Imaginons-nous, dans une centaine d’années, aux abords de Marseille, de Montpellier, ou dans le Luberon. Quels seront alors les paysages de la forêt méditerranéenne, soumis aux changements climatiques ? Actuellement, le climat méditerranéen est caractérisé par l’existence d’une période sèche estivale, les précipitations étant concentrées à l’automne et au printemps. Ce déficit hydrique estival constitue dans le bassin méditerranéen la principale contrainte climatique subie par la végétation.
Les différents modèles climatiques développés, notamment par le GIEC, s’accordent pour prévoir, pour la région méditerranéenne, au-delà de l’augmentation de température, une diminution importante des précipitations pendant la saison estivale, augmentant ainsi le stress hydrique pour les végétaux. On parle même de hot spot de changement climatique pour ce bassin.
Même si elle est adaptée à ces fortes contraintes climatiques, la végétation, qu’elle soit arbustive ou forestière, va donc être impactée par ces changements rapides. Quelles évolutions observera-t-on ? Par exemple, la chênaie provençale laissera-t-elle la place au très méditerranéen pin d’Alep ? Les arbres commenceront-ils à développer leurs feuilles plus tôt au printemps ? Pousseront-ils plus, ou moins vite ?
Adaptations
Face à ce brutal changement climatique, les végétaux n’ont que trois alternatives : s’adapter génétiquement (par un processus de mutation de certains gènes avec sélection des plus adaptés à la survie de l’espèce) ; modifier leurs comportements et leur fonctionnement (cela se passe au niveau de chaque individu végétal) ; ou encore migrer : les terrains où poussent arbres et plantes sont peu à peu délaissés, et les végétaux colonisent d’autres territoires qui leur offrent des conditions plus en phase avec leurs exigences climatiques.
Mais ces évolutions sont encore plus complexes au niveau des écosystèmes. Notamment, les écosystèmes forestiers où les interactions entre l’ensemble des organismes et le sol sont la base même de leur fonctionnement et de leur dynamique.
Comment travailler sur ces changements à venir ? Une approche se limitant à suivre des jeunes plants d’arbres transplantés en serre et soumis à des conditions climatiques par exemple plus chaudes est certes intéressante. Mais elle n’est pas suffisante, car tellement déconnectée de la réalité complexe du terrain, pour envisager sereinement les modifications générées par le changement climatique.
Expérimentations in natura
Une approche qualifiée d’in natura s’avère alors nécessaire. C’est celle qu’a choisi de développer l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale avec l’installation de la station expérimentale O3HP (Oak Observatory at OHP) dédiée à l’étude de l’impact du changement climatique sur le fonctionnement, la dynamique et la biodiversité d’une forêt de chênes méditerranéenne.
L’O3HP fonctionne depuis 2009 à l’Observatoire de Haute Provence (OHP) à proximité de Manosque. Il s’intéresse plus précisément à la forêt de chêne pubescent, l’une des trois espèces phares de la région méditerranéenne française : plus de 300 000 hectares pour la seule région PACA. Le dispositif vient compléter, pour la région méditerranéenne, celui, précurseur, installé par le CEFE à Puechabon près de Montpellier concernant le chêne vert et celui installé par l’INRA à Roquefort la Bedoule pour le pin d’Alep.
L’idée a été (et continue de l’être) de changer, sur une parcelle comprenant plusieurs dizaines d’arbres, le régime des précipitations en allongeant notamment la durée de la période de sécheresse évoquée plus haut. La biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème de la parcelle soumise à ce changement climatique sont comparés à une parcelle « témoin ».
Le dispositif de l’O3HP est organisé autour de trois éléments :
- Un système de passerelles au sein du taillis de chêne organisées sous forme d’une croix dont chaque branche est longue de 10m et installée à deux niveaux de hauteur permettant ainsi un accès facile à la canopée et aux strates inférieures sans perturber le sol.
- Un système original d’exclusion de pluie couvrant environ la moitié de la parcelle (300 m2) constitué de bâches déroulantes interceptant les précipitations à la demande. Les précipitations sont volontairement interceptées uniquement sur la période printanière et estivale ; ceci permet de reconstituer un régime des pluies proche de celui que nous prédisent les modèles, tablant sur une baisse de ces précipitations (de l’ordre de 30 à 40 %), concentrée sur la période chaude.
- Un réseau de capteurs (température, humidité, à différents niveaux du sol et de la canopée, flux de sève, etc.), fournissant une information en temps réel sur les conditions mésoclimatiques et microclimatiques ainsi que sur l’activité des arbres.
Les premiers résultats, ceux qui concernent la réaction fonctionnelle à court terme des écosystèmes et de leur biodiversité, ont déjà fait l’objet de résultats dans des revues majeures de la discipline. A été notamment étudié le processus de décomposition des litières, processus clé du fonctionnement de l’écosystème. La vitesse de décomposition de la litière, constituée expérimentalement d’un mélange de feuilles de 1 à 3 espèces végétales, et les communautés de mésofaune et de microorganismes associés, ont été étudiés dans les deux parcelles forestières : celle soumise à une sécheresse accrue grâce au système d’exclusion des pluies et celle témoin. La parcelle où le stress hydrique a été fortement augmenté montre tout d’abord un ralentissement de la décomposition de la litière, et également une diminution de l’abondance et de la diversité des microorganismes et de la mésofaune colonisant cette litière.
Cependant la présence de plusieurs espèces végétales dans la litière atténue l’impact négatif de la sécheresse sur la décomposition. Ce dernier point souligne l’intérêt de conserver une diversité d’espèces végétales dans les forêts méditerranéennes de manière à limiter les conséquences du changement climatique en cours.
Mais beaucoup d’autres résultats concernent par exemple l’effet du changement climatique sur la croissance des espèces ligneuses, les relations entre les espèces, l’émission de composés organiques volatils, les échanges gazeux (photosynthèse, respiration) et plus généralement le comportement de l’écosystème en tant que puits ou source de carbone.
Toutes ces études ne peuvent s’envisager que sur le moyen et le long terme. La pérennité de ce site expérimental est ainsi une préoccupation majeure, de même que sa mise en réseau avec d’autres sites instrumentés existants ou à développer sur les deux rives de la Méditerranée. Cette infrastructure est aussi naturellement ouverte à la communauté scientifique nationale et internationale pour des recherches variées.
Au moment où le changement climatique est dans tous les esprits, il est plus que jamais nécessaire d’intensifier les recherches concernant l’impact du changement climatique sur les écosystèmes afin d’anticiper leurs évolutions futures.
Thierry Gauquelin, Chercheur à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale, Aix-Marseille Université
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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