Le crime organisé turc s’installe en Europe grâce à la diversification du commerce de la drogue

La Turquie est de plus en plus impliquée dans les activités illicites, qu'il s'agisse de drogues, trafic d'êtres humains ou blanchiment d'argent

Par Chris Summers
29 septembre 2024 09:03 Mis à jour: 20 octobre 2024 22:22

Le crime organisé turc étend ses activités à toute l’Europe, en particulier dans les pays où vivent d’importantes minorités turques et kurdes, et s’est diversifié, passant du commerce de l’héroïne à celui de la cocaïne, de la méthamphétamine et des drogues de synthèse.

Deux meurtres – l’un à Barcelone, et l’autre dans la capitale moldave, Chisinau – ainsi qu’une fusillade à Londres, au cours de laquelle une fillette de 9 ans a été grièvement blessée, commis entre mai et juillet, sont tous liés au crime organisé turc.

Mahmut Cengiz, professeur associé à l’université George Mason en Virginie, a déclaré à Epoch Times : « Ces deux meurtres très médiatisés sont importants car ils suggèrent une tendance troublante à l’escalade de la violence parmi les groupes criminels organisés turcs à travers l’Europe. »

Le 4 mai, Ilmettin Aytekin, un chef de la mafia turque connu sous le nom de « Tekin Kartal » (Tekin l’aigle), a été abattu en plein jour à l’extérieur d’un restaurant de Barcelone après une réunion avec Abdullah Baybaşin.

Baybaşin, chef d’une célèbre famille criminelle, avait plaidé coupable d’importation de drogue devant un tribunal britannique en 2006, mais sa condamnation avait été annulée et il avait été expulsé vers la Turquie.

Trois semaines plus tard, une jeune fille a été grièvement blessée après qu’un homme armé à moto a tiré sur Kenan Aydogdu, 44 ans, et Mustafa Kiziltan, 37 ans, à l’extérieur d’un café turc à Dalston, dans l’est de Londres.

Les deux hommes seraient affiliés à un gang appelé les Bombacilar (Bombers).

Le 10 juillet, Izzet Eren, l’un des chefs rivaux des Bombers, a été abattu alors qu’il était assis devant un café en Moldavie, où il vivait depuis au moins un an.

Eren avait été capturé en 2022 et devait être extradé vers le Royaume-Uni, mais avait été libéré sous caution par les autorités locales.

Selon M. Cengiz, « ce schéma indique que ces gangs pourraient étendre leurs opérations et leurs conflits au-delà des frontières locales, ce qui pourrait avoir un impact sur la sécurité publique dans plusieurs villes. »

« Si ces incidents violents se poursuivent, cela pourrait signifier que le crime organisé turc évolue vers un problème européen plus large, nécessitant une réponse coordonnée des agences chargées de l’application de la loi dans plusieurs pays ».

Selon Ryan Gingeras, historien, « la Turquie fait de plus en plus partie intégrante des activités illicites mondiales, qu’il s’agisse de drogues, de trafic de personnes ou de blanchiment d’argent ».

Il a déclaré à Epoch Times : « Le commerce de la drogue se diversifie et la Turquie a été un État phare dans ce type de diversification. Jusque dans les années 1970, la Turquie était un pays d’origine de l’héroïne. Depuis, elle est devenue une étape de transit pour les opiacés. La tendance la plus récente semble indiquer le développement d’une industrie nationale de stupéfiants synthétiques orientée vers les marchés nationaux et étrangers. »

Échange d’héroïne contre de la cocaïne

Un criminel condamné issu de la communauté turque de Londres a déclaré à Epoch Times qu’un accord a été conclu il y a dix ans entre les gangs mexicains et turcs qui s’échangent des cargaisons d’héroïne et de cocaïne dans le port de Rotterdam, aux Pays-Bas.

Par crainte de représailles, il a demandé à être identifié sous le pseudonyme d’Ümit Ceyhan.

