« She’s a good maman ! » : du lundi au vendredi, Brigitte Lips, surnommée Mamie Charge, 68 ans, ouvre les portes de son garage à Calais aux migrants. Un refuge où depuis une décennie ils peuvent recharger leur téléphone et trouver un peu de répit.
Lundi de novembre à Calais, le ciel est bas, il bruine. La rue est muette, sauf devant son portail où une vingtaine de jeunes candidats à l’exil s’impatientent.
11h30, elle ouvre : « L’heure c’est l’heure, sinon on ne s’en sort plus ! », sourit-elle. Les migrants se précipitent, téléphone en main, emmitouflés dans leurs manteaux usés. « First! First! », crient-ils. « Un par un, je n’ai que deux mains », répond l’ex-restauratrice retraitée dans un anglais sommaire.
Une centaine de prises et chargeurs
Le garage abrite une centaine de prises et chargeurs, les fils s’entrelacent mais Brigitte Lips gère cela méthodiquement. Elle attrape téléphones et chargeurs, les identifiant par un ticket.
Les migrants, qui se donnent l’adresse du garage de bouche à oreille, viennent les récupérer aux horaires d’ouverture: 08h-09h, 11h30-12h15 et 17h-19h.
Rapidement, le petit garage de son coquet pavillon bleu se remplit : une cinquantaine de jeunes, venus majoritairement d’Érythrée et du Soudan, s’installent sur des chaises, parlent, rient, les langues se mélangent.
« Un vrai soutien pour les réfugié »
La sexagénaire, pull bleu électrique et rouge à lèvres bordeaux leur a préparé du thé, du café et du gingembre en poudre « qu’ils adorent » ajouter dans leur boisson. Elle a aussi tranché du pain et cuisiné de la soupe à la tomate qui embaume son garage.
« C’est une femme formidable, un vrai soutien pour les réfugiés comme nous qui sommes sans abri », salue Pedros, un Érythréen qui espère s’établir en France.
« Notre téléphone est essentiel, ne serait-ce que pour avoir l’heure, nous orienter, organiser notre départ et si besoin appeler les secours », explique Mazen, un Érythréen « nouveau » à Calais, qui espère rejoindre l’Angleterre en bateau. « Je n’arrive pas à dormir ici, alors je regarde mon téléphone, jusqu’à ce que je m’endorme », témoigne Pedros.
« Ils perdent le téléphone, ils perdent leur vie : c’est aussi leur dernier lien avec leur famille », ajoute Brigitte Lips, qui a coécrit un livre témoignage avec Anne-Françoise de Taillandier, Mamie Charge, une vie au service des migrants paru en septembre.
« Elle fait aussi des gâteaux ! »
Mère de quatre enfants et grand-mère de huit petits-enfants, elle qui n’a jamais quitté Calais communique avec les réfugiés en anglais, qu’elle a appris à leur côté en les aidant depuis une vingtaine d’années.
Les policiers s’invitent aussi parfois : « Ils essaient de m’intimider, ils me disent ‘faut arrêter’, je réponds ‘oui oui’ », relate-t-elle, levant les yeux au ciel. Elle raconte : « Une fois, un policier m’a dit ‘Ça doit vous coûter cher en électricité !’. Mon mari a répondu : ‘Vous savez, elle fait aussi des gâteaux !’ ».
Des particuliers lui donnent ponctuellement de quoi fournir un peu de nourriture et des vêtements à ceux qui en ont besoin.
D’autres habitants de Calais se sont engagés comme elle face au désarroi des migrants, dont plus de 70 sont morts en tentant de traverser la Manche cette année, un record. Certains voisins lui ont en revanche manifesté leur mécontentement.
« C’est l’Esprit saint qui m’anime »
« C’est peine perdue, je continuerai tant que le bon Dieu me garde la santé », lance la Calaisienne. « J’ai été élevée comme ça, le malheureux qui sonnait chez nous avait une assiette à table. »
Née à Calais, Brigitte Lips a grandi à un kilomètre de sa maison actuelle où elle vit avec son mari Pierre, qui partage ses convictions. Elle a travaillé dans le restaurant familial dès ses 16 ans, le Saint-Hubert, une « cantine » calaisienne qu’elle a elle-même tenue pendant dix ans. Elle a aussi été animatrice chez Auchan, vendeuse, et assistante maternelle.
Son engagement est nourri par une foi profonde. « C’est l’Esprit saint qui m’anime », confie Mme Lips, également très investie dans l’Église catholique, où elle suit une formation pour devenir prédicatrice.
12h15. « On ferme le garage, c’est finish please, it’s finish », crie Mamie Charge. Les réfugiés se lèvent, lavent leur bol qu’ils empilent au bord de l’évier. « Au revoir mamie, à bientôt ! », lancent les jeunes hommes, en retournant dans le froid des rues de Calais.
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