Des gains symboliques, des objectifs potentiels nombreux qui brouillent les pistes : la contre-offensive de Kiev a d’autant moins livré ses secrets que des brigades ukrainiennes restent tapies dans l’ombre, prêtes à exploiter la moindre percée des défenses russes.
L’armée de Kiev est à l’offensive dans l’est et le sud du pays et affirme « avancer » quand son ennemi ironise sur ses pertes « catastrophiques ». Au delà, c’est le brouillard de la guerre. « On voit clairement beaucoup d’opérations de manipulations tactiques et on peut s’attendre à d’autres (…) au fur et à mesure que la campagne progresse », estime pour l’AFP Dylan Lee Lherke, analyste de la société privée de renseignement britannique Janes. « C’est une des premiers bénéfices de l’attaque : vous pouvez choisir à votre avantage le temps et le lieu et laisser votre adversaire deviner ».
Les informations disponibles en sources ouvertes montrent que Kiev est loin d’avoir jeté toutes ses forces dans la bataille. Selon Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), elle maintient en retrait du front 13 brigades mécanisées, deux brigades blindées et trois brigades parachutistes et d’assaut aéro-mobiles. Soit 15% de son armée, avec des brigades d’environ 3000 hommes.
L’assaut majeur en gestation
Des forces « prêtes à foncer vers une éventuelle percée », explique-t-il. D’où cette multiplication d’assauts d’ampleur mineure, destinés à tester la résistance russe. Mais le combat sera compliqué : « la totalité des unités de mêlées – infanterie, reconnaissance, blindés, mécanisés, parachutistes, c’est 75 brigades pour les Ukrainiens, 65 pour les Russes en Ukraine et près de la frontière », relève l’expert. « Le différentiel n’est pas énorme ». L’assaut majeur est donc encore en gestation. Et l’objectif final un mystère.
Ivan Klyszcz, chercheur au Centre international pour la défense et la sécurité (ICDS) en Estonie, estime plausible que Kiev vise des villes comme Melitopol et Tokmak (sud), voire Lougansk (Est). « Les centres opérationnels sous occupation russe comme ceux là sont susceptibles d’être des objectifs clés », ajoute-t-il à l’AFP.
D’autres évoquent la Crimée, occupée depuis 2014 par la Russie, et bien sûr le Donbass, dans l’Est, aujourd’hui largement contrôlé par l’armée russe. Des objectifs importants politiquement et très ambitieux militairement. « La Crimée, ils peuvent la prendre mais ça n’en vaut pas la peine sur le plan militaire et cela se fera au détriment de l’effort majeur », estime Alexandre Grinberg, de l’Institut pour la sécurité et la stratégie de Jérusalem (JISS).
« L’objectif déclaré, c’est la libération du Donbass. Mais quels sont les plans opératoires ? C’est impossible de le savoir ». L’option du nord du pays semble peu probable. Reste le sud et l’accès à la très stratégique mer d’Azov, aujourd’hui verrouillé par Moscou.
« Re-grignoter des territoires du Donbass a un sens politique et symbolique mais militairement, cela n’a aucune utilité stratégique », assure Pierre Razoux. « Si en revanche, l’objectif est d’attirer un maximum de troupes russes dans ce secteur avant de roquer vers le sud et de lancer une offensive en direction de la mer d’Azov, cela a du sens », ajoute-t-il. « En reprenant le contrôle d’un segment de la mer d’Azov, ils peuvent isoler la Crimée et menacer 80% du commerce maritime russe ».
La défense russe organisée « par couches »
Mais les forces russes se préparent depuis des mois à l’offensive ennemie. Une ligne de défense est en place sur plus de 800 kilomètres, parfois sur plusieurs échelons en profondeur, fortes d’un nombre important de soldats pour les tenir.
« La défense russe est organisée par couches. Ce n’est pas sophistiqué : l’adversaire doit surmonter ces obstacles l’un après l’autre », constate Alexandre Grinberg. « Les Ukrainiens peuvent percer, mais pas faire s’écrouler cette masse des unités russes ».
Le Soufan Center, spécialisé dans les questions de sécurité et basé à New-York, est lui aussi prudent. « La fenêtre de succès de la contre-offensive de l’Ukraine est limitée, au mieux », écrit-il dans une analyse mercredi, jugeant que « les prochains mois (présageraient) de l’avenir du conflit ».
Car après 16 mois de guerre, le président Volodymyr Zelensky, sous perfusion d’aide militaire occidentale, doit prouver sa capacité à faire reculer Moscou. Kiev « veut une victoire substantielle pour démontrer sa capacité à se battre, à la fois à sa population et à ses partenaires occidentaux », suggère Ivan Klyszsz. « Ils veulent libérer tous les territoires occupés aussi vite que possible ».
Or, un échec mettrait les Occidentaux au défi « de continuer à soutenir l’Ukraine aux niveaux actuels d’assistance militaire », note le Soufan Center. « La stratégie du Kremlin, c’est gagner du temps, user l’adversaire et espérer l’élection de Donald Trump en novembre 2024 (aux États-Unis), car il se désintéresse de l’Ukraine. En espérant que les Européens fatigués se divisent sur la suite du conflit », conclut Pierre Razoux.
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