Il a déclaré : « Nous [les Turcs] contrôlons l’héroïne et les cartels mexicains contrôlent la cocaïne, mais lorsqu’ils arrivent à Rotterdam, c’est comme au marché aux fruits et légumes, les gens prennent des commandes pour deux palettes de ceci ou de cela. »

« L’héroïne étant chère en Amérique alors que c’est la cocaïne qui est chère en Europe, ils ont décidé de se les échanger, de sorte que les cartels peuvent désormais vendre de l’héroïne là-bas et que les Turcs ont accès à la cocaïne en Europe. »

« Récemment, d’importantes quantités de cocaïne ont été importées en Turquie depuis l’Amérique latine. »

« Des groupes transnationaux turcs bien connectés en Europe ont collaboré avec les cartels mexicains pour utiliser la Turquie comme itinéraire alternatif pour leurs opérations de trafic de drogue ».

M. Cengiz a souligné que les ports d’Anvers, en Belgique, et de Rotterdam avaient enregistré des niveaux records de saisies annuelles de cocaïne – 66 tonnes métriques (72 tonnes) et 33 tonnes métriques (36 tonnes), respectivement.

Il a ajouté que les groupes mafieux turcs se livraient également au trafic de méthamphétamine en provenance d’Iran et étaient impliqués dans le trafic d’êtres humains, en utilisant des itinéraires similaires à travers les Balkans.

Connexion avec la station balnéaire de Bodrum

Ceyhan a déclaré à Epoch Times qu’une grande partie de l’héroïne entrant au Royaume-Uni était contrôlée depuis la station balnéaire méditerranéenne populaire de Bodrum, en Turquie, et qu’une grande partie de l’argent retournait dans la ville pour financer de nouveaux restaurants, hôtels et boîtes de nuit.

Selon lui, Koray Alpergin, le DJ de la communauté turque qui a été enlevé, torturé et assassiné dans le nord de Londres en octobre 2022, faisait entrer de la drogue depuis des années après avoir passé un accord avec le principal opérateur de la liaison avec Bodrum.

La scène du meurtre de Koray Alpergin à l’arrière du Stadium Lounge à Tottenham, Londres, le 8 novembre 2023. (Chris Summers/Epoch Times=

Lors du procès du meurtre de Koray Alpergin, le procureur Crispin Aylett a accusé des Turcs résidants en Angleterre d’être derrière cette mise à mort, et a déploré que deux personnes clés, Cem Orman et Ali Yildirim, aient fui en Turquie, où l’on pense qu’ils se cachent.

« En Turquie, rien ne se passe sans argent, et si Kemal Eren n’est pas extradé, c’est qu’il doit payer une somme importante chaque année », a déclaré M. Ceyhan à Epoch Times.

Il a ajouté que la corruption en Turquie était endémique et remontait aux années 1980.

En 2021, Sedat Peker, un ancien chef de la mafia turque, a lancé une chaîne YouTube et a commencé à faire une série de révélations. Il compte aujourd’hui plus d’un million d’abonnés.

Corruption endémique en Turquie

Selon M. Cengiz, « la corruption généralisée au sein du gouvernement turc a ouvert la voie aux organisations de trafic de cocaïne. Depuis le début des années 2010, de nombreux militaires, policiers, juges, procureurs, douaniers et membres du gouvernement ont été impliqués dans le trafic de drogue. »

Le classement de la Turquie dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International a grimpé de 54 en 2012 à 115 en 2023.

« Les gangs turcs en Grande-Bretagne ont montré des signes d’expansion au-delà du Royaume-Uni. Au fil des ans, des rapports ont suggéré leur implication dans des réseaux internationaux de trafic de drogue et de crime organisé », a déclaré M. Cengiz.

