« Souhaiterions-nous une société où les plus vieux, les plus handicapés, les plus malades n’auraient plus de place ? » interroge Claude Grange dans son livre « Le dernier souffle », paru aux éditions Gallimard. Praticien hospitalier en douleurs chroniques et soins palliatifs depuis 25 ans, Claude Grange a été confronté tout au long de sa carrière à l’épineuse question de la fin de vie. Alors que l’euthanasie rentre dans le débat public, il témoigne de l’importance de « resocialiser la mort » dans un monde de plus en plus marchandisé où « le respect du corps du mort disparaît de plus en plus ».
On découvre dans « Le dernier souffle » le parcours de patients arrivant en Unité de soins palliatifs (USP) et le processus d’accompagnement par les équipes de soins. Dans ces moments-là, des paroles bienveillantes et précises sont à prononcer pour la famille. On y découvre aussi l’apaisement du patient face à la mort, une fois que le cadre familial, social et hospitalier est mis correctement en place avant son départ.
L’euthanasie dans le débat public
Début avril, la convention citoyenne sur la fin de vie rendait ses conclusions au gouvernement et se prononçait à 76 % en faveur de l’aide active à mourir. Dans la foulée, Emmanuel Macron s’est dit favorable à une loi «d’ici la fin de l’été».
Dans une tribune du Figaro, treize organisations professionnelles et sociétés savantes, représentant 800.000 soignants, déclaraient que l’euthanasie est une pratique «incompatible» avec le métier du soin. Le Conseil national de l’Ordre des médecins donnait après 9 mois de réflexion le même écho en se disant défavorable à la participation des médecins à l’euthanasie.
L’assemblée citoyenne restait tout de même divisée sur le cas d’euthanasie sur les enfants et les personnes incapables d’exprimer leur volonté, avec cependant un accord unanime sur le développement des soins palliatifs.
La fin de vie vue par un spécialiste en soins palliatifs
Pendant plus de 25 ans, Claude Grange a accompagné des malades concernés par la question de l’euthanasie, mais curieusement ce n’était pas ce qu’ils demandaient à partir du moment où ils étaient soulagés et accompagnés, décrit-il dans son livre. « Durant toute cette période, je crois n’avoir eu que 3 demandes persistantes, malgré les soins prodigués. Alors faut-il une loi pour les exceptions ? », questionne-t-il.
Selon lui, « les militants de la légalisation de l’euthanasie, soutenus par une presse écrite et audiovisuelle favorable, nous induisent en erreur quand ils mettent en avant certains sondages tels que : ‘90% des Français sont pour l’euthanasie’. » En effet, à la question: ‘Si vous êtes atteint d’une maladie incurable et que vous avez des souffrances atroces, seriez-vous d’accord qu’on puisse abréger votre vie ?’ qui, parmi les bien portants, ne va pas répondre favorablement, défend-il.
Selon Claude Grange, le public n’est pas assez informé sur les soins palliatifs et sur la proportionnalité des protocoles de soins et de sédation déjà existants dans loi Claeys-Leonetti pour soulager la douleur.
Le patient en soins palliatifs a besoin de mieux connaître et de comprendre les différents moyens thérapeutiques existants pour soulager la douleur, car les protocoles de sédation ont déjà une diversité de solutions possibles, en fonction de la durée, de la profondeur et du consentement.
Selon Claude Grange, il faut arrêter les désinformations comme « Ils vont mourir de soif ou de faim » ou « La sédation est une euthanasie déguisée, alors autant la légaliser ». Il dénonce une usurpation des mots, comme le fait de dire « mourir dans la dignité » pour qualifier et faire la promotion de l’euthanasie. Il observe au contraire une désacralisation du corps humain voulue par une société qui délaisse de plus en plus ses vieux et ses rituels. « Les façons traditionnelles de ritualiser le deuil disparaissent progressivement. Dans un monde de plus en plus marchandisé, le respect du corps du mort disparaît de plus en plus » écrit-il dans « Le dernier souffle ».
La loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie
Aujourd’hui, la loi Claeys-Leonetti, dite « loi Leonetti », encadre la fin de vie des malades incurables. Adoptée à l’unanimité en 2005 et renforcée en 2016, elle interdit l’euthanasie et le suicide assisté, mais permet une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance. Selon Claude Grange, Jean Leonetti résumerait sa loi en une phrase : « Laisser mourir : oui, faire mourir: non ».
Alors qu’en France, le comité d’éthique a ouvert la voie à une évolution législative vers une aide active à mourir, le praticien y reste défavorable : « Personnellement, je ne suis pas pour la modification de la loi actuelle. Commençons déjà par appliquer celle qui existe. Et encourageons à mieux la faire connaître: la possibilité de rédiger ses directives anticipées qui doivent être respectées par les médecins; la possibilité de décider pour soi-même de ce que l’on veut ou pas ; le droit de refuser un traitement ; le refus de toute obstination déraisonnable ; la possibilité d’être soulagé de ses douleurs même au risque d’abréger sa vie si l’intention est de soulager, et la possibilité de pouvoir bénéficier d’une sédation » liste-t-il dans son livre.
Il reste vrai cependant que les limites entre la sédation profonde jusqu’au décès et l’euthanasie sont ténues, explique-t-il : « C’est l’intention du médecin qui fait la différence. Si son intention est de soulager une souffrance, il reste dans le juste soin. Si son intention est de faire mourir plus vite, il bascule alors sur le versant contraire à la loi. »
Une question de civilisation
Toute personne qui se pose des questions sur l’approche de la fin de vie et la question de l’euthanasie peut trouver des réponses concrètes dans « Le dernier souffle ». L’expérience des médecins en soins palliatifs est essentielle pour mettre en perspective ces questions de société et de civilisation. « Une société se jugerait presque à la place qu’elle accorde à ses morts » écrit Claude Grange. « Accompagner avec une véritable dignité et un véritable respect un patient vers la mort est une question d’humanité, une leçon de vie et un cadeau pour ceux qui y assistent. » précise-t-il.
L’importance de comprendre cette étape de la fin de vie permet au patient et à la famille de se préparer à dire ‘Au revoir’ à la personne aimée. Celle-ci est souvent la plus lucide et la plus sereine une fois venue l’heure de la mort, une fois sa douleur soulagée. Si l’on retire cette prise de conscience et cette expérience humaine essentielle à la personne, on lui retire alors son humanité, sa dignité et pour la famille la possibilité de faire son processus de deuil. On retire également, à ce moment précis, la possibilité de mieux apprécier la profondeur de la vie.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.