocratie. Le scrutin du 9 juin permettra le renforcement du groupe conservateur au Parlement européen, seule chance pour changer la présidence de la Commission et la ligne politique.
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