Crowds gathered outside a restaurant after a shooting that injured three adults and a child, in Hackney, London, on May 29, 2024. (Ayo Adesina/PA)
Une foule réunie autour d’un restaurant peu après une fusillade ayant blessé trois adultes et un enfant à Hackney, à Londres, le 29 mai, 2024. (Ayo Adesina/PA)

« Ils ont établi des liens avec d’autres groupes criminels turcs en Europe, en particulier dans des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, qui comptent d’importantes populations turques. »

Cengiz et Ceyhan s’accordent à dire que l’Allemagne et les Pays-Bas jouent un rôle clé dans la criminalité organisée turque.

« Bien que l’Allemagne abrite la plus grande population turque en dehors de la Turquie, le crime organisé de cette communauté n’est pas souvent dénoncé », a déclaré M. Cengiz.

« D’importants groupes criminels organisés opèrent dans le pays, en particulier ceux qui sont impliqués dans le trafic d’héroïne, mais leurs activités n’attirent pas souvent l’attention des médias en raison d’une combinaison de facteurs culturels et de cadres juridiques. »

Sous-estimé

Ceyhan va plus loin : « Le gouvernement allemand ne veut pas qu’on n’en parle, pour éviter des déportations massives ».

On estime que jusqu’à 3 millions d’Allemands sont d’origine turque ou kurde. Les Pays-Bas comptent 430.000 personnes originaires de Turquie. On en compte environ 250.000 au Royaume-Uni.

Selon M. Cengiz, les groupes criminels organisés turcs sont des acteurs majeurs du marché de l’héroïne, qui utilisent l’Allemagne comme point de transit clé pour le trafic d’héroïne en provenance d’Afghanistan et d’autres pays et à destination de l’Europe.

« Ces groupes ont mis en place des réseaux sophistiqués qui facilitent la contrebande et la distribution d’héroïne, ce qui entraîne souvent des violences et des rivalités importantes entre factions concurrentes », a-t-il déclaré.

Selon lui, lorsque les autorités interceptent des cargaisons de drogue provenant de la criminalité organisée, il est presque inévitable que du sang sera versé.

Ceyhan explique que c’est probablement ce qui explique la mort de Tekin Kartal à Barcelone.

Selon lui, « 25 tonnes de cocaïne ont été envoyées par les cartels en Espagne, mais seules 20 tonnes ont été saisies ».

Les cartels ont alors accusé un membre des gangs de les avoir volés et l’ont assassiné.

Les tentacules du crime organisé turc en Europe ont été mis en évidence en mai, lorsque 17 individus ont été arrêtés en Italie, en relation avec une série de meurtres commis dans toute l’Europe.

Il s’agirait de membres du gang « Dalton », dirigé par Bariş Boyun. Six de ses membres ont été tués lors d’un mystérieux massacre dans la ville d’Artemida en Grèce en septembre 2023.

Selon M. Cengiz, ces arrestations italiennes sont importantes pour plusieurs raisons.

« Elles soulignent l’étendue du crime organisé turc », dit-il.

« Cette opération reflète les efforts coordonnés des services répressifs de toute l’Europe pour lutter contre l’influence croissante de ces gangs et leurs activités violentes. »

Izzet Eren after his arrest in Chisinau, Moldova, on May 26, 2022. (Metropolitan Police/PA)
Izzet Eren lors de son arrestation à Chisinau, en Moldavie, en mai 2022. (Metropolitan Police/PA)

Aucune arrestation n’a eu lieu dans le cadre du meurtre de Barcelone. En revanche, un homme a été inculpé dans le cadre de la fusillade de Londres et sera jugé l’année prochaine.

En Moldavie, l’enquête sur le meurtre d’Izzet Eren a conduit à l’arrestation d’un homme politique membre d’un parti prorusse interdit et à une demande d’extradition vers le Royaume-Uni d’un ancien avocat, Hassan Toper.

Hassan Toper a été arrêté à l’aéroport londonien de Stansted le 29 août.

Le mandat d’arrêt a été délivré par les autorités moldaves à la suite de la mort d’Izzet Eren.

Il doit comparaître à nouveau devant des magistrats à Londres le mois prochain.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.

EN CE MOMENT