Pôle emploi, dernièrement, a donné les résultats des premiers contrôles réalisés sur la réalité des actions de retour à l’emploi menées par les chômeurs indemnisés. Ces résultats ont fait apparaître que sur les 270 000 premiers chômeurs contrôlés, 14 % ne menaient pas de telles actions et avaient donc été radiés.
Pôle emploi a annoncé en outre que son objectif à terme était de faire passer son équipe de contrôleurs de 200 à 1 000 personnes. Ces premiers contrôles et l’objectif affiché de les maximiser n’ont pas manqué de provoquer des réactions outrées devant la « stigmatisation » et le « flicage » des chômeurs qui seraient ainsi engendrés, sous-entendu « si on les contrôle c’est que l’on suppose qu’ils sont fainéants ».
Ce type de critiques du contrôle de gestion, qu’il soit public et privé, est très classique. Il s’explique peut être par une aversion à l’identification du bien et du mal, du bon et du mauvais, qu’appelle une action de contrôle et qui questionne mécaniquement l’égalité des résultats entre acteurs. Probablement aussi parce que le contrôle de gestion est quelquefois pratiqué sans nuance suffisante, trop « agressivement », reconnaissons-le également. En tout cas ces critiques sont dépourvues de tout fondement scientifique.
Les recherches en contrôle de gestion montrent en effet que si celui-ci est pratiqué de façon adaptée et mesurée, avec une éthique avérée du contrôleur, disons pour faire simple de façon non bureaucratique et déshumanisée, il est au contraire un puissant vecteur de confiance et d’efficience sociales. Pourquoi cela ? Et pourquoi faut-il donc réhabiliter le rôle du « bon » contrôle de gestion ?
Contrôle diagnostique et interactif
En premier lieu, Herbert Simon au travers du concept de rationalité limitée (bounded rationality) puis Chris Argyris et Donald Schön avec celui d’apprentissage organisationnel (organizational learning) ont démontré dès les années 1970 que sans contrôle il n’y avait pas d’apprentissage possible des contrôlés.
C’est le contrôle d’un agent qui va permettre de constater s’il agit « bien » ou « mal » pour lui indiquer le bon chemin à suivre. C’est du reste selon ce mode de contrôle diagnostique et interactif, sous-tendu par une éthique, comme l’a défini Robert Simons en 1994 (Levers of Control : How Managers Use Innovative Control Systems to Drive Strategic Renewal), que Pôle emploi a opéré. Il a profité des contrôles réalisés pour stimuler et aider les chômeurs de bonne foi en difficultés dans leur recherche d’emploi en ne radiant que les chômeurs volontairement inactifs au plan du retour à l’emploi (et très minoritaires au vu des résultats).
Plus largement, comment évaluer les effets d’une politique, qu’elle soit publique ou privée, en termes d’efficacité, d’efficience et de soutenabilité, en tirer des enseignements pour la maintenir, l’ajuster ou la suspendre, sans contrôle ? C’est impossible.
Capitaliser les bonnes pratiques
En second lieu, bien loin de stigmatiser les contrôlés, le contrôle permet de mettre en lumière ceux qui font « bien », de les encourager et d’en capitaliser les bonnes pratiques et les innovations au profit du collectif. Sans contrôle en effet, ceux qui font bien comme ceux qui font mal ne sont pas identifiés pour le plus grand désarroi des premiers dont personne ne voit les efforts.
Les travaux d’Henri Savall et de son équipe de l’ISEOR sur les coûts et les performances cachés dans les entreprises et les organisations ont ainsi montré que, de façon sans doute contre-intuitive, les salariés demandaient très majoritairement à être contrôlés – sous réserve qu’il s’agisse d’un contrôle diagnostique et interactif – pour savoir ou ils en étaient, être encouragés ou bien être réorientés.
Ainsi, dans le cas de Pôle emploi, les contrôles ont, semble-t-il, contribué à l’efficience et la confiance sociales. Efficience tout d’abord puisque les actions de contrôle dont le coût peut être estimé aux environs de 10 millions d’euros par an (200 contrôleurs dédiés percevant un salaire moyen annuel de 50 000 euros charges comprises) ont été très largement autofinancées par les gains qu’elles ont provoqués.
À savoir, d’une part, une économie d’indemnités versées aux chômeurs radiés d’au moins 300 millions d’euros par an (37 800 chômeurs radiés percevant des indemnités d’au moins 10 380 euros par an correspondant au minimum indemnitaire). D’autre part une économie d’indemnités versées aux chômeurs stimulés par les contrôles et qui ont retrouvé un emploi plus rapidement que sans stimulation. Cette autre économie demandant des travaux complémentaires pour la chiffrer mais que l’on peut estimer aussi à plusieurs centaines de millions d’euros vu les sommes en jeu.
Confiance ensuite puisque les parties prenantes des contrôles – chômeurs contrôlés, agents contrôleurs, État et citoyens – ont témoigné assez majoritairement dans les interviews réalisés en la matière de leur satisfaction globale, à tout le moins de leur confiance dans le système de contrôle mis en place d’où, du reste, son extension prochaine.
En conclusion, a fortiori dans le secteur public financé par les deniers du contribuables, et sous réserve qu’il s’agisse d’un contrôle diagnostique et interactif, sous-tendu par une éthique avérée, ce n’est pas le contrôle qui devrait choquer, même celui des chômeurs, mais bien son absence.
Laurent Cappelletti, Professeur titulaire de chaire Comptabilité Contrôle de Gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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