Au signal, les bénévoles tirent un grand coup sur la corde et le premier pylône s’abat sous les vivats: le téléski de Saint-Firmin (Hautes-Alpes), abandonné à la rouille depuis quinze ans, disparaît du paysage.
Un à un, les huit piliers fichés sur un flanc de montagne aux portes de la magnifique vallée du Valgaudemar (massif des Ecrins) sont déboulonnés à la disqueuse thermique et tombent lourdement dans la pente herbeuse.
Ils sont découpés puis évacués par les services de la mairie. Au total, les quelque huit tonnes d’acier seront récupérées par un ferrailleur local.
Plus haut, sur un autre versant, un troupeau de moutons observe placidement cette scène insolite. Carmen Grasmick, l’une des quinze bénévoles de l’association Mountain Wilderness qui pilote l’opération de démantèlement, elle, est ravie: « Enfin ça tombe ! ».
En cette quasi-tropicale journée d’octobre, il est évident que le petit téléski bâti en 1963 n’avait aucun espoir de rémission: la neige, jadis abondante, s’y est raréfiée en raison de l’exposition sud et de la faible altitude (1.550 mètres au plus haut). Et les goûts des skieurs et les normes ont eux aussi évolué.
Une opération de dépollution des sites montagnards
Le chantier, le 70ème de ce type pour l’association, dont une vingtaine de remontées mécaniques, entre dans le cadre de sa campagne « Installations obsolètes », lancée en 2001, et qui vise à dépolluer les sites montagnards en concertation avec les autorités locales.
Selon son recensement, au moins 3.000 installations rouillent paisiblement dans les massifs français, dont plus d’une centaine de remontées mécaniques parfois littéralement oubliées.
On y trouve aussi d’innombrables déchets militaires, industriels, forestiers ou agricoles (câbles de débardages, paravalanches, vieilles clôtures). Certains sont dangereux, comme des barbelés de la 2ème Guerre Mondiale qui blessent les ongulés sauvages et les moutons au pâturage.
Tout démonter représenterait une tâche dantesque. « On sait bien qu’on n’arrivera pas à enlever cela à nous tous seuls », explique Mme Grasmick. Les chantiers ont avant tout une valeur symbolique et pédagogique, y compris chez les décideurs, souligne-t-elle.
Le réchauffement climatique et l’envolée des coûts de l’énergie devraient « encore accélérer le mouvement », espère-t-elle.
L’antenne française de Mountain Wilderness, une ONG née en 1987 en Italie et qui a depuis étendu ses activités à une dizaine de pays d’Europe et d’Asie, a déjà fait bouger les lignes. Elle a obtenu en 2016 le passage d’un amendement dans la Loi Montagne 2 rendant obligatoire le démontage des remontées mécaniques abandonnées.
L’objectif, ambitieux, est désormais de rendre cette disposition rétroactive et de l’étendre à tous les types de déchets.
Retrouver un contact avec la nature
« Mountain Wilerness n’est pas une association d’éboueurs de la montagne dont le rôle est de passer derrière tout le monde avec un sac poubelle pour ramasser. Chacun est responsable », fait valoir Nicolas Masson, administrateur de l’association.
Remettre en état l’espace naturel après usage « est le b.a.-ba du développement durable mais malheureusement parfois ça ne va pas de soi », relève-t-il.
Il se réjouit toutefois que l’organisation Domaines Skiables de France (DSF) s’y mette elle aussi peu à peu: « il y a certainement un peu de « greenwashing » là-dessous, mais au moins ils le font ».
Quant aux stations de moyenne montagne, elles ne devraient pas « s’entêter » dans la voie du tout-ski, préconise-t-il en désignant les vastes espaces sauvages du Parc national des Ecrins.
« Ici, les gens sont contents de venir parce qu’il n’y a rien, pas d’aménagements artificiels et ils ont la sensation de retrouver un contact avec la nature ».
Un site chargé de souvenirs
La particularité du chantier de Saint-Firmin est qu’il se fait à l’initiative de la commune. Initialement, il s’agissait d’une démarche de mise en sécurité du site, explique Didier Beauzon, conseiller municipal en charge des questions techniques.
« Puis on s’est posé la question « peut-on faire différemment ? » On a pris un bout du câble et tout le reste est venu. On n’a plus un climat qui permette un enneigement pérenne, on ne peut pas se permettre de mettre des canons à neige ici », fait-il valoir.
Mais la vallée baigne parfois dans la nostalgie et « il y a toujours au moins un habitant que ça fait pleurer parce que c’est là qu’il a fait ses premiers pas en ski. C’est systématique, dans tous les massifs », opine Carmen Grasmick.
Mais « il y a des endroits comme ici où ils ont le courage de tourner la page. Parce que de toute façon, il n’y a rien d’autre à faire ».
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