Le lion est mort ce soir

3 août 2015 02:26 Mis à jour: 25 octobre 2015 22:29

 

Édito – Nous étions nombreux à imaginer que les chasses au lion avaient disparu depuis Hemingway et que, pour protéger les espèces naturelles restant sur la planète, les safaris – hors quelques braconniers d’ivoire à la recherche d’un dernier éléphant ou d’un rhinocéros – n’existaient plus qu’armés d’appareils photos, dans de grandes réserves naturelles. En réalité, en réponse à ce qu’on appelle une « demande du marché », il est encore possible à n’importe quel dentiste américain, pour quelques dizaines de milliers de dollars, de s’extraire d’un quotidien fait d’arrachages de dents et de poses de couronnes pour aller jouer les « Rambo » avec son arc et ses flèches dans la savane africaine, d’y choisir le plus beau lion d’un pays, de le poursuivre et de l’abattre, avant de le décapiter.

Le raz-de-marée digital qui a, la semaine dernière, emporté le dentiste, sa réputation et toute sa famille dans une condamnation universelle s’explique peut-être par une conscience accrue de la fragilité animale dans ce monde colonisé et détruit par l’homme. Le tueur du lion est devenu semblable à ces mannequins de paille qu’on brûlait autrefois pour symboliser la mort de l’oppresseur ou du démon – son profil social, son hobby sanglant, son origine géographique faisant de lui l’incarnation parfaite de l’arrogance de l’homme moderne et des pays dits développés face à un monde victime.

C’est dans nos pays développés, d’ailleurs, que s’est déchaînée l’opinion publique, bien plus qu’au Zimbabwe où la presse locale s’étonne du bruit créé par la mort du lion Cecil. Plusieurs Zimbabwéens interviewés ne connaissaient pas le lion « star », d’autres s’interrogent sur la mobilisation à éclipses du monde blanc qui laisse passer dans l’indifférence tant d’événements graves et de situations dramatiques, mais pleure un vieux lion. Peut-être parce que notre monde occidental se sent, sans se l’avouer, responsable d’avoir enfanté des êtres malsains ? Un peu comme, en début d’année, chacun a soudain voulu affirmer « Je suis Charlie » pour ne pas être soi-même une part de la violence et de l’intolérance, tout le monde porte aujourd’hui au pilori un stéréotype d’Américain nanti pour dire – ou espérer – ne pas être soi-même une part de l’arrogance et de l’égoïsme.

Comme pour Charlie, les sentiments sont bons en surface, mais semblent fragiles. Il est trop facile de tweeter – piailler, en français – sur un réseau social pour que cela soit engageant : l’effort à fournir se limite à 160 caractères, moins de 2 minutes d’implication et une dépense d’énergie insignifiante. La lapidation digitale du dentiste chasseur est, dirons-nous, justifiée et utile, car la destruction définitive de sa réputation a de quoi faire réfléchir bon nombre de nos barbares modernes au fait que la justice est lente, mais l’exécution numérique rapide.

Pour autant et pour être complet, la chasse à l’homme lancée sur les réseaux sociaux, chaque internaute y allant de sa petite morsure et de son petit cri aigu, évoque surtout l’attaque en meute des petits lycaons. Il serait beau de voir plus de lions pour venger la mort du vieux lion.

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